Comment aborder la spécialité « Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques » ? Les nouveaux programmes 2019 des classes Terminales des lycées

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°366, lundi 19 août, 2019

C’est en pleines vacances scolaires que les nouveaux programmes des classes terminales des lycées ont été publiés au Journal officiel du 23 juillet 2019. Il s’agit d’un ensemble de 27 arrêtés applicables en septembre 2020 pour l’année scolaire 2020-2021. (1) 
On y voit apparaître de nouvelles dénominations pour les enseignements spécialisés proposés aux candidats à la session du Baccalauréat de juin 2021, comme « Humanités littérature et philosophie », « Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques », « Mathématiques et sciences informatiques ».
Chacun de ces enseignements de spécialité se décline en plusieurs « Thèmes ». Ils comprennent eux-mêmes une « Introduction », des « Axes », un « Objet de travail conclusif » et des « Jalons ». Ces différents niveaux de lecture rendent complexe la compréhension des instructions données. Nous prendrons l’exemple de l’ « Enseignement de la spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques » en nous interrogeant sur ses présupposés, sur ses non-dits, sur ses effets cachés.

Les livres soutiennent le monde. Un ange retient le monde et s’appuie sur deux livres. On se demandera de quels livres il peut s’agir. Ce qui est certain, c’est que le monde repose en partie sur les livres, c’est-à-dire sur la connaissance. Sculpture, École militaire, Paris, 4 juillet 2017. © Photographie Bernard Mérigot.

Commentaire de la photographie. D’une part, on notera que l’ange a l’air songeur. Peut-être est-il fatigué ? D’autre part, on peut se demander s’il n’est pas en train de glisser, poussé par le poids du monde. Pourvu qu’il ne tombe pas. Et les livres ? Ils semblent en équilibre instable. Pourvu que tout cela ne s’écroule pas.

SOMMAIRE
•   Les paradoxes des programmes scolaires
•   Les disciplines enseignées deviennent hybrides
•   La bande des quatre sciences sociales
•   La dernière classe

•   CONCLUSION
RÉFÉRENCES
LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS
Commentaire du 27 octobre 2019. Pour une histoire de l’enseignement des disciplines scolaires
Commentaire du 19 décembre 2019. Le « choix vertical » des programmes scolaires
Commentaire du 15 janvier 2020. Comment enseigner la géopolitique au lycée ?

LES PARADOXES DES PROGRAMMES SCOLAIRES

Dans une étude publiée en 2013 portant sur les nouveaux programmes scolaires de Science économique, qui constituaient alors l’actualité du moment, Coralie MURATI écrit :

« L’écriture des contenus d’enseignement résulterait, d’une part d’un processus de confrontation entre différentes logiques, et d’autre part de négociations permanentes au sein d’un espace pluriel de groupes d’acteurs, à l’instar d’une arène de lutte sociale. Les négociations portent sur ce qui fait débat au sein de la discipline scolaire, mais également au sein des disciplines universitaires qu’elle prend pour référence, et enfin au sein même de la société. Ce qui traduit l’existence d’un espace complexe en tension entre les divers groupes sociaux qui l’investissent de manière différenciée pour la production d’un modèle pédagogique. » (2)

1. Les programmes scolaires constituent une prérogative d’intervention du pouvoir politique. Il use et abuse de ce pouvoir en multipliant à une fréquence élevée :

  • d’une part les modifications qui affectent leur terminologie, leurs contenus et les méthodes,
  • d’autre part les effets d’annonce qui précèdent la publication des textes et leur mise en oeuvre, supposée ou réelle.

Tout cela se produit dans un contexte de réformes successives, en définitive peu visibles – et souvent peu compréhensibles – pour ses acteurs (élèves, parents, enseignants, administration, syndicats… auxquels il convient d’ajouter les corps d’inspection qui souvent livrent, à un même moment, des interprétations contradictoires à l’égard des textes), mis généralement devant des « faits accomplis », sans aucune réelle concertation préalable, comme en témoignent les syndicats et les associations disciplinaires d’enseignants.

2. Les programmes sont devenus des sujets d’actualité périodiques pour les médias, matières à des polémiques – brèves et passionnées – qui apportent peu de lumière à des débats intermittents, peu connectés avec le développement présent des sciences humaines et sociales et de la vie culturelle, sociale et économique. La génération des parents comprend de moins en moins ce que leurs enfants sont censés étudier (ni les contenus, ni les méthodes, ni les évaluations).
Les enseignants, dès qu’ils ont quelques années d’ancienneté, sont en décalage avec les formations qu’ils ont reçues. Ils sont confrontés à une terminologie incompréhensible. On se souvient de la polémique sur la notion de « prédicat » en grammaire et de l’ahurissant communiqué de presse que le Comité national des programmes publia en 2017 (3). Les enseignants doivent s’adapter dans la plus grande urgence à ce que l’on attend d’eux. Seuls résistent les élèves aidés par leurs réseaux sociaux d’échanges, dans la limite du temps résiduel qu’ils consacrent réellement au contenu spécifique de leurs études.

3. L’évolution des programmes scolaires a des causes liées à l’évolution des idées. Ils dépendent du niveau de réponse que le pouvoir politique entend apporter aux multiples « demandes sociales » des groupes de pression. Les décisions une fois prises par l’administration et le gouvernement, entraînent – avec retard –  toute une série d’effets en chaîne, peu visibles, et dont la manifestation est rarement rattachée à leur cause première, oubliant que tout programme scolaire possède une nature référentielle et structurante.

  • Effets, à la fois individuels et collectifs, sur des élèves appartenant aux classes d’âge quittant le système scolaire pour entrer dans la vie active.
  • Effets sur le niveau d’exigence des inspecteurs, donc sur l’appréciation qu’ils portent sur les carrières des enseignants (et sur la dépendance entretenue entre inspection/notation/carrière).
  • Effets sur les modalités de recrutement des nouveaux enseignants selon les deux voies parallèles (titulaires/contractuels) qui sont en concurrence, la voie empruntée par les contractuels venant suppléer de plus en plus, avec des niveaux de rémunération plus faibles, le manque de titulaires.
  • Effets sur le contenu des opinions citoyennes et sur la production des idées : tous les thèmes et sujets abordés (la mondialisation, les pays en voie de développement…) étant à la fois des reflets des préoccupations politiques du moment, mais également des modes d’incitation, de conception, de fabrication (un programme d’enseignement est une « fabrique d’idées »), de production, de diffusion.

En un mot : changer des programmes scolaires revient à changer, selon un mode incrémental (petit à petit, par ajouts successifs), non pas directement les idées du temps, mais les connaissances et les opinions sur les idées du temps, et donc sur leur mode de construction, aussi bien celles qui sont en-train-de-se-faire, que celles qui sont à-venir.

Abrogation de programmes d’enseignement de la classe terminale des voies générale et technologique, Bulletin officiel de l’Éducation nationale (BOEN), Arrêté du 19 juillet 2019, J.O. du 23 juillet 2019. n°8, 25 juillet 2019.

LA BANDE DES QUATRE SCIENCES SOCIALES

A quelle catégorie les textes des programmes scolaires établis par le ministère de l’Éducation nationale pour les collèges et des lycées – pour ne citer qu’eux ici – appartiennent-ils ? Un programme d’enseignement d’histoire fait-il partie du savoir universitaire de la discipline « Histoire » ? Autrement dit, est-il en prise avec l’état de ses recherches, de ses concepts, de ses « problématiques », de ses sujets de recherche, de ses publications ? Ou bien constitue-t-il un domaine « à part », qui occuperait une place secondaire, relevant de son application, de sa transmission ? En un mot : une « initiation » à l’histoire universitaire, formant un enseignement constituant un domaine discret des pratiques et des évolutions, sortes de « connaissances circulantes » au sein de la société. Est-on en présence d’un enseignement-application ou bien un enseignement-recherche ?

L’enseignement de la spécialité est présenté en se fondant sur la « complémentarité » de quatre disciplines : l’histoire, la géographie, la science politique, la géopolitique. Une addition en quelque sorte.

« L’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques développe une approche pluridisciplinaire qui, pour analyser et élucider la complexité du monde, mobilise plusieurs points de vue, des concepts et des méthodes variés.
Cette spécialité permet aux lycéens de mieux maîtriser les spécificités des approches disciplinaires et de mesurer, à l’occasion du traitement d’un thème, leur féconde complémentarité.

  • L’histoire saisit chaque question dans son épaisseur temporelle. Le recours à la longue durée, la mise en perspective d’événements et de contextes appartenant à différentes périodes rendent attentif aux continuités et aux ruptures, aux écarts et aux similitudes. L’histoire éclaire et contextualise le rôle des acteurs.
  • La géographie permet ici d’identifier et de comprendre les logiques d’organisation de l’espace ainsi que l’influence des acteurs sur les territoires. Par la pratique continue du changement d’échelle, par la réalisation et l’analyse de cartes, par l’intérêt porté aux territoires proches ou éloignés, elle autorise les comparaisons et la réflexion critique.
  • La science politique étudie les phénomènes dans leur spécificité politique. Elle est ici abordée à partir de ses principaux domaines : l’étude des relations internationales, des concepts, des régimes et des acteurs politiques (dont les organisations internationales) dans une démarche comparative.
  • La géopolitique envisage les rivalités et les enjeux de pouvoir sur des territoires considérés dans leur profondeur historique, ainsi que les représentations qui les accompagnent. (3)

Le programme définit chaque discipline par un critère distinctif :

  • Histoire : l’ « épaisseur temporelle »,
  • Géographie : l’ « organisation de l’espace »,
  • Science politique : la « spécificité politique »,
  • Géopolitique : les « rivalités et enjeux de pouvoir ».

Arrêtons-nous un instant sur chacune de ces quatre présentations. Nos questions ne sont pas secondaires mais tentent de se situer au niveau de l’ambition (le terme est propre au langage des programmes d’enseignement) qui vise à créer un cadre disciplinaire à un enseignement conduisant au terme de l’année scolaire 2020-2021, à la délivrance du baccalauréat.

HISTOIRE. La définition de l’histoire qui est donnée comprend à l’évidence une « dissonance logique ». Il est écrit qu’il est question d’être attentif « aux continuités et aux ruptures, aux écarts et aux similitudes ». Autant les continuités sont le contraire des ruptures, autant les écarts ne sauraient s’opposer – sticto sensu et au même niveau – aux similitudes. On attend à la place du mot « écarts » (interruption, espace) celui de « différences » qui en constitue l’antonyme, ou bien à la place de « similitudes », celui de « différences ». Ne sommes-nous pas en présence d’un condensé bancal qui tente d’établir en deux phases ce qui en fait devrait être développé en trois phases  :
•   continuités/ruptures,
•   écarts/continuité,
•   différences/similitudes ?

  • Concepts : Épaisseur temporelle, longue durée, Événements, périodes, Continuités, Ruptures, Écarts, Similitudes, Contextualisation, Acteurs historiques.

GÉOGRAPHIE. Deux objectifs sont mentionnés : les logiques d’organisation de l’espace ainsi que l’influence des acteurs sur les territoires. Pourquoi ne pas mentionner, pour être complet, l’effet inverse qui explique bien des situations politiques et économiques : l’influence des territoires sur les acteurs ?

  • Concepts : Organisation de l’espace, Territoires, Influence des acteurs, Changement d’échelle, Cartes, Proche/éloigné,

SCIENCE POLITIQUE. La définition – évidente – qui en est donnée («La science politique étudie les phénomènes dans leurs spécificité politique ») ne peut que faire l’unanimité. Après tout, chaque science humaine et sociale possède bien une spécificité. Encore convient-il d’indiquer à quels phénomènes elle applique son étude. Quatre principaux domaines étudiés sont énumérés, à savoir : les relations internationales, les concepts, les régimes, les acteurs politiques.

  • Concepts. Spécificité politique, Relations internationales, Régimes politiques, Acteurs politiques, Organisations internationales.

GÉOPOLITIQUE. Il est à noter que la définition reprend « les rivalités et les enjeux de pouvoir sur les territoires » en y ajoutant la précision « dans leur profondeur historique ». S’agit-il d’un pendant à l’ « épaisseur temporelle » de la définition donnée pour l’histoire ? On aurait donc d’un côté l’ « épaisseur temporelle » et de l’autre la « profondeur historique », et donc une mise à distance entre l’épaisseur et la profondeur ?
Cette question, pourrait sembler secondaire si elle n’était pas associée à l’introduction du concept de représentations qui accompagnent « les rivalités et les enjeux de pouvoir ». On doit donc considérer que toutes les rivalités et tous les enjeux de pouvoir sur les territoires seraient « accompagnés » par des représentations. Il ne s’agit pas directement des rivalités et des enjeux de pouvoir, en tant qu’objets saisis en eux-mêmes, mais de représentations accompagnantes selon un système unitaire (un objet représenté), mais système dual (un objet + une représentation). Une théorie de l’accompagnement conceptuel est ici sous-jacente. Il serait intéressant que le Comité national des programmes la développe.

  • Concepts. Rivalités de pouvoir. Enjeux de pouvoir. Territoires. Profondeur historique. Représentations accompagnantes.
La palette des nouveaux programmes d’enseignement de spécialité des classes terminales 2019 : une latte pour l’histoire, une latte pour la géographie, une latte pour la géopolitique, une latte pour les sciences politiques… 16 août 2019.
© Photographie Bernard Mérigot.

LES DISCIPLINES DEVIENDRAIENT-ELLES HYBRIDES
SANS LE DIRE ?

Quatre disciplines (histoire, géographie, géopolitique, sciences politiques) se trouvent associées pour former une sorte de pluridisciplinarité, ou d’interdisciplinarité. Notons qu’aucun de ces deux termes n’est employé. Seraient-ils passés de mode ?

Mais pourquoi se limiter à quatre disciplines ? On ne peut que regretter l’absence d’autres sciences humaines et sociales, comme la sociologie et l’anthropologie. En ce qui concerne cette dernière, les développements actuels de l’anthropologie globale du présent telle que la développe Monique SELIM (4) seraient les bienvenus.

Pourquoi la théorisation des programmes d’enseignement s’arrêtent-ils en chemin ? Ils ébranlent mais ne bousculent pas. Pourquoi n’osent-ils pas s’engager clairement dans les voies de l’hybridité ? Peut-être parce que, comme le note Sami AYOUCH, « La revendication de l’hybridité comme outil épistémologique a des effets politiques ». Celle-ci met en jeu des relations de pouvoir qui convoquent l’identité et la stabilité des normes ainsi que des résistances. « Elle s’inscrit dans la polis, accompagne des modes de subjectivation contemporains, pointe les noeuds d’aliénation ». (5)

TOUT PROGRAMME SCOLAIRE PRODUIT
UNE INVISIBILISATION

Pour Laurence DE COCQ, les nouveaux programmes d’histoire-géographie de classe terminale (publiés en 2019) « tant pour le tronc commun que pour la spécialité, poursuivent leur lente invisibilisation de l’histoire économique et sociale au profit d’indigestes et ressassés poncifs ». (6) Il est évident que le propre de tout programme, de tout « discours programmatique » – qu’il s’agisse d’un programme scolaire, d’un programme électoral, voire d’un programme de concert de musique classique… – produisent deux opérations qui :

  • sont par nature conjointes, inséparables, indissociables,
  • consistent, en même temps, à dire et à pas dire, à inclure et à exclure, à ordonner et à interdire.

Cette indissociabilité porte sur « une présence qui porte en elle-même une absence ». Elle constitue un piège constitutif qui est de ne laisser qu’une seule voie à l’analyse, et donc aux reproches éventuels formulés, celle d’une double liste : d’une part, ce qui est dit dans le programme (Pourquoi ce thème est-il retenu ?), et d’autre part, ce qui n’est pas dit dans le programme (Pourquoi ce thème n’est-il pas retenu ?). Le concept à utiliser est celui d’invisibilisation. Appliqué au discours, on peut le définir comme une opération de prestidigitation, consistant à créer des illusions : ce que les programmes « mettent en avant » pourrait également être dit – en substituant une lettre – comme ce que les programmes « mentent en avant ». Ils ne disent pas la vérité. Ils induisent en erreur. Ils créent de l’impensé, c’est-à-dire qu’ils empêchent toute possibilité de penser autre chose que ce qui est énoncé.

La négation de l’esprit critique serait-elle la conséquence ultime de tout processus programmatique d’enseignement ? Florence DE COCQ écrit : « (…) les précédents programmes étaient indigents et dangereux pour des disciplines dont les finalités intellectuelles et éducatives ne sont pourtant plus à rappeler. Nous insistions alors sur le fait que ces programmes, extrêmement lourds, rendaient impossible la consolidation des apprentissages et la construction du fameux “esprit critique”. »

Un esprit critique qui n’est guère mobilisé auprès des enseignants, des élèves et des parents. « Nous avions aussi déjà fait part de notre colère devant la procédure opaque et antidémocratique de rédaction des programmes, symptomatique d’un autoritarisme et d’une verticalité inédits, par ailleurs en totale contradiction avec la communication officielle du Ministère, depuis que l’écriture des programmes avait été décrétée entreprise collective et ouverte aux demandes de la société. » 

Dès lors comment distinguer le « vrai nouveau » du « faux ancien » ? Entre l’ « invisibilisation de l’histoire économique et sociale » et son remplacement par des « poncifs ressassés », tout nouveau programme d’enseignement est menacé par le syndrome du « retour vers le futur ». Florence DECOCQ, balayant les quarante dernières années, écrit en 2019 : « Pourquoi se priver de la joie de retrouver nos vieux manuels des années 1980 ? Les plus anciens d’entre nous gagneront du temps : ils pourront ressortir leurs cours tels quels. »

LA DERNIÈRE CLASSE

« Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine… Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. » (7)

La dernière classe. « Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put « Vive la France ! ». « La Dernière classe. Récit d’un petit Alsacien » d’Alphonse DAUDET, in Contes du Lundi. Extrait de La Vie littéraire à l’École, Cours élémentaire, de E. HULEUX, 1915, p. 237. Collection CAD.

L’illustration et le texte sont extraits d’un manuel scolaire La vie littéraire à l’École, Cours élémentaire de E. HULEUX publié en 1915. Ils reproduisent le texte d’ Alphonse DAUDET « La Dernière classe » publié dans ses Contes du Lundi en 1873. (8) Il s’agit d’un épisode qui demeure émouvant pour les Alsaciens et les Lorrains, ici dramatisé, sur les effets de l’annexion par la Prusse en 1870. L’histoire rappelle qu’en matière d’école, on n’enseigne pas ce que l’on a envie d’enseigner, et on n’étudie pas ce qu’on a envie d’étudier. Le titre de la nouvelle est-il porteur d’une obsolescence programmée de l’école, autrement dit, qu’elle est porteuse de sa propre fin ? Une fin de la langue choisie, une fin de l’identité vécue. Le pouvoir politique, ici représenté par une armée d’occupation, commande ce qui doit être enseigné, et par qui.

CONCLUSION

Qu’appelle-t-on un « programme d’enseignement » ? Le Conseil supérieur des programmes du ministère de l’Éducation nationale a élaboré en 2014 une Charte des programmes. Il donne la définition suivante : « On appelle « programme », aux termes de la présente charte, toute prescription qui définit ce qui doit être enseigné dans les écoles et établissements publics et privés sous contrat. Les programmes d’enseignement définissent une norme nationale qui est à ce titre la référence centrale de l’éducation et la garantie d’une ambition et d’une culture communes. » (9)

« Ambition et culture communes » sont ici étonnamment liées : « Culture de l’ambition »  ou bien « Ambition de la culture » ? On le voit, les programmes d’enseignement posent un problème d’ordre épistémique, c’est-à-dire qu’ils concernent ce que l’on désigne en grec comme l’épistémé, la science, la connaissance en général.
C’est ainsi que Michel FOUCAULT désignait dans Les Mots et les choses l’ensemble des catégories linguistiques qui servent à appréhender la culture et le savoir d’une époque. (10)
C’est ainsi que se définit une perspective épistémique qui considère le point de vue de l’acquisition et de la formation des connaissances (11), « en particulier dans le domaine de la psychologie de l’enfant. » est-il précisé par la définition.

Stanislas KOWALSKI écrivait en 2018 : « On a tout demandé aux programmes scolaires : le patriotisme, la paix sociale, la croissance économique ou l’égalité des sexes. Et on n’en est jamais satisfait. » (12)
Les programmes sont des symptômes politiques de demandes sociales contradictoires. Au moment où ils sont attirés par les chants de l’hybridité, ceux qui organisent leur réforme refusent de reconnaître qu’ils sont attirés par un tropisme qui modifie la nature originelle des disciplines annoncées comme étant enseignées.

L’opération qui consiste à poser « la géographie + l’histoire + la géopolitique + les sciences politiques » constitue tout autre chose qu’une addition puisqu’elle produit un objet nouveau, qui a pour fondement que chacun des composants, du fait même d’être mélangé à d’autres, a changé de nature. La géographie mêlée à la géopolitique n’est plus tout à fait de la géographie, mais « presque », et réciproquement.  De même pour l’histoire et les sciences politiques. On ne sait plus très bien à quoi on a affaire, c’est-à-dire quelles sont les objets de cette nouvelle discipline, quels en sont les concepts, quels en sont les théoriciens. A moins que cette errance soit précisément la marque de fabrique  d’une indéfinissable « problématique ». Dans ce cas, tout serait plus clair d’en faire l’aveu.

Il n’existe pas, à notre connaissance et en l’état présent, de réflexion épistémique qui ait précédé ces nouveaux programmes. Ceux ci ne sauraient se satisfaire de la sympathique et confuse devise qui serait « De tout, un peu ». Quels en sont les nouveaux objets? Quels en sont les concepts constitutifs ? Quels en sont les fondements théoriques ? Quelles en sont les implications, que ce soit dans le cadre  particulier de l’enseignement scolaire et de la recherche universitaire, ou dans le cadre a priori extérieur à toute école, des « connaissances circulantes » qui fondent au travers de ses générations successives, le savoir commun d’une société.

Autant de questions préalables qui n’ont pas été posées par le Comité national des programmes. Autant de non-dits et de silences qui nuisent à la visibilité de cette nouvelle Res educatio : elle interroge l’avenir incertain des constructions poly-disciplinaires, mouvantes et évolutives, qui doivent être enseignées et faire l’objet de notations et d’épreuves d’examen, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants.

Bernard MÉRIGOT

Prochain article :
Comment se repérer dans le Thème n°1 : « De nouveaux espaces de conquête ».  Programme de classe Terminale 2019 d’histoire géographie, géopolitique et sciences politiques.

RÉFÉRENCES DE L’ARTICLE

1. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, « Programme de l’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de la classe terminale de la voie générale, arrêté du 19-7-2019, J.O. du 23-7-2019 (NOR MENE1921254A) ». https://cache.media.education.gouv.fr/file/SPE8_MENJ_25_7_2019/18/0/spe254_annexe_1159180.pdf

2.  MURATI Coralie, « L’écriture des programmes scolaires et ses enjeux en France. L’exemple des sciences économiques et sociales », Les dossiers des sciences de l’éducation, n°29, 2013. http://dse.revues.org/153

3. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, « Communiqué du Conseil supérieur des programmes (« Le prédicat » ) », 23 janvier 2017. https://cache.media.education.gouv.fr/file/CSP/78/7/Communique_du_CSP_sur_le_predicat_701787.pdf

Les 6 « Thèmes » de l’enseignement de spécialité d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de terminale générale sont regroupés sous le titre « Analyser les grands enjeux du monde contemporain » :

  • Thème 1. De nouveaux espaces de conquête
  • Thème 2. Faire la guerre, faire la paix : formes de conflits et modes de résolution
  • Thème 3. Histoire et mémoires
  • Thème 4. Identifier, protéger et valoriser le patrimoine : enjeux géopolitiques
  • Thème 5. L’environnement, entre exploitation et protection : un enjeu planétaire
  • Thème 6. L’enjeu de la connaissance

4. SELIM Monique, Anthropologie globale du présent, Paris, L’Harmattan, 2019, 260 p. ISBN 978-2-343-17467-9

5. AYOUCH Thamy, Psychanalyse et hybridité. Genre, colonialité, subjectivations, Presses universitaires de Louvain, 2018, 222 p.
AYOUCH Thany,
« L’hybride, le psychique et le social : pour une psychanalyse mineure », K. Revue trans-européenne de philosophie et arts, n°1, 2/2018, p. 106-123.

6. DE COCQ Laurence, « Haro sur les sciences sociales au lycée, ça continue », 16 juillet 2019, Médiapart, https://blogs.mediapart.fr/edition/aggiornamento-histoire-geo/article/160719/haro-sur-les-sciences-sociales-au-lycee-ca-continue

7. HULEUX E., La Vie littéraire à l’École, Cours élémentaire, Publications Paris, Alcide Picard, 1915, p. 237. Nombreuses rééditions. (3e édition en 1900).

8. DAUDET Alphonse, « La Dernière classe », Contes du Lundi, 1873.

9. MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE / CONSEIL SUPÉRIEUR DES PROGRAMMES, « Charte des programmes, Charte relative à l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi des programmes d’enseignement ainsi qu’aux modalités d’évaluation des élèves dans l’enseignement scolaire », Non daté, 13 p. https://cache.media.education.gouv.fr/file/04_Avril/37/5/charte_programme_csp_312375.pdf
Remarque. Les pdf de très nombreux documents publics mis en ligne par des institutions officielles ne comportent aucune date, ce qui empêche d’identifier de façon certaine leur année de publication. C’est le cas pour le présent document.

10. FOUCAULT Michel, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 219.

11. Traité de sociologie, Tome 2, 1968, p. 244.

12. KOWALSKI Stanislas, « De bons programmes scolaires ? », L’Aigle dolent, 25 mai 2018, http://egomet.sanqualis.com/de-bons-programmes-scolaires. Article initialement publié sur Contrepoints.


LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Les livres soutiennent le monde. Un ange retient le monde et s’appuie sur deux livres. On se demandera de quels livres il peut s’agir. Ce qui est certain, c’est que le monde repose en partie sur les livres, c’est-à-dire sur la connaissance. Sculpture, École militaire, Paris, 4 juillet 2017. © Photographie Bernard Mérigot.
  • Abrogation de programmes d’enseignement de la classe terminale des voies générale et technologique, Bulletin officiel de l’Éducation nationale (BOEN), Arrêté du 19 juillet 2019, J.O. du 23 juillet 2019. n°8, 25 juillet 2019.
  • Les nouveaux programmes d’enseignement de spécialité des classes terminales (2019) : une latte pour l’histoire, une latte pour la géographie, une latte pour la géopolitique, une latte pour les sciences politiques… 16 août 2019. © Photographie Bernard Mérigot.
  • La palette des nouveaux programmes d’enseignement de spécialité des classes terminales 2019 : une latte pour l’histoire, une latte pour la géographie, une latte pour la géopolitique, une latte pour les sciences politiques… 16 août 2019.
    © Photographie Bernard Mérigot.
  • La dernière classe. « Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put « Vive la France ! ». « La Dernière classe. Récit d’un petit Alsacien » d’Alphonse DAUDET, in Contes du Lundi. Extrait de La Vie littéraire à l’École, Cours élémentaire, de E. HULEUX, 1915, p. 237. Collection CAD.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°366, lundi 19 août 2019


COMMENTAIRE du 27 octobre 2019
Pour une histoire de l’enseignement des disciplines scolaires

La constitution officielle en France en 2019  de la discipline nouvelle d’enseignement secondaire de l’ « Histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques » amène à s’interroger sur une série de questions fondamentales auxquelles on accorde généralement peu d’attention :

  • Comment chaque science sociale existante aujourd’hui s’est-elle constituée comme matière d’enseignement ?
  • Comment celle-ci évolue-t-elle par rapport aux autres disciplines ?
  • Comment les échanges entre les pays se font-ils ?

Ces questions sont toute liées pour chacune à celle de leur propre constitution comme science, aux différentes étapes qu’elle ont franchies, aux contributions que tel ou tel auteur leur a apportées, aux reconnaissances populaires, médiatiques, ou académiques, qu’elles ont reçues. En un mot, quelle est la place qu’elles ont occupée et occupent dans le « marché », publications et des idées et des institutions ?

A ce sujet, la lecture de la publication des cours données par Emmanuel KANT entre 1759 et 1796 dans le recueil intitulé Géographie est éclairante.

KANT Emmanuel, Géographie, Aubier, 1999, 396 p. Traduit de l’allemand par Michèle Cohen-Halimi, Max Marcuzzi et Valérie Seroussi. Préface de Max Marcuzzi, p. 9-55.

Cet aspect n’a pas échappé à Robert MAGGIORI qui notait dans un de ses article publié à ce moment de la publication en 1999 de la première traduction en français de l’édition allemande de 1802.

« Le «cours» permet donc de voir comment la géographie se constitue en science et matière d’enseignement, et d’en retrouver l’histoire, puisque Kant, optant pour la synthèse, y reprend aussi bien, venue d’Eratosthène, de Ptolémée ou de Varenius, la tradition d’une géographie topographique, chorographique (description d’une région), orographique (description de montagnes) et hydrographique, d’où l’homme est substantiellement absent, que la tradition, marquée par Strabon, d’une géographie qui, orientée vers l’éthique, la politique ou l’anthropologie, veut décrire la réalité humaine. »

MAGGIORI Robert, « L’impératif géographique », Libération, 11 février 1999. https://next.liberation.fr/livres/1999/02/11/l-imperatif-geographique-pendant-des-annees-emmanuel-kant-dispense-aussi-des-cours-de-geographie-il-_264731

Il nous faudra revenir sur le problème central de tout acte d’enseignement, à savoir « ce que l’on dit qui est » et « ce qui est ». Comment lire et entendre des notations faites par Emmanuel KANT dans son cours Géographie comme celles-ci :

  • au Congo, certains oiseaux sont capables d’ « articuler de façon fort distincte le nom de Jésus Christ »,
  • les habitants de la Sierra Leone ne sont pas totalement noirs, mais « ils sentent très mauvais »,
  • les Javanais sont « voleurs, provocateurs et serviles »,
  • les Tatares du Daghestan, « les plus laids de tous », sont des « bandits invétérés »,
  • les Lapons ont « un menton pointu et sont aussi fainéants que lâches »,
  • les Hottentots, pudiques et hospitaliers par ailleurs, sont très sales, « on les sent de loin » et qu’ils « enduisent leurs nouveau-nés de bouse de vache et les exposent au soleil »,
  • l’humanité « atteint sa plus grande perfection avec la race des Blancs ».

Premier degré ? Second degré ? Certains auteurs ont noté que de tels propos possédaient un aspect « embarrassant ». Pour notre part, nous nous interrogerons ici de savoir à quel degré les exemples utilisés par une science sociale enseignée doivent-être entendus. Nous retiendrons qu’Emmanuel KANT dit que des témoignages et des auteurs ont dit.

Deux questions demeurent : Quelle est l’intention de l’enseignant ? Quelle est la « marge critique » de l’enseigné ?


COMMENTAIRE du 19 décembre 2019
Le « choix vertical » des programmes scolaires

Dans un article consacré au « plaisir de lire » figurant dans les programmes du baccalauréat de français, Claude POISSENOT, enseignant à l’IUT de Nancy et chercheur au Centre de recherche sur les Médiations (CREM) de l’Université de Lorraine, évoque la notion d’ « élève idéal » comme destinataire des programmes scolaires. Pour lui, les programmes pratiquent un « choix vertical ».

Celui-ci repose sur une double conception :

  • conception de l’enseignant, comme sujet-acteur docile, capable d’intégrer immédiatement toutes les nouveautés,
  • conception de l’élève comme réceptacle de programmes dont ils sont les destinataires en tant que sujets-opérateurs.

On attribue le contenu des programmes scolaires aux ministres de l’éducation qui les présentent au cours d’innombrables conférences de presse. Il s’agit d’une fiction.

Chaque programme est la représentation sociale de ses concepteurs, de leur culture du moment, de leur qualité d’expression…  Ils sont d’abord et avant tout révélateurs de ceux qui les rédigent, de leur formation, de leurs parcours professionnels, avec leurs présupposés, leurs sur-investissements, et leurs lacunes aussi.

Chaque texte de programme scolaire devrait être considéré par les enseignants – et par les citoyens – comme une « copie » rédigée par un groupe d’élèves et faire l’objet d’une correction et d’une notation attribuée au « Comité des programmes » qui les signent et aux inspecteurs généraux qui en sont la cheville ouvrière cachée.

POISSENOT Claude, « Débat : Le plaisir de lire, au programme du bac de français ? », The Conversation, 18 décembre 2019. https://theconversation.com/debat-le-plaisir-de-lire-au-programme-du-bac-de-francais-129031?



Comment enseigner la géopolitique au lycée ?
Conférence organisée le 22 janvier 2020 par l’Institut libre d’étude des Relations internationales (ILERI) à Paris.

COMMENTAIRE du 15 janvier 2020
Comment enseigner la géopolitique au lycée ?

« Afin d’aborder la réforme du baccalauréat qui a introduit à la rentrée 2019-2020 la nouvelle matière « Histoire, Géographie, Géopolitique et Sciences Politiques » en Première et Terminale, l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI) a le plaisir de vous convier à une conférence autour de l’enseignement de la géopolitique au lycée, le mercredi 22 janvier à 18h au sein de notre campus de Paris La Défense. La conférence sera suivie d’un cocktail. »

Intervenants

  • Hugo BILLARD, Professeur d’histoire géographie et géopolitique en classes préparatoires ECS, au lycée Saint-Michel-de-Picpus. Co-auteur du manuel Histoire-Géo, Géopolitique, Sciences Politiques, classes de 1ère (Hatier).
  • Alain JOYEUX, Professeur de chaire supérieure en géopolitique pour les classes préparatoires économiques et commerciales. Président de l’APHEC (Association des Professeurs de Classes Préparatoires au Haut Enseignement Commercial).
  • Gildas LEPRINCE, alias Mister Geopolitix, Youtubeur, vulgarisateur géopolitique.
  • Mikaa MERED, Professeur à l’ILERI, spécialiste de la géopolitique des pôles, co-auteur du manuel Histoire-Géographie, Géopolitique, Sciences Politiques, de 1ère (Hatier).

RÉFÉRENCES DU COMMENTAIRE
« Comment enseigner la géopolitique au lycée ? » Conférence, mercredi 22 janvier 2020, Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI), 20 Bis Jardins Boieldieu, 92071 Paris La Défense. Carton d’invitation recto verso format 21 x 14,8 cm. http://www.ileri.fr/enseigner-geopolitique-lycee-conference/
L’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI) est un établissement d’enseignement supérieur privé français fondé en 1948 par René CASSIN.


COMMENTAIRE du 18 juillet 2021
Ne pas faire fi des sciences sociales

« Le nouveau programme d’histoire des Classes terminales pose des problèmes difficiles. Il se présente comme une explication du monde actuel tel qu’on peut le comprendre aux lumières multiples d’une histoire qui ne fait fi d’aucune des sciences sociales voisines : géographie, démographie, économie, sociologie, anthropologie, psychologie… », p. 3.

  • BAILLE S., BRAUDEL F., PHILIPPE R, Le Monde actuel. Histoire et civilisations. Classes terminales. Propédeutique. Classes préparatoires aux Grandes écoles, Librairie Eugène Belin, 1963.

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L’État menteur. Vie et mort du Collège impérial napoléonien de Saint-Jean-de-Monts (1804-1814)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°360, lundi 8 juillet 2019

Le premier collège impérial napoléonien vendéen est créé à Saint-Jean-de-Monts en 1804 à la suite d’une décision prise par Bonaparte en 1802. Celle-ci constitue un engagement prometteur pour les habitants de la commune et des communes voisines. Pourquoi, pendant dix années (1804-1814), le Collège vivra-t-il dans le dénuement et la pauvreté, avant de fermer en 1814 pour être transféré à Bourbon-Vendée (La-Roche-sur-Yon) ? Deux siècles après, quel regard peut-on porter sur cet exemple d’une politique de l’État en matière de création et de fermeture d’un établissement d’enseignement public ? Quels rapports l’État entretient-il – hier comme aujourd’hui – avec ce qu’il dit, c’est-à-dire avec sa propre parole ?

Anciens bâtiments du Collège impérial napoléonien de Saint-Jean-de-Monts (1804-1814),
8 rue du Both, 85160, Saint-Jean-de-Monts, 13 juillet 2019.
© Photographie Bernard Mérigot / CAD.

Une partie des bâtiments subsiste toujours aujourd’hui. Ils sont situés au lieu dit « Le Vigneau », au numéro 8 de la rue du Both, proche du centre du bourg de Saint-Jean-de-Monts, construits en 1774 et acquis par l’État en juin 1804. Ce dernier y entreprend aussitôt des travaux d’aménagement de l’existant ainsi que d’extension. Une aile avec un étage est ajoutée. Elle a aujourd’hui disparu. Après 1814, les bâtiments serviront de presbytère, puis de mairie, avant d’être vendus à un particulier.

L’ouverture du Collège a lieu en mai 1805, pour la première année scolaire de 1805-1806. Il est prévu pour 50 élèves. Il accueille gratuitement 19 élèves – ce qui est très peu – habitant le marais de Saint-Jean-de-Monts et des autres communes de Vendée. Ils appartiennent à des familles modestes. Les matières enseignées comprennent le français, les mathématiques, le latin, le grec, la géographie, l’histoire et les humanités. Ils seront 77 élèves en 1813.

LE COLLÈGE A-T-IL FORMÉ UNE ÉLITE LOCALE ?
Pour une prosopographie des élèves

Quel est le nombre total des élèves qui ont fréquenté le Collège napoléonien de Saint-Jean-de-Monts ? En l’absence d’un dénombrement complet à partir des archives existantes, nous avançons le nombre total, entre 1804 et 1814, d’environ 300 élèves.

Le collège a compté parmi ses élèves :

  • Jean BEAUSSIRE, maire de Luçon, conseiller général.
  • BENOIST, député de Savenay.
  • De BESSAY, page à la cour de Louis XVIII.
  • Auguste CHAMBOLLE, rédacteur du journal Le Siècle, puis député de Vendée.
  • François CHAMBOLLE, chirurgien en chef et inspecteur des hôpitaux militaires.
    Paul CHAUCHÉ, curé de Chaillé-les-Marais.
  • Louis CHAPPOT, avocat et juge auditeur aux Sables-d’Olonne.
  • Daniel LACOMBE, chanoine et vicaire général de Luçon.
  • LYONNET, aide de camp du général BONAMY.
  • Hippolyte MERLAND, médecin à Bourbon-Vendée (La Roche-sur-Yon).
  • Cyprien POEYDAVANT, antiquaire.
  • Constant ROY, juge de Paix au Poiré-sur-Vie.
  • Narcisse ROY, médecin à Aizenay.

Le Collège napoléonien a-t-il joué un rôle dans la formation locale d’une élite ? Pour répondre à cette question il conviendrait de se tourner vers la prosopographie.  Cette discipline historique, sociologique et anthropologique signifie étymologiquement la « description d’une personne ». Elle porte sur l’étude des personnalités qui composent un milieu social, inventoriées et classées au moyen de notices individuelles dont le but est de mettre en évidence leurs aspects communs (origines, liens de parenté, appartenance, carrière…). Cette démarche a notamment trouvé une reconnaissance avec les travaux de Pierre BOURDIEU lorsque celui-ci a établi les conditions de recrutement de la technocratie d’État au XXe siècle. Dans le cas des élèves du Collège impérial, il appartient précisément à une recherche prosopographique portant sur la totalité de ses élèves, de disposer d’un éclairage tant sur leur origine familiale que sur leurs activités ultérieures. A notre connaissance, une telle recherche n’a pas été entreprise à ce jour.

« Liste des élèves qui doivent être entretenus aux frais de l’État dans l’école secondaire impériale de Saint-Jean-de-Monts,
Département de la Vendée », extrait de « Les études au collège impérial 1804-1814 », Archives départementales de la Vendée, extrait du Bulletin cantonal des Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre-Dame-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans), n° 14, 1985, p.11.

 L’AMBITION DU POUVOIR NAPOLÉONIEN

Le Collège de Saint-Jean-de-Monts, malgré le prestige que certains accordent au caractère impérial de la décision de sa création, a connu un fonctionnement marqué par l’improvisation.  Son existence, en tant qu’établissement scolaire d’État, a été prise entre des promesses tenues très partiellement par le pouvoir central et les besoins locaux.

De 1804 à 1884, élèves et enseignants ont vécu dans un état de quasi dénuement : les archives font mention de la précarité des locaux, de leur absence de fonctionnalité, de leur manque de confort et d’équipements. Bernard POUVREAU écrit qu’après huit années de fonctionnement (nous sommes donc en 1812) :

« le collège impérial ne dispose toujours pas de salles spécifiques de classe. Certains élèves suivent les cours dans une grange (…) parmi les provisions de bois, de charbon, de légumes, de paille… Une seconde partie des élèves fait classe dans le dortoir à l’étage. La troisième classe occupe le cabinet exigu du rez-de-chaussée, et la dernière travaille dans la salle d’études.
Contrairement aux autres collèges de l’époque, celui de Saint-Jean-de-Monts ne peut accueillir de salle de dessin, d’armes, de musique, ni même d’infirmerie, de magasins ou encore de bibliothèque.» (POUVREAU, 2017, p. 71)

Le tableau est encore incomplet. S’y ajoute le fait que « les élèves sont assez mal nourris, exclusivement soumis à une alimentation de poissons d’eau douce et de mer, de coquillages et d’huîtres. Le pain, la viande les laitages et les légumes coûtent cher ». (POUVREAU, 2017, p.79)

Enfin, « on constate un dédain inexplicable pour les mesures de propreté les plus élémentaires. Les sanitaires sont inexistants et il faut effectuer de longs trajets  pour aller chercher l’eau potable, à dos de cheval, à travers les dunes. Dans de telles conditions d’hygiène, les microbes pullulent… » (POUVREAU, 2017, p.79) (1)

« Les études au Collège impérial 1804-1814 »,
par B. GENDRE, Bulletin cantonal des Pays de Monts, n° 14, 1985, p.1

LA DÉCISION POLITIQUE DE BONAPARTE
ET LE SUIVI ADMINISTRATIF DE LA DÉCISION PAR LE PRÉFET

La vie politique de l’administration des territoires est une hydre à deux têtes : celui qui prend la décision n’est pas celui qui assure l’exécution de cette décision. Nous sommes en présence de deux documents :

  • La lettre de Bonaparte, Premier consul, du 22 février 1804.
  • La lettre de Jean-François MERLET, préfet de Vendée du 1er mars 1804.

Lettre au ministre de l’Intérieur, 2 ventôse an XII (22 février 1804)

Paris, le 2 ventôse an XII de la République française

Au ministre de l’Intérieur,

Mon intention, citoyen Ministre, est qu’il y ait une école secondaire à Saint-Jean-de-Monts, principale commune du marais, département de la Vendée. Faites choisir un local pour y en établir une et nommez les instituteurs. On y enseignera à lire, à écrire et les premiers principes du latin, de la géographie et de l’histoire.
On y entretiendra aux frais de l’État cinquante jeunes gens du marais et des autres communes du département de la Vendée. La pension de ces cinquante jeunes gens sera payée à raison de quatre cents francs. Je désire que vous preniez des mesures pour mettre cette école en pleine possession avant deux mois. On se servira de la meilleur maison qu’on trouvera.

Bonaparte

Lettre du Premier consul Bonaparte en date du 2 ventôse an XII (22 février 1804)
concernant la création d’une École secondaire (« Collège impérial »)
à Saint-Jean-de-Monts (Vendée).

ENTRE LES MAINS DU PRÉFET
Dire et ne pas faire

La lettre du Premier consul en date du 22 février 1804 adressée au ministre de l’Intérieur est transmise au préfet de la Vendée. Celui-ci écrit à son tour une lettre en date du 1er mars 1804 (10 ventôse an XII). Il reprend en partie la lettre de Bonaparte. Il y ajoute un paragraphe de son cru.

Le 1er mars 1804

Le Premier consul vient de signaler sa constante bienveillance pour ce pays par un nouveau bienfait : sachant le défaut des connaissances, de lumières et d’instruction, a toujours exposé cette contrée aux erreurs des préjugés et aux dangers de la séduction, il vient d’ordonner l’établissement d’une école secondaire dans la partie des Marais de l’Ouest, arrondissement des Sables.

La décision d’État prend une allure de propagande politique. Le préfet en rajoute, évoquant la « constante bienveillance » du Premier consul, (Pourquoi « bienveillance », et pourquoi « constante » ?), puis celle d’un « nouveau bienfait » dont bénéficie la commune de Saint-Jean-de-Monts. Le caractère idéologique se trouve appuyé lorsqu’il justifie la décision du pouvoir comme s’appliquant à une « contrée exposée aux erreurs des préjugés » et aux « dangers de la séduction ».

Quel est ce préfet qui est l’auteur de ces lignes ?

La lettre du 1er mars 1804 est signée par Jean-François MERLET (1761-1830), préfet de Vendée en fonction depuis le 15 janvier 1801. Il demeurera 8 années à son poste. A son sujet Claude PETITFRÈRE évoque « les sinuosités de la carrière de Merlet et pour tout dire ses retournements d’opinion. Car le personnage semble l’archétype du caméléon en matière d’opinion politique, une figure certes répandue à toutes les époques, mais que la rapidité et la fréquence des changements de régime aux confins des XVIIIe et XIXe siècles ont multiplié. » (PETITFRÈRE, 2010)  (2)

Ce serait une erreur de penser que toute l’administration préfectorale repose sur la seule personne du préfet. Celui-ci est entouré par des collaborateurs (membres de cabinet, secrétaire général, chefs de service, secrétaires…), dont le nombre est parfois très réduit, qui assurent la continuité de l’administration au quotidien. Même si les décisions sont signées par lui, ou par des collaborateurs, il n’en est pas systématiquement le rédacteur.

Pourquoi le préfet en fait-il autant en 1804 ? Et pourquoi fera t-il le minimum dans les années qui suivent ? Peut-être. Il y a un automatisme politique qui consiste à dire le maximum et à faire le minimum, en pensant que ce qui est dit marquera davantage que ce qui n’est pas fait. C’est un syndrome permanent de l’administration. Plus on descend, plus les fonctionnaires justifient l’inexistence (de budget, de personnel, de service…).

Entre 1801 et 1814, en dix ans, quatre préfets de Vendée se succèdent.

  • Jean-François MERLET (25 nivôse an IX – 12 février 1809), 15 janvier 1801 – 12 février 1809 (8 ans)
  • Prosper BRUGIÈRE DE BARANTE, 27 février 1809 – 12 mars 1813 (4 ans)
  • Anne-Léonard-Camille BASSET DE CHATEAUBOURG, 13 avril 1813 – 10 juin 1814 (1 an)
  • Nicolas FREMIN DE BEAUMONT, 14 juillet 1814 – 22 mars 1815 (8 mois)

Trois choses doivent être prises en considération dans le dossier du Collège de Saint-Jean-de-Monts :

  • l’engagement personnel du préfet,
  • le suivi par l’administration départementale,
  • les initiatives de maire et des autorités locales.

Quelles sont les leçons à tirer de l’échec d’une implantation durable de création d’un établissement d’enseignement secondaire à Saint-Jean-de-Monts ?  Il aura fallu 10 années pour que le manque de moyens alloués à ce projet conduise à sa disparition. De qui est-ce l’échec ? De Napoléon ? De l’administration départementale ? Des autorités locales ? Échec. Il s’agit de l’échec d’un système politique fondé sur le principe de la séparation entre celui qui décide et celui qui exécute, l’exécutant état lui-même un décideur qui a la capacité de faire, de bien faire, de mal faire ou de ne pas faire.

L’EXISTENCE DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
RELÈVE DE LA GOUVERNANCE COLONIALE

L’affaire du Collège impérial de Saint-Jean-de-Monts offre l’exemple contrasté (il y a du pour, et il y a du contre) d’une succession de séquences dont le pouvoir politique, les responsables locaux et les habitants sont les acteurs.

  • D’abord, des actes et des réalités : la décision prise par le pouvoir central, les moyens insuffisants accordés au fil des années, les effectifs peu importants, la décision de fermeture et le transfert dans une autre ville.
  • Ensuite, des sentiments : la satisfaction des habitants d’une commune de disposer d’un collège, la rivalité potentielle avec les autres institutions locales d’enseignement, le regret de sa fermeture. Encore aujourd’hui demeure l’aura du prestige napoléonien d’avoir choisi la commune.

Le pouvoir politique peut à son gré décider l’implantation d’un équipement public sans aucune concertation locale. Et le fermer. Au nom de l’intérêt général. Au mépris des intérêts locaux. Le modèle de gouvernance en œuvre est un modèle autoritaire de type colonial : d’un côté, ceux qui décident, de l’autre côté, ceux qui exécutent. Les décisions prises par ceux qui exercent l’autorité s’imposent aux responsables et aux populations locales. Il existe des marges de négociation, elles ne sont pas inexistantes, mais elles sont faibles. On voit le maire diriger le collège par intérim, et des prêtres locaux être recrutés comme enseignants.

LA RESSOUVENANCE MÉMORIELLE
DES TERRITOIRES

« Napoléon Bonaparte a choisi Saint-Jean-de-Monts » : les faits et de les sentiments que révèlent l’histoire locale s’inscrivent dans les territoires, c’est-à-dire dans un espace à plusieurs niveaux,  marqué par le non-dit, le silence, l’oubli, mais aussi par la ressouvenance, la reconstruction, la réinvention… Les paroles dites, les paroles écrites, les actes s’inscrivent quelque part dans les lieux. (« Napoléon Bonaparte a choisi Saint-Jean-de-Monts).

LA DURABILITÉ DES TERRITOIRES

Il n’y a rien de plus contemporain que d’interroger cette mémoire au sujet de la durabilité territoriale des politiques publiques. Bonaparte est un moment de l’État français. Comme Louis XIV avant lui, et comme d’autres après lui. Peu importe que les présidents de la République se succèdent, tout comme les ministres de l’Éducation nationale, et comme les préfets. La question est de savoir quelles institutions locales répondent aux besoins des territoires, quelles sont celles qui ont les moyens de la part de l’État pour fonctionner et dont l’existence demeure ?

L’ARBITRAIRE DU DOUBLE POUVOIR
A-T-IL UN AVENIR ?

L’ouverture d’une école se satisfait de l’arbitraire. En est-il de même de sa fermeture ? Le prestige accordé à un pouvoir politique passager peut-il masquer l’amertume citoyenne locale qui est ressentie à l’égard d’une promesse non tenue ? Les revendications modernes en matière de démocratie participative peuvent-elles accepter le double discours du pouvoir qui décide, qui promet, et de ce même pouvoir qui n’exécute pas ou bien ne fait pas  ?

Bonaparte croit-il à ce qu’il écrit ? Le préfet croit-il à ce qu’il écrit ? Ils ne sont pas dans la durée mais dans l’instant, dans le dire d’une immédiateté inconséquente. La chose décidée a davantage d’importance que la chose réalisée. Le pouvoir croit-il en ce qu’il énonce au moment où il l’énonce ? Ou bien pense-t-il : « On verra bien demain ». Et les citoyens, les habitants, les usagers… croient-ils aux discours qui leur sont adressés par les « autorités » ? Doivent-ils y croire ou bien ne pas y croire ? La question relève d’une anthropologie de la croyance. (3) La résistance des choses vis a vis des nouveautés est la leçon permanente de l’action politique et administrative de l’État

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES DE L’ARTICLE

1. POUVREAU Bernard, « L’implantation d’une école secondaire à Saint-Jean-de-Monts », Cahiers d’Histoire du Pays Maraîchin, n°3, 2017, p.60-87. GENDRE B.,« Les études au collège impérial 1804-1814 », Bulletin cantonal des Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre-Dame-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans), n° 14, 1985, p.11.

2. PETITFRÈRE Claude « Heckmann, Thierry, Napoléon et la paix. Deux préfets de la Vendée, Jean-François Merlet – Prosper de Barante, Le Château-d’Olonne/La Roche-sur-Yon », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°117-2, 2010, p. 163-165. http://journals.openedition.org/abpo/1789

3. A ce sujet, Michel de CERTEAU écrivait :
« [La réflexion sur croire comme acte] n’implique d’aucune manière que le sujet maîtrise ou contrôle ce qu’il croit, puisqu’elle analyse au contraire les manières dont s’inscrit, dans le langage et dans l’action, le rapport du sujet avec ce qui lui échappe, c’est-à-dire avec
l’autre, sous des formes inter-relationnelles (la relation à autrui), temporelles (la loi d’une durée) et pragmatiques (la résistance des choses). À cet égard, l’acte de croire apparaît comme une pratique de l’autre. Cette gestion de l’altérité comporte une série d’aspects, dont ceux qui concernent la nature et le fonctionnement de l’institution de sens, et qui circonscrivent, comme ses faubourgs, l’institution particulière qu’est le magistère. »
DE CERTEAU Michel,
« L’institution du croire », 1983, p. 62.
Cité par : ROYANNAIS Patrick, « Michel de Certeau : l’anthropologie du croire et la théologie de la faiblesse de croire », Recherches de Science Religieuse, 2003/4 (Tome 91), p. 499-533. DOI : 10.3917/rsr.034.0499. URL : https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2003-4-page-499.htm

PUBLICATIONS GÉNÉRALES SUR LES COLLÈGES NAPOLÉONIENS
Classement chronologique

  • BOUDON Jacques-Olivier (dir.), Napoléon et les lycées. Enseignement et société en Europe au début du XXe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions-Fondation Napoléon, 2004.
  • SAVOIE Philippe, « Construire un système d’instruction publique. De la création des lycées au monopole renforcé (1802-1814), in BOUDON Jacques-Olivier (dir.), Napoléon et les lycées. Enseignement et société en Europe au début du XXe siècle, Paris, Nouveau Monde Éditions-Fondation Napoléon, 2004. http://rhe.ish-lyon.cnrs.fr/sites/default/files/savoie_coll_napoleon.pdf
  • SAVOIE Philippe, « Création et réinventions des lycées (1802-1902) », in Lycées, lycéens, lycéennes, deux siècles d’histoire, Paris, Institut national de recherche pédagogique, 2005. pp. 59-71. www.persee.fr/doc/inrp_0000-0000_2005_act_28_1_9241
  • BRAMBILLA Elena, « Lycées et Université impériale », Rives méditerranéennes, n°32-33, 2009. http://journals.openedition.org/rives/2949 ; DOI : 10.4000/rives.2949

PUBLICATIONS SUR LE COLLÈGE IMPÉRIAL-DE SAINT JEAN-DE-MONTS
Classement chronologique

Le classement chronologique permet de situer les périodes d’indifférence, de silence d’oubli, et les moments où la mémoire se manifeste par la publication d’articles sur le sujet.
  • 1804
    BONAPARTE,
    Lettre.
    MERLET, Lettre.
  • 1897
    LOUIS Eugène, 
    « L’École secondaire de Saint-Jean-de-Monts », Bulletin de la Société d’Émulation de la Vendée, 1887.
  • 1969
    POUVREAU Bernard,
    « Notes d’Histoire locale », Bulletin municipal de Saint-Jean-de-Monts, n°4, 1969.
  • 1985
    GENDRE B.,
    « Les études au collège impérial 1804-1814 », Bulletin cantonal des Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre-Dame-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans), n° 14, 1985, p.11.
  • 2004
    Bicentenaire de la création de la ville de La-Roche-sur-Yon par Napoléon.
  • 2004
    POUVREAU Bernard,
    in VITAL Chistophe, Napoléon Bonaparte et la Vendée, Conservation des Musées de Vendée/Éditions Somogy, 2004.
  • 2007
    La Lettre originale créant l’École impériale et signée par Bonaparte est vendue aux enchères publiques. Elle est acquise par la commune de Saint-Jean-de-Monts.
  • 2010
    PETITFRÈRE Claude,
    « Heckmann, Thierry, « Napoléon et la paix. Deux préfets de la Vendée, Jean-François Merlet – Prosper de Barante, Le Château-d’Olonne/La Roche-sur-Yon », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°117-2, 2010, p. 163-165. http://journals.openedition.org/abpo/1789
  • 2012
    « L’histoire du collège impérial de Saint-Jean-de-Monts, 1804-1814 », Exposition présentée à la Médiathèque de Saint-Jean-de-Monts, 25-juin – 18 juillet 2012. Dossier de presse, 12 p.
    PERRET Marie-Sophie, Conférence donnée le 23 juin 2012 à la Médiathèque de Saint-Jean-de-Monts.
  • 2017
    POUVREAU Bernard,
    « L’implantation d’une école secondaire à Saint-Jean-de-Monts », Cahiers d’Histoire du Pays Maraîchin, n°3, 2017, p.60-87.

VIDÉOS EN LIGNE

LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS

  • Anciens bâtiments du Collège impérial napoléonien de Saint-Jean-de-Monts, 8 rue du Both, 85160, Saint-Jean-de-Monts. © Photographie Bernard Mérigot / CAD.
  • « Liste des élèves qui doivent être entretenus aux frais de l’État dans l’école secondaire impériale de Saint-Jean-de-Monts, Département de la Vendée », extrait de « Les études au collège impérial 1804-1814 », Bulletin cantonal des Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre-Dame-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans), n° 14, 1985, p.11.
  • « Les études au Collège impérial 1804-1814 », par B. GENDRE, Bulletin cantonal des Pays de Monts, n° 14, 1985, p.10.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°360, lundi 8 juillet 2019

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Anthropologie du quotidien. Comment décrire l’apport de l’expérience des Gilets jaunes ?

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°358 lundi 24 juin, 2019

Il n’échappe à personne que les manifestations des « Gilets jaunes » qui ont débuté en novembre 2018 et qui se poursuivent en cette fin de premier semestre de l’année 2019, constituent un moment historique porteur d’une expérience politique puissante, productrice de liens, de sens, de résonances, d’expériences politiques et de productions esthétiques. En un mot, elles sont constitutives de savoirs qui marquent les temporalités individuelles et collectives : il y a un « avant Gilets jaunes » et un « après Gilets jaunes ».
Comment l’anthropologie et les sciences humaines et sociales peuvent-elles traduire l’imaginaire qui a traversé – et continue de traverser – le soulèvement des Gilets jaunes ? C’est l’une des questions posées par les organisateurs des deux journées d’étude qui se déroulent à la Maison des Sciences de l’Homme de Paris Nord
. (1)

Le cri de Gilet jaune : « J’existe ! », Inscription collée sur la base d’un candélabre d’éclairage public, rue Saint-Martin, Paris, 3e, 19 décembre 2018. © Photographie Bernard MÉRIGOT / CAD.

SE DÉPARTIR DU RÉDUCTIONNISME

Les chercheurs de l’ « Atelier des Ronds-points » insistent sur le fait que, pour entrer dans l’étude sensible des Gilets Jaunes, il faut se départir des catégories réductionnistes convenues et erronées concernant le « populisme » et les « mouvements populistes ». « Un soulèvement populaire n’est rien d’autre qu’une tentative de survie à la crise sociale et écologique d’une partie de la population qui met en branle des forces par nature hétérogènes, et souvent contradictoires. »

Depuis son commencement, le mouvement des Gilets jaunes s’est construit dans une double dimension :

  • la contestation de la légitimité des élites au pouvoir et des discours qu’elles tiennent (tous les discours, et ceux de l’université et de la recherche n’y échappent pas),
  • la « re-prise de la parole » par ceux dont les voix et les actes étaient devenus inaudibles dans ce que nous nommons l’espace démocratique. Ces re-prises de paroles ont pris des formes très diverses, depuis les discussions de ronds-points, d’apparence ordinaires, en passant par les assemblées, les débats, les productions esthétiques…

S’il est dans l’ordre des choses que paroles soient échangées localement par des habitants du lieu (encore que…), il est  est inhabituel que celles-ci le soient sur des ronds-points, par des Gilets jaunes, résidents temporaires de ces espaces inexistants.

LE RETOUR DE LA RECHERCHE-ACTION

L’originalité de la démarche de l’anthropologie du contemporain, ainsi que des sciences humaines et sociales qui lui sont associées, est d’instaurer un débat entre les Gilets jaunes et les chercheurs. Les travaux d’enquête qui sont en cours ont débuté il y a six mois, en décembre 2018. Le point d’étape qui est effectué aujourd’hui en juin 2019 fait tout naturellement une place large aux récits et aux pratiques de ceux qui ont construit ce mouvement. L’esprit de l’étude de ce mouvement social est celui d’une recherche-action qui reconnaît la mise en forme des récits de ses acteurs comme constitutive de savoirs issus d’une expérience de terrain.

HISTORICITÉ ET ANTHROPOLOGIE DU CONTEMPORAIN

Marc AUGÉ, lorsqu’il a employé le terme de « contemporain », a procédé à une réorientation du champ de l’anthropologie en prenant acte de son histoire afin de lui dessiner un avenir. La contemporanéité n’est pas ici une nouvelle période historique, mais un régime d’historicité qui entretient un rapport particulier à l’histoire.

Le contemporain en anthropologie consiste à porter une attention conséquente à plusieurs choses :

  • au monde qui en train de se défaire, de se refaire, de se faire,
  • aux pratiques, aux représentations, aux institutions… qui sont en évolution permanente, en création continue,
  • aux environnements qui changent,
  • aux altérités sans cesse redéfinies en raison de la circulation mondialisée des personnes et des biens,
  • aux technologies de l’information et de la communication et à leurs effets paradoxaux : rapprocher et éloigner, unir et séparer, simplifier et complexifier.
« Au temps pour nous », rue de Rennes, Paris 6e, 13 février 2019. © Photographie de Bernard Mérigot / CAD.

UNE ANTHROPOLOGIE DES SITUATIONS

L’anthropologie ne peut rester indifférente – et les anthropologues ne peuvent rester indifférents – aux terrains contemporains. L’anthropologie doit s’en saisir et les terrains doivent la saisir. Toute observation et toute analyse du présent devient alors un projet anthropologique à l’image des Culture contact et du changement social.

L’anthropologie du contemporain s’efforce de participer à une démarche compréhensive en développant une anthropologie des situations : chaque unité d’observation prend sens dans le présent, et dans une « réalité » choisie, démêlant les fils afin de rendre compte de la complexité et des « dynamiques » à l’œuvre . Elle a trois préoccupations :

  • restituer l’épaisseur des réalités observées,
  • situer leurs tensions constitutives,
  • considérer le temps et la durée pour repérer continuités et discontinuités.

Un événement, une crise, une évolution, un exode… constituent autant d’ objets-notions travaillés au sein d’une unité, qu’il s’agisse d’un effet caché de la mondialisation, d’une autochtonie, d’une patrimonialisation, d’une acculturation, d’une environnementalisation. La saisie du monde en acte se fait toujours dans une approche réflexive.

Le choc des authenticités est aussi le choc des temporalités. L’usage varié des catégories anthropologiques contribuent à la production, hier comme aujourd’hui, d’imaginaires sociaux et culturels, de cadres de référence individuels et collectifs.

« On fait du même avec du différent » ou encore « Plus c’est différent plus c’est la même chose » sont des postulats qui ont valeur de vérité anthropologique. Ils invitent –  dans le sillage des travaux de François HARTOG, Nicole LORAUX et Marshall SAHLINS  – à porter l’attention à trois notions : anachronisme, structure et histoire. Retenons le mot d’ordre de ce dernier : « Scruter la structure en mouvement pour repérer le mouvement de la structure » .

DOCUMENT

CONTER ET DÉCRIRE
LES EXPÉRIENCES DES GILETS JAUNES
Atelier des Ronds-points
Journées d’étude

Mercredi 26 juin 2019

1. Enquête sur l’histoire des ronds-points
•   Enquête sur la cartographie historique des ronds-points, par B. Dumenieux et Maurizio Gribaudi.
•   L’observation des ronds-points par des Gilets Jaunes, par Jean Paul et Patricia, Gilet Jaune de l’Ile Saint Denis.
•   Gilets Jaunes et logistiques : univers croisés, par David Gaborieau /ANR Worklog/Paris Est.
2. Ethnographie des ronds-points et des pratiques d’assemblées
•   Le rond-point de Crolles (Grenoble), par Luc Gwiazdzinski.
•   Des ronds-points à Paris : la manifestation du samedi comme nouvelle forme de mobilisation politique, par Quentin Ravelli, CNRS (CMH).
•   La fin des cabanes. Conflits, rapports de force et reconfigurations de l’espace militant sur le rond-point de Camon, par Loïc Bonin et Pauline Liochon.
•   Comment les ronds-points sont devenus des places publiques ? Retour à partir d’observation dans l’Oise et en Seine Saint Denis, par Benoit Hazard (IIAC).
•   Le rond-point de Loch, par Olivier Morin, journaliste.
3. L’organisation d’un mouvement social
•   Témoignages des groupes de l’Oise, de l’Ile-Saint-Denis, de Pierrefitte sur leurs modalités d’organisation.
4. Nos histoires de gilets jaunes ? Les Gilets jaunes : des producteurs de savoirs
•   Introduction, par Hugues Bazin, Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche-Action.
5. L’histoire d’un soulèvement racontée par les Gilets Jaunes
•   Comment je suis devenue Gilet Jaune ? ». Témoignage par Marjory, Collectif Pantin, et Tony Gilet jaune du 78.
•   Reprendre la parole avec des posts ? par Agnès Verdurant.
6. L’expérience des ronds-points et des pratiques d’assemblée
•   D’un hiver sur le rond-point d’Allone (Beauvais) à l’association collégiale, par Michel, David, et Coralie.
•   Des femmes sur les ronds-points, par Ida Susser, Anthropologue et deux femmes gilets jaunes.
•   Poésie des ronds-points et répression des poètes, par Sylvestre Meinzer.
7. Y-a-t-il eu une fraternité des ronds-points ?
•   Petite histoire d’une banderole ?, par Benoit Hazard.
•   Le rond-point du bois de lihus, par Vincent.
•   Domu et Marco à Senlis.
•   Les maraudes de Beauvais, par Maella.
8. S’associer et composer avec les autres
•   Débat entre les gilets jaunes présents, animé par Raphael Challier, Université de Mulhouse.
•   Les gilets jaunes : des composites « a partisan » et pourtant hétérogènes.
9. Composer avec les gilets jaunes : retour d’expérience ?
•   Les Gilets jaunes chez Géodis (Genevilliers), par David et des salariés de Géodis.
•   L’expérience d’un soutien des gilets jaunes à une lutte syndicale : les clinalliances, par Thierry et des salariés des Clinalliances.
•   Des gilets jaunes face à la fermeture d’un hypermarché, par Michel Vindeninde.

Jeudi 27 juin 2019

1. Images en mouvement
Introduction, par Jean Bernard, Ouédraogo, Sylvestre, Monique, Arghyro, Christiane ,Guillaume.
Un univers sonore et esthétique du mouvement, par Benoit
Le groupe du journal « Plein le dos », par Simon, Rubert et d’autres.
Écrire la ville dans des parcours de manifestations, par le Groupe des signataires, Sophie Tissier)
2. Quelles formes pour investir et se réapproprier les espaces encodés du pouvoir ? Débat
3. Travaux en groupes sur des thèmes définis par l’atelier
Reprendre la parole et le contrôle de nos émotions,
« Actions et manifestations ».
« Écrire la violence et l’arbitraire » et autres thèmes à définir ensemble
Récit de l’arbitraire, par Stéphane Espic.
L’abécédaire Gilet Jaunes
Projet d’exposition
« 3e Traces, griffages et graphismes Jaunes »
Atelier pratique d’écriture ou de graphie

RÉFÉRENCES

1. « Conter et décrire les expériences de Gilets jaunes. Atelier des Ronds-points », Journées d’étude organisées par l’Institut interdisciplinaire d’Anthropologie du Contemporain (IIAC), la Maison des Sciences de l’Homme-Paris Nord (MSH) et le Laboratoire d’Innovation Sociale par la Recherche action (LISRA), 26 et 27 juin 2019, Maison des Sciences de l’Homme Paris Nord, 20 avenue Georges Sand, 93210 Saint-Denis-la-Plaine (Seine-Saint-Denis).

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Un cri de Gilet jaune : « J’existe ! », Inscription collée sur la base d’un candélabre d’éclairage public, rue Saint Martin, Paris, 3e, 19 décembre 2018. © Photographie Bernard MÉRIGOT / CAD.
  • « Au temps pour nous », rue de Rennes, Paris 6e, 13 février 2019. © Photographie de Bernard Mérigot / CAD.

ARTICLES EN LIGNE SUR http://savigny-avenir.info

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°358, lundi 24 juin 2019

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Élections européennes 2019. L’année du chien

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°352 lundi 13 mai, 2019

Je n’ai pas été choqué qu’un chien me regarde lorsque je suis passé devant les panneaux officiels de propagande électorale pour l’élection européenne, qui a lieu le dimanche 26 mai 2019. Un chien qui m’interpelle : « Les animaux comptent, votre voix aussi ». Je tiens à dire que j’aime les animaux. J’aime les chiens. J’ai peut-être une préférence pour les chats, plus mystérieux. En fait, j’aime tous les animaux. Non pas seulement au nom de la nécessaire biodiversité des espèces, mais parce qu’ils sont tous des êtres sensibles et qu’ils n’habitent pas la terre comme nous sans raison. La semaine dernière, tôt le matin, alors que le jour se levait à peine et qu’il pleuvait, en marchant sur le trottoir,  j’ai écrasé un escargot. J’en ai été désolé. Tous les animaux doivent tous être respectés et protégés. Aujourd’hui, pour la plupart, ils tolèrent l’homme sur terre, mais on ne sait pas combien de temps cela durera.

« Les animaux comptent, votre voix aussi ». Affiche du Parti animaliste (Liste n°31) aux élections européennes du dimanche 26 mai 2019. Panneaux électoraux officiels, avenue Charles de Gaulle, Savigny-sur-Orge (Essonne), 12 mai 2019. © Photographie Bernard Mérigot / CAD.

Un chien fait donc l’affiche du Parti animaliste. Celle-ci est collée sur le panneau n° 31. Le nombre total de listes inscrites est de 34. Selon les sondages et les simulations qui existent deux semaines avant le scrutin :

  • il semble que seules 5 listes auront un nombre suffisant de voix pour avoir des élus (composant les 79 élus français),
  • de ce fait, les 29 autres listes, chacune de 79 personnes (ce qui représente un total de 2 291 personnes) n’auront aucun élu.

Ceux qui ont vu la comédie musicale Cats de Andrew Lloyd WEBBER, adaptation de Old Possum’s Book of Pratical Cats (1981) de Thomas Stearns ELIOT (1888-1965), prix Nobel de littérature, se souviennent  que chaque chat possède un nom secret. Les êtres humains aussi ont un nom secret. Leur révélation est  un évènement du sens. La poésie et la psychanalyse nous en ont offert des exemples. Supposons que ce petit chien porte le nom d’Élection européenne, ce qui serait un nom original pour un chien : il risque de faire oublier le vrai nom des candidats et des candidates.  Je ne suis pas expert en races de chien. Il me semble qu’il s’agisse d’un beagle. Si c’est le cas, ce n’est pas une coïncidence parce que c’est un chien qui est actuellement en 2019 « à la mode ». (1)

PETIT TRAITÉ DE SIMULATION

Sondages et simulations d’avant-élection circulent sur les réseaux sociaux et dans les médias. Réalisés et publiés aujourd’hui 13 mai 2019, ils sont des reflets des tendances de fond qui existent avant l’élection du 26 mai 2019. Par-delà les tentatives de manipulations dont elles sont la manifestation de la part des uns et des autres, ils font partie intégrante des campagnes électorales. Ils engagent la notoriété du média qui les publient. Quinze jours à attendre,  pour entendre alors « Je vous l’avais bien dit ! »

La liste des 79 élus français au Parlement européen qui seront élus en 2019 dans deux semaines a été publiée quinze jours avant par Huffingtonpost, « Si les élections européennes avaient eu lieu ce dimanche », elle se répartirait de la façon suivante (2) :

  • Rassemblement national (Jordan BARDELLA) : 24 élus
  • Renaissance/La République en marche : (Nathalie LOISEAU) : 23 élus
  • Les Républicains (François-Xavier BELLAMY) : 14 élus
  • La France insoumise (Manon AUBRY) : 11 élus
  • Europe/Écologie Les Verts (Yannick JADOT) : 7 élus

RASSEMBLEMENT NATIONAL

Le Rassemblement national. Prévision : 24 élus

RENAISSANCE – LA RÉPUBLIQUE EN MARCHE

La liste Renaissance. Prévision : 23 élus.

LES RÉPUBLICAINS

 

Les Républicains. Prévision :14 élus.

LA FRANCE INSOUMISE

La France insoumise. Prévision : 11 élus

EUROPE-ÉCOLOGIE LES VERTS

 

Europe Écologie Les Verts. Prévision : 7 élus.

L’ALTÉRATION DE LA LÉGITIMITÉ DU VOTE

Le problème n’est pas de commenter cette situation, fondée sur une simulation, en se réjouissant ou en déplorant qu’une liste soit devant une autre, ou que telle autre liste soit complètement éliminée. Il consiste tout simplement, dans l’hypothèse où le résultat au soir du dimanche 26 mai soit peu différent de la prévision faite le 13 mai, et mises à part quelques incertitudes (un élu en plus sur une liste, un élu en moins sur une autre liste), dans l’existence même d’une coïncidence entre deux ordres de fait, « ce qui n’a pas encore eu lieu » et « ce qui a effectivement lieu ».

On se rend bien compte que ce nouvel imaginaire électoral, fondé sur l’anticipation et potentialisé par les réseaux sociaux, est porteur d’implications symboliques qui altèrent profondément la légitimité de l’acte de voter, cette pratique majeure de la démocratie. Désormais, on sait à l’avance. Ce qui renforce d’autant l’attente d’une ultime rumeur  provoquant un coup de théâtre de nature à déjouer ainsi les prévisions. L’incertitude de l’attente devient la seule certitude.

Comment expliquer aux jeunes générations, d’une façon convaincante, l’espace grandissant qui sépare de plus en plus deux informations : celle qui anticipe et celle qui rend compte, dans la mesure où elle ont le même contenu ?

LA LIBERTÉ DILATE L’AVENIR DU MOMENT

Qui, parmi les acteurs de la vie politique, tient compte de l’ interrogation citoyenne de déception nouvelle ? Le vote qui était personnel et secret devient collectif et public. Nous sommes en présence de ce qui doit être qualifié de « sensation », comme l’évoquait Paul VALÉRY dans ses Regards sur le monde actuel. Il écrivait « La liberté est une sensation. Cela se respire. L’idée que nous sommes libres dilate l’avenir du moment ».  Avant de poser la question de son Ultima verba : « Que jamais revivant ce qui est aujourd’hui ne te vienne à l’esprit cette lourde parole : A quoi bon ? » (3)

RÉFÉRENCES DE L’ARTICLE
1.
« Le  beagle est un chien de chasse d’origine anglaise qui rencontre actuellement un succès croissant comme petit chien de compagnies. Très gentil, joueur, clown, il s’entend à merveille avec les enfants. Il peut vivre en ville  s’il n’est jamais seul. Sinon il hurle  la mort » (Télé 7 Jours, L’hebdo le plus lu de France, Programmes du 18 au 24 mai 2018, p. 113).
On voit Poppy, un chien beagle dans la publicité pour la Peugeot 208. « Poppy est devenu complètement fou. Il faut que je l’emmène chez le vétérinaire ».
2.
BOUDET Alexandre, « Si les européennes avaient eu lieu ce dimanche, le RN aurait fini en tête et le PS n’aurait eu aucun élu », Huffingtonpost, 13 mai 2019. https://www.huffingtonpost.fr/entry/europeennes-2019-selon-les-sondages-voici-qui-seraient-les-elus_fr_5cd923d1e4b0705e47defb33
3. VALÉRY Paul,
« Respirer », Regards sur le monde actuel in Œuvres, Tome II, Gallimard, 1960, p. 1158.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • « Les animaux comptent, votre voix aussi ». Affiche du Parti animaliste (Liste n°31) aux élections européennes du dimanche 26 mai 2019. Panneaux électoraux officiels, avenue Charles de Gaulle, Savigny-sur-Orge (Essonne), 12 mai 2019. Photographie Bernard Mérigot / CAD.

COMMENTAIRE
24 mai 2019

DOCUMENT

EUROPÉENNES 2019
COMBIEN D’ÉLUS POURRAIENT OBTENIR CHAQUE LISTE FRANCAISE ?

Les intentions de vote à quelques jours du scrutin permettent d’établir une projection en nombre de sièges pour chaque formation politique.
Combien seront-ils de chaque liste à siéger au Parlement européen ? Dimanche soir, jour des élections européennes, chaque formation politique devrait être fixée.
La France se voit accorder 79 sièges dans l’hémicycle. 79, c’est aussi le nombre de candidats présents sur chacune des 34 listes. Seule une minorité d’entre eux a donc l’espoir d’être élus députés européens. Explications.
Un mode de calcul compliqué. Précision importante pour commencer : seules les listes ayant obtenu 5 % des voix obtiennent des élus. Pour en estimer le nombre pour chacun des partis, il faut se plonger dans le mode de calcul, un peu complexe.
Le scrutin se déroule en un seul tour et il a lieu à la proportionnelle, avec en plus la règle dite de la plus forte moyenne. En clair, chaque liste se voit d’abord attribuer un nombre de sièges proportionnel à son nombre de voix. Les sièges restants (ceux qui auraient dû revenir aux autres listes s’il n’y avait pas le seuil des 5 % des voix) est attribué aux formations ayant obtenu la plus forte moyenne.
Six listes devraient avoir des élus. Pour établir une projection, nous avons estimé les intentions de vote à partir de cinq sondages de cinq instituts différents, publiés cette semaine : Ipsos, Elabe, BVA, Harris et Ifop. Voici le résultat pour les listes au-dessus de 5 % :
•   Rassemblement national : 23,8% des voix
•   Renaissance (LREM et MoDem) : 22,8%
•   Les Républicains : 13%
•   La France insoumise : 8,5%
•   Europe Écologie-Les Verts : 7,9%
•   Place publique-Parti socialiste : 5,1%
L’abstention est estimée à 52,7 %. Comme il y a 47,1 millions d’électeurs inscrits en France pour ces élections, le nombre de votants attendu est donc de 22 millions.
De 5 à 24 sièges. Selon nos calculs, si ces projections d’intentions de vote se confirment dimanche, les nombres de sièges seront répartis ainsi :
•   Rassemblement national : 24 siège
•   Renaissance (LREM et MoDem) : 23 sièges
•   Les Républicains : 12 sièges
•   La France insoumise : 8 sièges
•   Europe Écologie-Les Verts : 7 sièges
•   Place publique-Parti socialiste : 5 sièges
-
Répartition des eurodéputés français élus le 26 juin 2019. Projection réalisée le 23 mai 2019. Extrait du journal Le Parisien, 24 mai 2019.
On arrive bien aux 79 sièges attribués à la France. Mais attention, les élus français ne seront dans un premier temps que 74 au Parlement européen, en attendant que le Brexit ne prenne effet et que les eurodéputés britanniques qui seront élus dimanche ne quittent Bruxelles. Cinq d’entre eux resteront donc sur la touche. Selon nos calculs, voici la répartition des élus qui siégeront dans l’immédiat :
•   Rassemblement national : 22 sièges
•   Les Républicains : 12 sièges
•   La France insoumise : 7 sièges
•   Europe Écologie-Les Verts : 7 sièges
•   Place publique-Parti socialiste : 4 sièges
•   Renaissance (LREM et MoDem) : 22 sièges
Il faut noter également que si la liste de Debout la France menée par Nicolas Dupont-Aignan franchit finalement le seuil des 5 % (les sondages l’évaluent à environ 4 %), elle devrait récupérer quatre sièges. Ces derniers seront soustraits des autres formations politiques.
RÉFÉRENCES DU DOCUMENT
BERROD Nicolas, « Européennes 2019. Combien d’élus pourraient obtenir chaque liste française ? » , Le Parisien,24 mai 2019, p. 6.
LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS
Répartition des eurodéputés français élus le 26 juin 2019. Projection réalisée le 23 mai 2019.
Extrait du journal Le Parisien, 24 mai 2019.

COMMENTAIRE du 20 septembre 2019

Nombreux articles sur le phénomène du Parti animaliste. Citons :

STADLER Sophie, « Un petit parti qui monte, qui monte (Le Parti animaliste) », Le Parisien Week-End, n°23343, vendredi 20 septembre 2019, p. 38-41.

Le parti animaliste. Un parti qui monte, qui monte.
Article de Sophie STADLER, Le Parisien Week-End, 20 septembre 2018, p. 38-39.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°352, lundi 13 mai 2019

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Pour une anthropologie globale du politique. Vers une approche post-autoritaire (Sari Hanafi)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°351 lundi 6 mai, 2019

Le monde s’est-il émancipé de la condition coloniale et de l’hégémonie occidentale en matière de production du savoir ? Rien n’est moins sûr. C’est l’une des nombreuses remises en cause énoncées par le sociologue Sari HANAFI dans un article publié dans la revue internationale Dialogue Global. Professeur de sociologie à l’université américaine de Beyrouth (Liban), il est président de l’International Sociological association (ISA), l’association internationale de sociologie. Pour lui, il faut tenir compte à la fois de l’incidence du colonialisme et de l’incidence de l’autoritarisme local.

Sari HANAFI. Extrait de Global Dialogue, International Sociological Association,
Vol. IX/1, avril 2019, p.5.

 L’EXEPTION ET L’AUTORITARISME

« L’autoritarisme, tel que nous le concevons, n’est pas simplement la tendance des États à agir de façon antidémocratique en exerçant une coercition bureaucratique et policière sur la société », écrit Sani HANAFI. (1) Il ajoute que tous les États, et tous les organes qui exercent un pouvoir quelconque, ont des « moments » où ils pratiquent « l’exception et l’autoritarisme ». Lautoritarisme est « la suppression systématique de la responsabilisation ou de la participation de la population dans les décisions de l’État ainsi qu’une forte centralisation du pouvoir exécutif dans les mains d’une bureaucratie », reprenant le propos de Graham HARRISON en 2018.

DE L’AUTORITARISME À LA BRUTALISATION
(« Brutalizing authoritarianism »)

Sari HANAFI rappelle que l’une des idées maîtresses de Norbert ELIAS  exposée dans son célèbre ouvrage Sur le processus de civilisation : recherches sociogénétique et psychogénétique (2) est que « les sociétés évoluent à travers un mouvement de régression de la violence individuelle » : c’est  la pacification des comportements (« the pacification of behaviors »). Cette vision de Norbert ELIAS doit être révisée.
Nous assistons en effet aujourd’hui à ce que Josepha LAROCHE désignait en 2017 comme « le retour du refoulé », ou ce que George MOSSE qualifiait en 1991 de « brutalisation » des sociétés, soulignant ainsi une « érosion du mouvement civilisationnel ». Il en donne trois exemples :

  • les acteurs étatiques sont les principaux responsables de la brutalisation de la société par l’intermédiaire de la police et de l’armée. On peut y ajouter, dans la plupart des pays, les gouvernements, la justice et les médias, avec leurs pratiques d’accusation médiatique instantanée de citoyens innocents,
  • de nombreux acteurs non étatiques montent en puissance (comme l’État islamique, des acteurs sectaires et interstitiels, des groupes de pression… qui court-circuitent l’État).
  • les acteurs non étatiques qui opèrent à l’échelle internationale, tels que les multinationales et les marchés financiers qui constituent ce que James ROSENAU appelait en 1990 les « acteurs sans souveraineté ».

Liberté ou contrainte ? Les personnes sont-elles libres de bouger à leur guise et de faire bouger le monde ? Ou bien est-ce le monde qui les contraint à agir comme celui-ci l’entend ?
Collection « Territoires et Démocratie Numérique Locale (TDNL) », 2019.

 LA JUSTIFICATION DE LA VIOLENCE D’ÉTAT

Il existe un « état de connivence » que l’on peut caractériser par le fait que « les acteurs non étatiques agissent rarement sans qu’il y ait consentement et facilitation de la part des acteurs étatiques ». Cela entraine des conséquences :  les acteurs étatiques et non étatiques brutalisent la société, mais aussi préfigurent la brutalisation à l’échelle du monde. « Nous sommes aujourd’hui à la fois témoins et parties prenantes, les guerres, les insurrections, les guérillas urbaines, les émeutes… entraînant une « brutalisation de l’arène politique » (« brutalisation of politics »). Cela justifie que faire de la politique implique nécessairement l’exercice de la violence.

L’autoritarisme néolibéral (« neoliberal authoritarism ») est une configuration qui n’est en aucun cas le résultat d’une simple combinaison de deux termes, mais le résultat d’une articulation entre :

  • ce qui modifie le néolibéralisme (qui devient de plus en plus autoritaire),
  • ce qui modifie les régimes autoritaires (qui s’appuient de plus en plus sur le néolibéralisme).

Tout le monde sait que le néolibéralisme a engendré, et continue d’engendrer, sur le plan social et économique des injustices et un appauvrissement généralisé. Ce qui est nouveau, c’est que l’État déploie de manière systématique et délibérée un pouvoir centralisé et coercitif dans le but d’opérer une transformation capitaliste des sociétés Les forces sociales qui soutiennent l’État ne se définissent pas seulement en termes de classe (Nicos POULANTZAS), mais en termes de hiérarchies raciales et de hiérarchies de genre qui sont le produit de ce qu’Aníbal QUIJANO a appelé la « colonialité du pouvoir » (« coloniality of power »). Elle s’exerce à la fois dans le temps et dans l’espace.

L’AUTONOMIE POLITIQUE DE LA PERSONNE

Selon Maeve COOKE, il existe deux composantes interdépendantes du raisonnement pratique autoritaire :

  • Premièrement, il y a une conception autoritaire du savoir (« There are authoritarian conceptions of knowledge »).
    « Elle consiste à restreindre l’accès au savoir à un groupe privilégié de personnes et à soutenir un point de vue préservé des influences de l’histoire et du contexte, qui garantit le bien-fondé inconditionnel de leur revendication de vérité et de légitimité. »
  • Deuxièmement, il y a une conception autoritaire de la justification. (« There are authoritarian conceptions of justification »).
    « Elle opère une séparation entre d’une part la validité des propositions et des normes, et d’autre part le raisonnement des sujets humains pour lesquels ces propositions et ces normes sont proclamées valables. »

La notion de citoyen implique l’autonomie politique de chaque personne. Maeve COOKE revendique pour les citoyens le droit d’avoir une autonomie éthique (« ethical autonomy »).  Celle-ci repose sur l’intuition que la liberté de l’être humain consiste en la liberté de former et de défendre une conception du bien sur la base de raisons qui lui sont propres.


CONCLUSION
LES CITOYENS AUTORITAIRES (« Authoritarian citizens »)

L’autoritarisme existe en corrélation avec des citoyens autoritaires. Il existe plusieurs mécanismes qui en assurent la formation et la reproduction. Celles-ci sont toujours encouragées « par le haut ».
Sari HANAFI écrit :
«Authoritarian leaeders stifle the imagination : they seek gray automatons that follow their commands rather than autonomous subjects with independent personalities ».
« Les dirigeants autoritaires étouffent l’imagination : ils préfèrent de mornes automates prêts à suivre leurs ordres plutôt que des sujets autonomes et des personnalités indépendantes ».


Bernard MÉRIGOT


 RÉFÉRENCES

1. HANAFI Sari, « De nouvelles orientations pour une sociologie globale », Dialogue Global, Vol IX/1, avril 2019. http://globaldialogue.isa-sociology.org/wp-content/uploads/2019/03/v9i1-french.pdf
Sari Hanafi
est professeur à l’Université américaine de Beyrouth (Liban) et Président de l’International Sociological association/ISA (Association internationale de Sociologie) pour un mandat de quatre ans (2018-2022).

2. ELIAS Norbert, Über den Prozeß der Zivilisation : soziogenetische und psychogenetische Untersuchungen (Sur le processus de civilisation : recherches sociogénétique et psychogénétique), Bâle, 1939. Rééditions 1969 et 1976.

Le livre a été publié en français en deux parties :

  • ELIAS Norbert, La civilisation des mœurs, 1974. Traduction de Pierre KAMNITZER. Correspond au chapitre : « Wandlungen des Verhaltens in den weltlichen Oberschichten des Abendlandes » (Métamorphoses du comportement des classes sociales supérieures en Occident).
  • ELIAS Norbert, La Dynamique de l’Occident, 1975. Traduction de Pierre KAMNITZER. Wandlungen der Gesellschaft : Entwurf zu einer Theorie der Zivilisation (Métamorphoses de la société : esquisse d’une théorie de la civilisation).

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°351, lundi 6 mai 2019

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Le centenaire impossible de la mort du peintre Charles Milcendeau (1872-1919)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°350 lundi 29 avril 2019

Charles MILCENDEAU nait en 1872 à Soullans, au coeur du Marais Breton vendéen. La majeure partie de son oeuvre de peintre est inspirée par les paysages et par les habitants de la région. Il décède en 1919. Un siècle après, l’année 2019 voit la commémoration du centenaire de sa mort par le Musée Charles Milcendeau de Soullans (1). C’est l’occasion de nous interroger à la fois sur le sens d’une commémoration centennale et sur le double va-et-vient entre un lieu et une oeuvre. Ceux-ci dépassent les explications fondées sur de simples «influences».

  • Qu’est-ce que que ce lieu particulier, le Marais Breton Vendée, a apporté à l’artiste ?
  • Qu’est-ce que l’artiste a apporté à cette même région ?
  • Qu’apporte-t-il aujourd’hui, un siècle après sa mort ?
  • Quels rapports la mémoire entretient-elle avec son oeuvre ?
  • Quels seront ces rapports demain ?
Atelier reconstitué du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919).
Musée Charles Milcendeau à Soullans (Vendée), 2 mai 2013.

© Photographie Bernard Mérigot/CAD.

L’ACTEUR JOUE AU PEINTRE

Toute photographie in situ d’un musée est le témoignage d’un moment unique, la trace d’une visite réelle. C’est aussi un moment de l’histoire de la présentation au monde des collections conservées. Celle-ci relève de la muséographie, c’est-à-dire d’un dispositif – une mise en scène – qui ne consiste pas seulement de présenter des objets au présent, mais de les représenter au passé. Ce faisant, la logique s’inverse : représenter le présent pour présenter le passé.

  • La photographie ci-dessus, prise en 2013, montre l’atelier de Charles MILCENDEAU tel qu’il était visible par le public. Deux tableaux, une maraîchine devant une bourrine et un autoportrait, le mobilier, la palette, la boîte à couleur, l’ombrelle… réalisent une mise en scène à la façon dont notamment  Georges-Henri RIVIÈRE en a réalisé dans la seconde moitié du XXe siècle au Musée national des Arts et traditions populaires (MNATP) du Bois de Boulogne, aujourd’hui démantelé.
  • En 2018, une nouvelle mise en scène est effectuée et reproduite par Vendée Tourisme, qui est l’Office départemental du Tourisme en Vendée. Cette fois, un acteur réel, « joue » Charles MILCENDEAU et marque ainsi de sa présence l’atelier du peintre. C’est un peintre « vivant ». Il effectue un croquis, « à la façon de » Charles MILCENDEAU, mais ce n’est pas Charles MILCENDEAU.

« Musée Charles Milcendeau, peintre voyageur »,
Collection 2019, Fiche n°15, Vendée Tourisme, format 10 x 12 cm, recto-verso. Collection GRMBV / CAD.

CET ÉTRANGE OBJET DU CENTENAIRE

Après tout, la commémoration qui intervient en 2019, cent ans après le décès du peintre Charles MILCENDEAU en 1919, pourrait jouir d’une totale liberté à l’égard de l’objet commémoré dans la mesure où aucune personne vivante n’est évidemment à-même de venir commenter, voire contester le contenu des dispositifs ou des propos d’aujourd’hui. Mais cette liberté n’est qu’une liberté d’apparence : elle supporte des contraintes qui impliquent que trois conditions préalables soient réunies :

  • que l’on dispose d’un minimum de témoignages parvenus jusqu’à nous sur l’objet commémoré,
  • que l’on soit à même d’en effectuer une lecture critique,
  • que soit identifiée la vraie nature de l’objet centenaire, c’est-à-dire que soit explicitée la perspective de la commémoration.

Que commémore-t-on ? Un homme ? Une oeuvre ? Ou bien autre chose ? Et quoi donc ?

QU’EST-CE QU’UN « OBJET COMMÉMORÉ » ?

« Centenaire de… ». Il faut s’interroger sur cet « objet centenaire commémoré » , étrange objet qui n’est en rien un objet naturel. C’est un objet construit, socialement et culturellement. Il nous impose d’établir une relation entre deux moments séparés par cent années. Pourquoi le nombre « 100 » ? Certainement en application de la « Loi des chiffres ronds », porteur d’un effet symbolique puissant, voir magique, ainsi qu’un haut pouvoir mnémotechnique. Il est évident qu’il ne se passe rien de particulier cent ans après un évènement donné, une naissance, un décès, ou la publication d’un livre, sinon précisément la production même de son centenaire en provoquant un effet de sens. En fait, paradoxalement, c’est l’anniversaire qui constitue l’évènement de quelque chose qui à l’origine n’est rien. Rien, par rapport au sens dont on le charge aujourd’hui.

Le fait que l’objet commémoré soit chronologiquement antérieur au fait qui constitue l’objet de la commémoration ne permet aucunement d’établir une logique temporelle reconnaissant le premier comme cause, et le second comme effet. Parce que l’objet de la commémoration n’est pas l’objet commémoré, et que celui-ci entretient un rapport fantasmé avec lui. N’oublions pas que cent années se sont écoulées entre les deux et que l’objet présent n’est plus le même que l’objet passé : il a tout simplement changé du fait de l’évolution de son mode d’existence socio-culturelle et de la perception nouvelle que nous en avons présentement.

L’oeuvre d’un peintre qui est décédé dans une grande discrétion, voire dans une indifférence quasi générale, a t-elle quelque chose à voir avec les éloges qui lui sont adressés un siècle plus tard ? Certes un fil relie les deux. Mais on peut soutenir que la commémoration s’applique paradoxalement à un objet qui n’a jamais existé. Il n’y a pas de continuité dans la mémoire. Nous sommes ici confrontés à un «entre-deux», entre l’inexistant et l’oubli, entre la réalité et la fiction. Autant de conditions propices aux reconstructions, aux reconstitutions, aux réinventions.

« 2019 : année du centenaire de la mort du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919) ». Musée Charles Milcendeau, Soullans (Vendée), p. 1. Dépliant format 21 x 9,9 cm, 4 p. Conception graphique Service communication de la Communauté de communes Océan Marais de Monts, 2019. Archives CAD.

VOYAGER DANS LE TEMPS
VOYAGER DANS LES LIEUX

Un musée est une institution culturelle vivante. Son projet, son nom, ses bâtiments, ses collections évoluent dans le temps. Il nait, il grandit, il vieilli, il se fait soigner. Et hélas, meurt parfois. Nous citions le Musée national des Arts et Traditions populaires de Paris. Il est né en 1937, il est devenu majeur (il a ouvert ses portes) en 1972, et il est mort en 2005. (Voir : SEGALEN Martine, Vie d’un Musée 1937-2005, Stock, 2005, 360 p.)

En 1976 la commune de Soullans acquiert l’ancienne propriété de Charles MILCENDEAU à Bois-Durand. Les peintures murales de la maison sont protégées en 1980 au titre de l’Inventaire des Monuments Historiques.

« Le Musée Milcendeau-Jean Yole est la propriété de la commune de Soullans. Son fonctionnement est pris en charge par la Communauté de communes du canton de Saint-Jean-de-Monts. Antenne de l’Écomusée de la Vendée, la structure est administrée par la Conservation départementale des Musées de Vendée. A ce titre, le musée est contrôlé par l’État. »

Le 27 mai 1982, le Musée Milcendeau-Jean Yole est inauguré.

En 1994, la première salle d’exposition est agrandie par la construction d’une nouvelle salle d’exposition, « organisée autour d’un patio rappelant l’Espagne où l’artiste a fait de nombreux séjours ». Les salles, par des baies vitrées sont ouvertes sur le marais qui entoure le musée « pour créer un lien avec les oeuvres de l’artiste qui font une large place aux paysages ». Le musée renferme plus d’une centaine d’œuvres de l’artiste issues de collections publiques et privées.

En 2013, le Musée est à nouveau agrandi et fait l’objet d’une nouvelle présentation des collections

LE MUSÉE
ET LE PROJET DE CENTENAIRE 2019

Les institutions évoluent. Les discours qu’elles tiennent également. Tout document édité par une institution constitue un moment de son histoire. Il est porteur d’éléments de langage : succession de phases : répétition de mots, « faits mis en avant », raccourcis, glissements, hypothèses, mais aussi de non-dits, silences… Des mots nouveaux apparaissent, des idées nouvelles aussi. Le document de présentation du centenaire est présenté ainsi :

« Niché au coeur du Marais breton vendéen, dans un bel écrin de verdure, le musée du peinte vous attend. Laissez-vous charmer par ce lieu où cet artiste vendéen a vécu. Un véritable voyage artistique ! »

« Formé par Gustave MOREAU à l’École nationale des Beaux-Arts aux côtés de MATISSE, MARQUET et ROUAULT avec lesquels ils se lie d’amitié, Charles MILCENDEAU est reconnu par les plus grands critiques et vivait de son art. Ses oeuvres sont exposées dans les plus grands musées en France et à l’étranger : au Musée d’Orsay à Paris, au Metropolitan Museum of Art (MOMA) de New York. »

« C’est à Soullans, sa commune natale, que vous pourrez découvrir plus de 80 oeuvres réalistes représentant la vie dans le marais et des paysages nourris de ces voyages en Espagne, en Corse, en Bretagne… »

« Le Musée Charles Milcendeau c’est :

  • Le seul musée d’Art du Nord-Ouest Vendée.
  • Un musée vivant qui propose des animations, des rencontres avec les créateurs/artistes et des ateliers.
  • Une exposition permanente consacrée au peintre soullandais Charles Milcendeau (1872-1919).
  • La maison de l’artiste qu’il transforme en oeuvre, ornée de peintures murales, inscrites à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques.
  • Un cadre romantique avec un patio à l’esprit andalou et un jardin d’agrément.
« 2019 : année du centenaire de la mort du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919) ». Musée Charles Milcendeau, Soullans (Vendée), p. 1. Archives Groupe de Recherche du Marais Breton Vendéen / CAD.

« La maison authentique de Charles Milcendeau, lieu d’inspiration pour les artistes et créateurs ! En 1905, Charles Milcendeau s’installe au Bois-Durand dans une propriété composée d’une maison maraîchine et d’une bourrine lui servant d’atelier. Sa demeure inspire le peintre qui souhaite en faire un lieu de partage pour de nombreux artistes. De nos jours, ce lieu est devenu un musée qui offre toujours une ambiance feutrée et intimiste. Il accueille les créateurs et artistes qui partagent leurs savoir-faire ».

« L’année du centenaire. Cela fait 100 ans que Charles Milcendeau nous a légué son impressionnant héritage artistique. 2019 sera marqué par des évènements autour d’oeuvres inédites. Laissez-vous guider par l’artiste, réincarné à cette occasion, pour mêler son art à la musique. (2)

ITINÉRAIRE DU
« PEINTRE INÉGALÉ DU MARAIS VENDÉEN »

Charles MILCENDEAU naît à Soullans le 18 juillet 1872. Son père tient un commerce, à la fois auberge et bureau de tabac. Il fréquente l’école communale de Soullans. Pensionnaire à Challans (1885) puis au Lycée de La Roche-sur-Yon (1886), il entre à l’Institut Livet à Nantes (1888).

Il part à Paris pour y suivre les cours de l’Académie Julian (1891) où il rencontre le peintre Gustave MOREAU (1892) et est admis à l’École nationale des Beaux-Arts à Paris (1892).

A la mort de son père, Charles MILCENDEAU achète la propriété de Bois Durand composée de deux maisons basses. La première lui sert d’habitation, la seconde, plus modeste, est aménagée en atelier de peintre.

Il effectue des voyages dont il rapporte croquis, dessins, et tableaux : en Flandres, (1894), en Bretagne (1882, 1899) et surtout à Ledesma, en Espagne, en Andalousie, dans la région de Salamanque, où il séjourne régulièrement entre 1901 et 1909.

Charls MILCENDEAU a laissé un peu plus de mille oeuvres : peintures, dessins, gouaches, pastels, aquarelles…). Pour ne citer que trois oeuvres parmi les plus connues, citons Repas des maraîchins, La mère, Soir d’hiver au pays de Soullans.

On doit s’interroger sur la manifestation dans les années 1890-1894 de la vocation pour le dessin et la peinture chez Charles MILCENDEAU, jeune maraîchin de Soullans, fils d’un tenancier de café, âgé alors de douze ans. Une réponse sera formulée en 1933, quatorze ans après sa mort, dans une œuvre de fiction du romancier Marc ELDER (1884-1933). Originaire de Nantes, il a été distingué en 1913 par le prix Goncourt (pour roman Le Peuple de la mer). Il a laissé plusieurs témoignages sur Charles MILCENDEAU, soit en tant que critique d’art, conservateur du Musée de Nantes, soit en tant que romancier. C’est un grand écrivain dont l’écriture est fondée sur des informations précises, fruits d’enquêtes de terrain pertinentes.

Marc ELDER publie en 1933, l’année de sa propre mort, un roman La Bourrine qu’il dédie « A la mémoire de Charles Milcendeau, peintre inégalé du marais vendéen ». C’est sa dernière oeuvre, l’une des plus achevée. Le roman se déroule à Saint-Jean-de-Monts en 1928. Parmi les personnages, il y a un peintre qui s’appelle Blaise PERROT.  Au travers du personnage de Monsieur Blaise, Marc ELDER raconte la naissance de la vocation de Charles MILCENDEAU pour le dessin et la peinture.

« A mesure que Blaise grandit, un étrange démon s’empara de sa personne, ses yeux s’ouvrirent : il avait le don de voir. Les formes, se dépouillant pour lui de leur complexité apparente, découvrirent les secrets de leur équilibre, leurs mystérieuses correspondances; la vie prit le sens indéfinissable et pathétique de l’art; la nature emprunta des voix. Il fallut bien obéir : le tyran intérieur ne se montrait pas d’humeur conciliante. Le garçon dessina, peignit, gagna Paris, voyagea. » (3)
ELDER Marc,
La Bourrine, Ferenczi, Paris, 1933, p. 61.

LA PEINTURE EST UNE CHASSE

On a souligné le caractère tourmenté et tragique des paysages peints par Charles MILCENDEAU. Marc ELDER éclaire la démarche de l’artiste : loin d’être un peintre d’atelier, Charles MILCENDEAU est un peintre d’extérieur. Il décrit cet extérieur, partant l’hiver en yole dans le marais pour peindre, une activité qu’il compare à une chasse, tandis qu’un autre maraîchin de Soullans qui s’appelle Averty part de son côté chasser aux oies. Deux chasses cohabitent au même moment dans les mêmes lieux.

« Monsieur Blaise chassait aussi de son côté, mais armé de ses pinceaux, d’une toile, d’un carnet de croquis. Inlassablement, il poursuivait les phases tragiques de la torture hivernale qui convulsait le visage du marais. A toute heure du jour, sous le crachin, dans la brume, dans la bourrasque, on le voyait manier son bachot d’une poigne solide, en vrai maraîchin qui a poussé, comme un col-vert, un pied dans l’étang, l’autre dans la douve. Sa longue silhouette, aiguisée par un feutre en coup de vent, profilait sur la grisaille, à tout les points de l’horizon, son ombre aventurière. Il fallait un véritable déluge pour l’obliger à endosser une capote cirée ou à plier bagages. Sur le moindre bossis, au coin des ponceaux jetés entre les fermes et la chaussée, sur l’accotement des routes, il fixait son chevalet avec des pierres, des cordes et se mettait à peindre. L’immensité balayée, tordue, les cieux mélancoliques et blessés, la plainte du frêne, du tremble, de la bourrine lui donnait la fièvre. Son coeur vivait dans le drame. Parfois, les bras las d’émotion, il sentait des larmes inonder son visage, l’âme saisie de frissons insensés au contact de toutes ces âmes gémissantes qu’il était seul à percevoir dans la nature en détresse. » (4)
ELDER Marc,
La Bourrine, Ferenczi, Paris, 1833, p. 138-139.

L’OBJET DES COMMÉMORATIONS
N’EST JAMAIS ÉVIDENT

Les commémorations centennales (centennale : qui a lieu tous les cent ans, qui embrasse une période de cent ans) sont des pratiques sociales. Comment, en ce début de XXIe siècle, les sciences sociales les pensent-elles ? On se souvient qu’en 1889 une série de commémorations nationales sont organisées pour le Bicentenaire de la Révolution française de 1789. Puis en 2014-2018, d’autres commémorations nationales du centenaire de la Guerre 1914-1918.

En 2014, un colloque international intitulé « Revisiter la commémoration. Pratique, usages et appropriations du Centenaire de la Grande guerre 1914-1918 » est organisé par l’université de Paris Nanterre et les Archives nationales. Les réflexions de ses organisateurs s’appliquent à toutes les commémorations lorsqu’ils relèvent que « Les travaux sur les commémorations s’appuient sur la croyance diffuse que les politiques de la mémoire produiraient des effets sur leurs publics ». Ils remarquent :

« On ne sait guère ce que les individus voient et font quand ils déambulent dans une exposition historique, quand ils participent à une cérémonie ou quand ils se rendent sur un site historique. ».

Ils posent une série de questions qui sont autant de remises en cause concernant l’évidence des commémorations centennales qui sont proposées comme des évènements évidents et légitimes. (5)

  • Quels sens les visiteurs d’expositions, les auditeurs des discours et des publics de spectacle et de reconstitution historiques donnent-ils à leurs pratiques ?
  • Que font-ils de ce qu’ils voient ?
  • Par quels prismes nouent-t-ils une relation avec le passé ?
  • Ces pratiques mettent-elles systématiquement en jeu des rapports à l’histoire ?
  • Si on peut penser que ces expériences sont hétérogènes, peut-on établir des typologies raisonnées qui dégageraient des modes typiques d’appropriation de ces dispositifs ?
  • Qui participe aux commémorations ? Dans quels contextes, avec qui et sous quelles formes ?
  • A qui s’adresse la commémoration en termes, notamment, de genre et de catégories socio-professionnelles ?
  • Quels sont les publics scolaires des commémorations, ce « jeune public », souvent captif, souvent considéré comme l’indicateur du « succès » ou de l’ « échec » de tel ou tel événement commémoratif.
Le complot. Le père Cadou et Pierritte Besseau,  tableau de Charles Milcendeau. Couverture du Bulletin cantonal 1982 Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre Dam-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans, 11e édition, Saint-Jean-de-Monts, 1982, n.p. Ce numéro contient l’article de Francis RIBEMONT « A propos du Musée Milcendeau-Jean Yole ». Archives GRMBV / CAD. (6) (7)

POUR LE DEUXIÈME CENTENAIRE DE CHARLES MILCENDEAU
EN 2119

Le Marais Breton-vendéen, en tant que «pays» singulier, n’est ni un objet unitaire, ni un objet immuable. Il change, ses représentations changent, les perceptions que l’on en a changent, et les productions socio-culturelles qui le constitue agrègent et désagrègent en permanence les éléments composites qui lui donnent son existence. Il s’agit d’un objet technique au sens où l’entendait Gilbett SIMONDON. (8)

Objet pluriel qu’une une simple vision ne suffit pas à considérer en entier, il nécessite le croisement de deux regards, l’un qui vient de l’intérieur, l’autre de l’extérieur, produisant ainsi une double reconnaissance, l’une par ses habitants, l’autre par les «étrangers», qu’il s’agisse d’habitants de longue lignée généalogique (au moins l’année 1704 pour le premier ancêtre identifié de Charles MILCENDEAU), ou d’habitants temporaires, les touristes en constituant depuis les années 1960, une catégorie ciblée « prospectée, incitée, encouragée ».

Ce que l’on désigne sous le nom  d’ « identité » d’un lieu, dont l’usage se révèle parfois si trompeur, est le résultat d’une lente construction, toujours remaniée, jamais achevée. Les érudits locaux, les romanciers, les peintres régionalistes en ont été les acteurs essentiels durant la première moitié du XXe siècle : ils ont à la fois observé et imaginé leur pays, le pays qui est « le leur ». En prononçant ce mots, et en l’écrivant, on ne peut pas s’empêcher d’entendre « le leurre », désignation d’un objet qui détourne l’attention et qui empêche de voir clairement autre chose. Façon de dire que le pays apparent est invisible sans la construction identitaire qui permet de le voir et de le dire.

Entre l’imagination et l’observation – qui va de l’observation imaginée à l’imagination observée – laquelle des deux est la plus forte ? Qui peut le dire sinon celui qui voit ce que les autres ne voient pas, qui en le conduit jusqu’à une représentation achevée et qui en garde  la trace ? C’est à ce carrefour indécidable que se situe Charles MILCENDEAU.

L’oeuvre du peintre Charles MILCENDEAU constitue un des maillons de la chaîne identitaire du pays maraîchin et de ses habitants. Il a disparu au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans le XXe siècle naissant. Son premier centenaire de 2019 s’ouvre dans le début du XXIe siècle, époque de l’Europe et du « monde mondialisé », marqué par l’ouverture de nouveaux lieux qui échappent aux formes de reconnaissances durables transmises jusqu’alors : déterritorialisations, non-lieux, hors-lieux, hétérotopies, migrances…

En ce début de XXIe siècle, les sites Internet, réseaux sociaux (Facebook…), photographies (Instagram…) et vidéos partagées (U Tube…) fabriquent de d’identité en ligne à flux continu. Les facebooqueurs, les selfistes, les instagrammeurs, les snapchatistes, les utubeurs, ou les twiteuristes... tous producteurs et créateurs –  conscients et inconscients – de données traçables, datables, et localisables par la mémoire GPS, et donc algoritmables, c’est-dire commercialisables, et donc piratables à l’insu de leurs créateurs ?
Ce sont ces données qui permettent de plus en plus de tracer – c’est-à-dire de pouvoir suivre à la trace – bientôt la totalité des comportements individuels (Qui, Quoi, Quand, Où…?). Ce sont ces données algoritmées qui constituent désormais l’identité des lieux. A l’image de cette indication nouvelle figurant sur le dépliant du Musée Charles Milcendeau : « Longitude : 1° 54′ 33′. W. Latitude : 46° 46′ 43. 69′ N ». Peu importe où il se trouve : il n’y a plus qu’a entrer la donnée dans le GPS. Ne pas réfléchir par où on passe. A la limite, presque fermer les yeux. Ça y est, on est arrivé.

Dans les cent années qui nous séparent de 2019 à 2019, il n’y aura peut-être plus de peintres qui partiront « à la chasse » des paysages. Les selfies les auront remplacés. Mais il demeurera toujours des d’unités territoriales restreintes à l’égard desquelles continueront de se poser ces deux questions permanentes :

  • Comment le lieu façonne l’homme ?
  • Comment l’homme façonne le lieu ?

Avec toujours l’incertitude de confondre le lieu imaginaire avec le lieu réel, le personnage historique avec le personnage reconstitué.

Un centenaire porte sur le destin d’un corpus, d’une production constituée (écrits, peintures, enregistrements musicaux, archives…). Il ne porte pas sur des objets, mais sur la relation entretenue avec ces objets, avec leur trace. Cette relation n’est jamais fondée ni sur la continuité, ni sur une mémoire totale. Elle est faite de discontinuités, d’oublis, de redécouvertes, de réminiscences, de ruptures et de réconciliations. Elle est une confrontation avec la part irrémédiablement perdue d’une vie créatrice.

Les sollicitations de la marchandisation des lieux sont nombreuses. Appartenant au monde de la vie économique locale, de l’emploi et du développement touristique, celles-ci font pression pour constituer des objets de marquage territorial en se servant d’une relation imaginaire au lieu. La pente est forte et les bonnes raisons sont nombreuses.
Au nom de quoi s’opposer à ces nouveaux objets fabriqués, aux relations présentes qu’elles créent, ainsi qu’aux relations futures qu’elles cherchent à établir ? Peut-être en veillant à ce qu’elles ne se fondent pas sur des reconstitutions culturelles de ce qui n’est plus, qui s’avéreraient anachroniques à l’égard d’un passé authentique. Mais qui peut dire l’authenticité ? Le paradoxe est qu’un passé, même réinventé au présent, constitue un nouveau passé pour les temps futurs.
Alors, anticipons un instant pour affirmer que les années 2019-2119 seront décisives. Ce sera le second centenaire de la mort de Charles MILCENDEAU qui nous révèlera en 2019 le destin des constructions sociales qui établiront – où n’établiront pas – les relations oubliées, réinventées ou réappropriées entre le peintre et le lieu, entre ce peintre et ce lieu. Aucun autre peintre. aucun autre lieu.

RÉFÉRENCES
1.
Musée Charles Milcendeau, peintre voyageur, 84 Chemin du Bois-Durand, 85300 SOULLANS,  02 51 35 03 84,  http://musee-milceandeau.fr/
2.
Musée Charles Milcendeau, Soullans (Vendée), « 2019 : année du centenaire de la mort du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919) », p. 1
3. ELDER Marc,
La Bourrine, Ferenczi, Paris, 1933, p. 61.
4. ELDER Marc,
La Bourrine, Ferenczi, Paris, 1833, p. 138-139.
5.
Revisiter la commémoration. Pratiques, usages et appropriations du Centenaire de la Grande Guerre (Revisiting Commemoration), Colloque international, 24-25 mars 2016, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Archives Nationales, Paris. https://calenda.org/344561
Comité d’organisation : Sylvain Antichan (Labex PasP), Isabelle Chave (Archives Nationales), Sarah Gensburger (CNRS -ISP), Benjamin Gilles (BDIC), Rosine Lheureux (Archives Nationales), Jeanne Teboul (Labex PasP), Valérie Tesnière (BDIC), Sofia Tchouikina (Université Paris Saint Denis).
6. CONSEIL GÉNÉRAL DE LA VENDÉE (Écomusée de la Vendée
), Musée Milcendeau Jean Yole, Bois-Durand, Soullans, La Roche-sur-Yon, Conseil général de la Vendée, 64 p. Préface de Jean Crochet, Conseiller général, Maire de Soullans. ISBN 2-908017-20-2
« Le Musée Milcendeau-Jean Yole est la propriété de la commune de Soullans. Son fonctionnement est pris en charge par la Communauté de communes du canton de Saint-Jean-de-Monts. Antenne de l’Écomusée de la Vendée, la structure est administrée par la Conservation départementale des Musées de Vendée. A ce titre, le musée est contrôlé par l’État. »

7. VITAL Christophe,
Le Groupe de Saint-Jean-de-Monts. Deux générations d’artistes dans le marais vendéen, 1892-1950, Somogy Éditions d’Art, 2000, 216 p. ISBN 2-85056-299-4
Voir le chapitre II : « Charles Milcendeau et le « pays maraîchin », p. 36-47.
8. SIMONDON Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, Aubier, 1958.

Il faut s’interroger sur la place majeure que les anniversaires, les commémorations et les hommages occupent dans l’actualité médiatique, dans la culture, dans la société, et donc dans l’enseignement. Pierre NORA faisait la réflexion suivante en 1999 : « Du colloque à l’exposition rétrospective, du catalogue à l’édition exhumatrice, l’anniversaire est devenu la pierre d’angle de tout programme de travail intellectuel ». On pense moins en moins en dehors de toute contrainte de calendrier, on fête de façon précipitée des anniversaires : anniversaires de naissance, de décès, d’une publication, d’un évènement historique.
NORA Pierre,
« Métamorphoses de la Commémoration », Célébrations nationales 2000, Paris, Direction des Archives de France, 1999.

Autres sources :
« Maison Milcendeau », Commune de Soullans, Bulletin municipal, n°3, 1980.
« Exposition Jean Yole. Inauguration », Commune de Soullans, Bulletin municipal, n°4, 1980.
« Maison Milcendeau », Commune de Soullans, Bulletin municipal, n°5, 1981.
https://docplayer.fr/40980327-Exposition-temporaire-charles-milcendeau-le-maitre-des-regards-lecture-d-oeuvre-mode-d-emploi.html

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Atelier reconstitué du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919). Musée Charles Milcendeau à Soullans (Vendée), 2 mai 2013. © Photographie Bernard Mérigot/CAD.
  • « Musée Charles Milcendeau, peintre voyageur », Collection 2019, Fiche n°15, Vendée Tourisme, format 10 x 12 cm, recto-verso. Collection GRMBV / CAD.
  • « 2019 : année du centenaire de la mort du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919) ». Musée Charles Milcendeau, Soullans (Vendée), p. 1. Dépliant format 21 x 9,9 cm, 4 p. Conception graphique Service communication de la Communauté de communes Océan Marais de Monts, 2019. Archives Groupe de Recherche du Marais Breton Vendéen / CAD.
  • « 2019 : année du centenaire de la mort du peintre Charles MILCENDEAU (1872-1919) ». Musée Charles Milcendeau, Soullans (Vendée), p. 2-3. Archives Groupe de Recherche du Marais Breton Vendéen / CAD.
  • Le complot. Le père Cadou et Pierritte Besseau,  tableau de Charles Milcendeau. Couverture du Bulletin cantonal 1982 Pays de Monts (La Barre-de-Monts, Notre Dam-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, Le Perrier, Soullans, 11e édition, Saint-Jean-de-Monts, 1982, n.p. Ce numéro contient l’article de Francis RIBEMONT « A propos du Musée Milcendeau-Jean Yole ». Archives GRMBV / CAD. (6) (7)

DOCUMENT

GÉNÉALOGIE DE  CHARLES MILCENDEAU
(1872-1919)

Un des ancêtres de Charles MILCENDEAU, est né le 17 mai 1704, à Soullans. Il se nomme Jacques MILSENDEAU. La graphie de son patronyme évoluera de MILSENDEAU à MILCENDEAU à partir de l’acte de naissance de Pierre MILCENDEAU le 24 décembre 1772.
NB. Les indications ci-dessous sont données sous toutes réserves et méritent d’être vérifiées et complétées. Nous ferons figurer toute correction qui nous sera adressée à la la fin de l’article en Commentaire.
  • Jacques MILSENDEAU
    + 17/05/1704 à Soullans
    époux de Jeanne GUILBAUD
    + 21/08/1700 à Soullans, à l’age de 68 ans
  • Jacques MILSENDEAU
    + 1/02/1711, à Soullans, à 35 ans
    époux de Françoise FORTIN, née le 10 O2/1675
    + 24/09/1749, à Soullans à 75 ans
  • Jacques MILSENDEAU
    né le 28/12/1704 à Soullans
    épouse le 28/08/1731 à Soullans Marie BESSEAU, née le 06/04/1707 à Soullans
    + 07/02/1761, à Soullans à 52 ans
  • Jacques MILSENDEAU
    né le 03/04/1738 à Soullans
    + dans le courant de l’an III
    marié le 19/02/1770 à Soullans à Marie FORTIN
    + dans le courant de l’an III
  • Pierre MILCENDEAU
    né le 24/12/1772 à Soullans
    marié le 18/07/1810 au Perrier à Marie-Jeanne BONNIN
  • Pierre-Guillaume MILCENDEAU
    né le 09/04/1811 au Perrier
    marié le 10/01/1838 (cordonnier) à Challans à Louise-Rose NAULLEAU (Tailleuse) née le 19/11/1812, au Perrier
    + 05/06/1889 (Propiétaire) à Soullans
  • Charles, Clément, Narcisse MILCENDEAU
    née le 19/11/1812 à Soullans
    marié le 22/07/1868 à Challans (Propriétaire)
    + 1904 à Croix-de-Vie
  • Charles, Edmond, Théodore MILCENDEAU, Artiste peintre
    né le 18/07/1872 à Soullans (parents : aubergistes)
    marié le 04/11/1909 à Marguerite BONNOR, née le à d’Eurville (Haute-Marne) décédée au Perrier (Tailleuse)
    + 01/04/1919 à Soullans

DOCUMENT

IL Y A 100 ANS MOURAIT CHARLES MILCENDEAU
(1919-2019)

Jean-Michel Rouillé, maire de Soullans, André Ricolleau, président de Océan-Marais-de-Monts et Annie Josse, responsable des sites patrimoniaux de la communauté de communes.
Jean-Michel Rouillé, maire de Soullans, André Ricolleau, président de Océan-Marais-de-Monts et Annie Josse, responsable des sites patrimoniaux de la communauté de communes.
Le 1er avril 1919 le peintre soullandais s’éteignait à l’âge de 47 ans, emporté par la maladie. La commune et la communauté de communes veulent lui rendre hommage cette année.
En ce lundi 1er avril, la commune de Soullans voulait honorer celui qui, comme le dit André Ricolleau, le président de la communauté de communes, « a eu du mal à être reconnu par ses concitoyens de son vivant, et qui est sans doute aujourd’hui le Soullandais le plus célèbre ». Jean-Michel Rouillé, maire de Soullans confirme : « Milcendeau est associé à Soullans, et réciproquement. On ne peut que féliciter nos prédécesseurs qui ont racheté la propriété du Bois-Durand en 1970, et enclencher la démarche pour transformer la maison du peintre en un musée. »
Cinq temps forts marqueront le centenaire de la disparition de Charles Micendeau. Il y aura d’abord la Century party, une soirée festive lors de la nuit des musées, le samedi 18 mai, de 18 h 30 à 23 h 30. Ce soir-là, le peintre pourrait bien hanter les lieux, ou du moins un de ses sosies. Puis, le soir de la fête de la musique le 21 juin, les écoles de musique du Pays de Monts, de Challans et de Saint-Hilaire-de-Riez entraîneront les visiteurs dans une visite concert, à partir de 20h30.
De la Bretagne à la Corse
Au cours de l’été, deux soirées célébreront la mémoire du peintre soullandais. Le groupe breton Barba Loutig donnera un concert lundi 15 juillet. Les habitants de la commune et des communes voisines pourront y assister, pour la modique somme de 5 €. Lundi 12 août ce sera le tour du pays basque, avec le groupe Vox Bigerri.
Annie Josse précise : « Milcendeau, peintre voyageur, a été passionné par l’Espagne, ces deux régions et la Corse, ce sera pour nous une façon de faire découvrir ces univers qui l’ont fasciné. » Tous les mardis à 20 h 30 du 9 juillet au 20 août, Charles Milcendeau, le descendant de l’illustre artiste, vous invite à des nocturnes insolites, des visites originales et animées. (Entrée à partir de 4 €)
Le bouquet final du centenaire aura lieu dans le cadre des journées européennes du patrimoine, le samedi 21 et le dimanche 22 septembre. Ce jour-là, le musée du Bois-Durand sera d’ailleurs une étape des cyclistes de Vélocéane.
Annie Josse invite les visiteurs à découvrir « des tableaux de collections privées, de Soullandais ou d’ailleurs, qui s’intégreront dans les deux salles du musée ».
RÉFÉRENCE DU DOCUMENT
« Soullans. Il y a 100 ans mourait Charles Milcendeau, Ouest-France, 2 avril 2019.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°350, lundi 29 avril 2019

Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info.
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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2019/04/29/le-centenaire-impossible-de-la-mort-du-peintre-charles-milcendeau-1872-1919/
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In memoriam. Jacques Berthomé (1951-2019)

Les lecteurs de ce site sont familiers des nombreuses pages que Territoires et démocratie numérique locale a consacré aux recherches sur la Vendée et sur le Marais Breton Vendéen (1). C’est tout naturellement que Bernard MÉRIGOT, son président, rend hommage ici à Jacques BERTHOMÉ, un de ses acteurs majeurs, qui vient de disparaître.

Joël GROLLIER, Jacques BERTHOMÉ, Thérèse KLEINDIENST, Bernard MÉRIGOT
(De gauche à droite)
Assemblée générale du Groupe de Recherche sur le Marais Breton Vendéen
vendredi 25 mars 1988, Hôtel de Ville de Saint-Jean-de-Monts
© Photographie CAD

Ce samedi 13 avril, au moment où je m’apprêtais à lui adresser depuis la région parisienne un long mail, avant de nous revoir en Vendée la semaine prochaine à l’occasion des vacances de Printemps, j’ai appris par un appel téléphonique de Luc, l’un de ses beaux-frères, que Jacques BERTHOMÉ venait de nous quitter. Sa disparition vient mettre un terme à quarante années d’amitié, de recherches et de travail commun.

Nous nous sommes rencontré à la fin des années 1970, je crois bien à une conférence organisée durant l’été au Palais des Congrès de Saint-Jean-de-Monts par Joseph ROUILLÉ qui animait alors l’association des Écrivains de Vendée. Jacques et moi avons alors partagé tout de suite une commune approche à l’égard de ce qui constituait l’enracinement local,  son histoire, ses mutations et l’impérieuse nécessité de s’y impliquer bénévolement. Au fil des années se sont ainsi succédé, dans le cadre des associations Culture, Art et Découverte (CAD) et le Groupe de Recherche sur le Marais Breton Vendéen, conférences sur l’histoire locale, tables-rondes sur la généalogie, sur la toponymie, publication de plusieurs livres et d’articles, organisation d’un stage de musique et de danse traditionnelle avec Marc PERRONE.

Il a vécu un investissement déterminé pour tout ce qui l’enracinait à Saint-Jean-de-Monts, la commune où il était né, et Soullans, la commune dont il a été de directeur général des services de la mairie, et au-delà, toutes les communes qui partagent la même appartenance singulière au Marais Breton Vendéen, et à ses marges, fondatrice d’une identité que les érudits locaux, les écrivains régionalistes et les musiciens traditionnels se sont faits, à chaque génération, les «mainteneurs».

Jacques BERTHOMÉ avait de grandes qualités. Il s’intéressait à l’histoire, à la toponymie, à la généalogie, aux cartes postales anciennes, aux livres régionalistes, aux arts et traditions populaires, aux danses et musiques traditionnelles, etc. Je me souviens qu’il dansait avec rigueur et élégance, notamment le quadrille de Bouin. Il avait le goût d’une nécessaire authenticité et n’aimait pas les structures qui cherchent à imposer une vision convenue. Il était discret et ne se mettait pas en avant. Il était disponible et savait tisser des réseaux. Il eut l’intuition de nombre de projets, les favorisa et les conduisit jusqu’à leur réalisation. Thérèse KLEINDIENST (1916-2018), ancienne secrétaire générale de la Bibliothèque nationale, avec qui nous avons travaillé l’un et l’autre, avait reconnu ses vastes connaissances ainsi que la rigueur qu’il mettait dans ce qu’il entreprenait.

J’ai une pensée émue pour son épouse Thérèse, pour ses frères et soeurs et leur famille.

Jacques BERTHOMÉ (1951-2019) interprète une danse du Marais Breton Vendéen,
Ferme du Vasais, Saint-Jean-de-Monts (Vendée). Début des années 1980.© Photographie CAD.

RÉFÉRENCES

1. Sur le Groupe de Recherche sur le Marais Breton Vendéen (GRMBV), voir l’article en ligne: http://www.savigny-avenir.fr/qui-sommes-nous/groupe-de-recherche-sur-le-marais-breton-vendeen-grmbv/

Sur la contribution de Jacques BERTHOMÉ à l’histoire locale, voir notamment les articles suivants en ligne :

https://raddo-ethnodoc.com/archive/215207

Création du Musée Charles Milcendeau / Jean Yole de Soullans (Vendée). Au centre, de gauche à droite, Georges-Henri RIVIÈRE, Francis RIBEMONT, Jacques BERTHOMÉ.
Repas organisé dans le local de l’AREXCPO, 13 rue du Cardinal de Richelieu, à Saint-Jean-de-Monts, à la suite à la visite du site en 1979.
© Photographie Michel Bertrand. Coll. Raddo-Ethnodoc.

 LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS

  • Joël GROLLIER, Jacques BERTHOMÉ, Thérèse KLEINDIENST, Bernard MÉRIGOT (De gauche à droite). Assemblée générale du Groupe de Recherche sur le Marais Breton Vendéen, vendredi 25 mars 1988, Hôtel de Ville de Saint-Jean-de-Monts © Photographie CAD
  • Jacques BERTHOMÉ (1951-2019) interprète une danse du Marais Breton Vendéen, Ferme du Vasais, Saint-Jean-de-Monts (Vendée). Début des années 1980. © Photographie CAD.
  • Création du Musée Charles Milcendeau / Jean Yole de Soullans (Vendée). Au centre, de gauche à droite, Georges-Henri RIVIÈRE, Francis RIBEMONT, Jacques BERTHOMÉ. Repas organisé dans le local de l’AREXCPO, 13 rue du Cardinal de Richelieu, à Saint-Jean-de-Monts, à la suite à la visite du site en 1979. © Photographie Michel Bertrand. Coll. Raddo-Ethnodoc.
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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2019/04/14/in-memoriam-jacques-berthome-1951-2019/
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L’homme politique en public dit-il la vérité ou bien ment-il ? (Nicolas Chamfort)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°346, lundi 1er avril 2019

Les hommes politiques ont un formidable désir d’ « être présents au monde » et de communiquer. Ils s’emparent de tous les moyens susceptibles, selon eux et selon leurs conseillers, qui sont de nature à valoriser leur image, et par là, leur assurer de futurs succès électoraux. Existe-il une part d’authenticité dans les actes qu’ils produisent dans l’espace public, à une époque où le cinéma, la télévision, et les réseaux sociaux imposent à tous, partout et de façon constante, des modèles d’attitudes et de langages ? De quel « vouloir être » ces postures construites, fabriquées consciemment sont-elles l’expression ?  En voulant paraître sincères, ne sont-elles pas une véritable façon de mentir ? De quelle vérités sont elles alors révélatrices ?

Heurtoir de porte, ou « la main sur la porte qui s’offre à la main du visiteur ».
Les Arcs-sur-Argens (Var), 30 décembre 2017.
© Photographie Bernard Mérigot/CAD, 2017.

« TOUT FUT EXPLIQUÉ »

Pour répondre à la question que nous posons, la lecture des Maximes et pensées (1795) de Sébastien Roch Nicolas CHAMFORT (1741-1794) nous est précieuse. Le moraliste rapporte qu’un jour, le Contrôleur général des finances présenta à Louis XV un projet de Cour plénière que le Roi devait présider. « Tout fut réglé entre le roi, madame de POMPADOUR et les ministres » écrit CHAMFORT. « On dicta au Roi les réponses qu’il ferait au Premier président. Tout fut expliqué dans un mémoire dans lequel on disait : Ici le Roi prendra un air sévère, ici, le front du Roi s’adoucira ; ici, le Roi fera tel geste ». Chamfort termine en précisant : « Le mémoire existe ». (Pensée n°693)

VALORISER L’EXERCICE DU POUVOIR

Ainsi donc, Louis XV était déjà entouré, avant l’heure, de « conseillers en communication », collaborateurs zélés qui mettaient en scène paroles et attitudes du Roi. On peut considérer que de tout temps l’entourage des princes a cherché à valoriser l’exercice du pouvoir auquel ils participaient et que rien, dans ce domaine, n’a été inventé par le monde moderne. En revanche, ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est le problème moral qui se pose : quelqu’un qui exerce un pouvoir a-t-il le droit de prononcer des paroles qu’il ne pense pas, ou bien de feindre des sentiments qu’il ne ressent pas ?

DISTANCE ET FAMILIARITÉ

S’il n’est plus concevable aujourd’hui que les élus de la République soient inaccessibles, il n’est pas concevable non plus qu’ils affichent une fausse familiarité à l’égard de leurs électeurs. Que penser d’un homme politique qui se mettrait à embrasser toutes ses électrices et leurs enfants, ou bien encore à tutoyer et à passer la main dans le dos de ses administrés ? La vraie politesse de l’élu est dans la juste mesure entre la distance et la familiarité. Son élection, si elle lui a conféré pour un temps l’exercice de certaines fonctions, ne lui a pas donné de droits particuliers, mais des devoirs : on est plus exigeant à l’égard d’un élu que de toute autre personne.

L’ÊTRE ET LE PARAÎTRE

Les hommes politiques déploient de coûteux efforts – coûteux pour les finances publiques – pour se fabriquer ce qu’ils considèrent comme une « bonne » image auprès des électeurs. Cette image fabriquée se révèle, dans les faits, particulièrement fragile lorsqu’elle est confrontée à la réalité des hommes et des évènements : le bon sens gouverne en définitive davantage les esprits qu’on ne le pense. Comme l’écrivait CHAMFORT,« Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer ; dans les petites, ils se montrent comme ils sont. »

RÉFÉRENCES
CHAMFORT Nicolas, « Pensée n°693 », Maximes et pensées (1795).

LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS

  • Heurtoir de porte, ou « la main sur la porte qui s’offre à la main du visiteur ». Les Arcs-sur-Argens (Var), 30 décembre 2017. © Photographie Bernard Mérigot/CAD, 2017.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°346, lundi 1er avril 2019

COMMENTAIRE du 3 avril 2019

Le texte que l’on peut lire ci-dessus a été publié sur Internet a 4 h du matin du lundi 1er avril 2019. Dans la journée, le débat sur l’usage du mensonge dans l’espace public de la politique a connu une actualité soudaine lorsqu’il a été révélé que le président de la République Emmanuel MACRON venait de nommer Mme. Sibeth NDIAYE au poste de Porte-parole de l’Élysée. En effet celle-ci, alors qu’elle était conseillère à la Présidence de la République, avait publié le 15 juillet 2017 un Tweet dont le contenu était le suivant : «J’assume pleinement de mentir».

https://www.contrepoints.org/wp-content/uploads/2019/04/arg.png

« J’assume parfaitement de mentir », Sibeth NDIAYE, 15 juillet 2017.

Les aveux de mensonge sont rares de la part des acteurs de la vie politique. Dans le cas présent, l’intéressée a déclaré que sa phrase avait été «sortie de son contexte» et qu’elle voulait dire qu’elle reconnaissait pratiquer consciemment le mensonge  «pour protéger la vie privée du président».

Qu’est-ce qui est du domaine de la vie publique d’un président de la République ? Qu’est-ce qui est du domaine de la vie privée ? Le problème est qu’à partir du moment où Emmanuel MACRON est devenu président, il a perdu toute vie privée, celle-ci est devenue publique. La preuve : il la met lui-même en scène dans les médias et les  magazines people.

Frédéric MAS y voit une victoire du sophiste Thrasymaque. « L’interlocuteur de Socrate dans La République de Platon, agacé par les questions du philosophe sur la justice, lui explique tout simplement que « le juste n’est rien d’autre que l’intérêt du plus fort ». En d’autres termes, celui qui a le pouvoir dicte ses conditions, il juge de ce qui est autorisé ou non, peu lui importe la vérité ». L’auteur conclut que l’ère de la post-vérité est celle où pouvoir apparaît avec ses relations de dominations, dans toute leur crudité. « Peu importe que vous ayez tort ou raison, ce qui compte désormais, c’est si vous êtes du côté du manche ou de l’enclume. »

VOIR L’ARTICLE :
MAS Frédéric, « Nomination de Sibeth Ndiaye : Macron, président de la post-vérité ? », Contrepoint,3 avril 2019. https://www.contrepoints.org/2019/04/03/340703-nomination-de-sibeth-ndiaye-macron-president-de-la-post-verite
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Références du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2019/04/01/quel-doit-etre-le-comportement-dun-elu-en-public-nicolas-chamfort/

 

 

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Les « Gilets jaunes » sont un analyseur psychologique, social et politique (Wright Charles Mills)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°344, lundi 18 mars 2019

Le mouvement des « Gilets jaunes » mobilise la France tous les samedis, de façon continue depuis le mois de novembre 2018, soit depuis quatre mois aujourd’hui. Le samedi 16 mars 2019 est la 18e semaine de manifestations dans les rues : c’est l’ « Acte 18 ». Les Gilets jaunes ne constituent pas un simple fait d’actualité politico-sociale, mais — et d’une façon essentielle — un « analyseur» : analyseur de la société, analyseur de nous mêmes, analyseur des sciences sociales qui ont pour fonction d’enquêter, d’étudier et de réfléchir sur l’espèce humaine et sur ses étranges façons de vivre en communauté.

« En raison de la manifestation des Gilets jaunes certaines stations/gares sont fermées ». Écran numérique d’information pour les voyageurs de la RATP, Station Saint-Michel, Paris, samedi 16 mars 2019.
© Photographie Bernard Mérigot/CAD.

L’ANALYSEUR « GILETS JAUNES »

On ne peut pas se satisfaire du schéma dominant qui considère les « Gilets jaunes » comme des objets susceptibles d’être commentés par l’actualité médiatique, d’être instrumentalisés par les déclarations des politiques, d’être décryptés « à chaud » dans les studios des chaînes de télévision par toutes sortes d’experts (science politique, sociologie, économie, anthropologie…). (1) Après tout, les gaz lacrymogènes, les grenades de désencerclement et les Flash-Ball (LBD), les jets des lances à eau des policiers et des gendarmes n’atteignent que les reporters de terrain « en direct », en préservant les plateaux des studios des chaînes de télévision.

Il faut renverser les termes de cette logique : les « Gilets jaunes » ne sont pas « des objets qui sont analysés », mais « des objets qui analysent », c’est-à-dire des objets appartenant à une réalité agissante produisant des effets dans plusieurs domaines :

  • sur un objet général, qui est celui de l’état de la société de ce début du XXIe siècle,
  • sur la façon dont ses membres subissent la société présente,
  • sur les moyens dont nous disposons, pour la sentir, la ressentir, la penser et en être les acteurs les moins dépendants possibles, c’est-à-dire les plus conscients possibles.
  • sur l’ensemble les contenus et des pratiques de communication ainsi que l’état présent des sciences humaines et sociales.

La sociologie, et plus particulièrement le courant de l’analyse institutionnelle, définit un analyseur comme « un évènement qui fait apparaître le non-dit d’une institution ». (2) Francis TILMAN précise que l’analyseur « oblige les forces et les intérêts en concurrence au sein d’une institution, et jusque-là occultés, à se révéler, à mettre bas les masques ». Il donne comme exemple les incidents qui font scandale et qui empêche les discours de façade pour révéler des vérités jusqu’alors occultées (intentions, partis pris, intérêts, alliances…).

L’analyseur peut être « naturel » ou « construit ».

  • l’analyseur naturel est celui qui survient dans la vie d’une organisation sans qu’il ait été provoqué à des fins d’analyse.
  • l’analyseur construit est celui qui est mis en place pour provoquer volontairement un incident dont la mise en tension forcera chacun à se dévoiler et à abattre ses cartes.

LA DÉPOSSESSION CHRONIQUE DU POUVOIR

Le sociologue américain Wright Charles MILLS (1916-1962) a défini avec justesse, il y a près de soixante ans, les deux territoires qui sont précisément occupés par cet objet et par ces moyens. Il écrit en 1959 :

« À ceux qui, de façon chronique, sont démunis de pouvoir, et dont la conscience s’arrête au milieu quotidien, il [le sociologue] révèle par son analyse le retentissement qu’entraîne sur ces milieux les décisions et les lignes de forces structurelles, et comment les épreuves personnelles rejoignent les enjeux collectifs. Ce faisant, il révèle ce qu’il a découvert concernant les actes des puissants. Telles sont les missions éducatives dont il est investi, et ce sont là également ses grandes missions auprès de la collectivité, s’il est appelé à s’adresser à un grand public. » (3)

Nous retiendrons les définitions que donne Charles Wright MILLS.

  • l’état social des gilets jaunes, qui comme toute minorité exclue, est composée de « ceux qui, de façon chronique, sont démunis de pouvoir, et dont la conscience s’arrête au milieu quotidien »,
  • les épreuves personnelles qui rejoignent les enjeux collectifs,
  • le pouvoir qui est constitué par les « actes des puissants »,
  • la mission du chercheur en sciences sociales, auxquels nous ajouterons celle du citoyen éclairé et actif, qui est de « révéler ce qu’il a découvert concernant les actes des puissants ».

Charles Wright MILLS est connu pour avoir développé le concept de « Sociological imagination », c’est-à-dire d’ « d’imagination sociologique ». Elle consiste pour le chercheur à « se mettre provisoirement à la place de l’ « autre », de celui que l’on veut étudier dans ses motivations sans risquer de se perdre dans un dédale de jugements moraux : que ce soit la personne de sexe opposée, l’enfant ou le vieillard, l’immigrant, le criminel, ou tout ce que l’on n’est pas, mais sans pour autant adopter de manière définitive ses points de vue ou ses croyances », comme le note Yves LABERGE. (4)

LE MILIEU DU QUOTIDIEN

Que signifie « une conscience qui s’arrête au milieu du quotidien » ? Il ne s’agit en aucune façon d’une sous-intelligence du monde. Tout au contraire, il s’agit d’une dénonciation du « milieu quotidien », de cet espace limité et contraint à l’intérieur duquel de plus en plus de Français vivent. Le slogan des Gilets jaunes « Fin du monde, fin de mois, même combat » en est la parfaite expression comme l’atteste cet extrait du Dauphiné libéré qui relate une manifestation qui a lieu à Albertville (Savoie).

« Ce samedi 9 mars (2019), comme les précédents, les Gilets jaunes sont au rond-point à l’entrée nord d’Albertville. Ils distribuent des tracts sans bloquer la circulation. Et préparent la mobilisation de samedi prochain. En plus de cette occupation de rond-point, ils rejoindront l’association “Nous voulons des coquelicots” pour une marche pour le climat et la justice sociale, au départ du parc olympique à 10 heures. Leur slogan commun sera : « Fin du monde, fin du mois, même combat ». L’après-midi, de 15 à 18 heures, une marche pour le climat aura également lieu à Chambéry, sur le principe de plusieurs défilés convergents vers la place de la mairie. » (5)

BLESSURES ET DÉFAITES POLITIQUES

Le phénomène des Gilets jaunes, après quatre mois d’existence, et dix-huit samedi continus de manifestations dans toute la France, sont la démonstration, comme le dit Alain FAURE, que « les politiques ne se construisent que dans la blessure et les défaites » (6), blessures des uns et blessures des autres, défaites des uns et défaites des autres. La vie collective bienveillante, sereine et apaisée demeure une espérance.

RÉFÉRENCES

1. La cha^ne de télévision d’informations continues BFM TV affiche en ce mois de mars 2019, lors de ses émissions en direct, un bandeau placé en bas de l’écran qui mentionne « Priorité au décryptage ». En fait de décryptage, il s’agit d’un placage de descriptions, d’informations et d’argumentaires dont l’ambition se limite à répondre, sous l’angle de l’immédiateté et du sensationnalisme, se limitant aux questions « Que se passe-t-il ? », « Que va-il se passer ? ». Un décryptage déjà formaté et mis en récit. Bien avant que l’évènement ne se produise, son commentaire préexiste déjà. Il vient rejoindre les éléments de langage diffusés par les conférences de presse et les points-presse des autorités à l’intention des journalistes.
2. TILMAN Francis,
« L’analyse institutionnelle », Le Grain ASBLI, 24 octobre 2005.  http://www.legrainasbl.org/index.php?option=com_content&view=article&id=118
3. MILLS Charles Wright,
The Sociological Imagination, 1959.
MILLS Charles Wright,
L’imagination sociologique, Paris, Éditions La Découverte, 2015. Traduction française.
4. LABERGE Yves,
« Charles Wright Mills, L’imagination sociologique », Amerika, Mémoires, identités, territoires, n°17, 2017, https://journals.openedition.org/amerika/8265
5.
« Albertville. Gilets Jaunes. Fin du monde, fin du mois : même combat », Le Dauphiné libéré, 9 mars 2019.  https://www.ledauphine.com/savoie/2019/03/09/albertville-fin-du-monde-fin-de-mois-meme-combat
6. FAURE Alain,
« Les gilets jaunes vivent quelque chose d’euphorisant », Le Dauphiné, 19 décembre 2018. Alain Faure est directeur de recherche au CNRS.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • « En raison de la manifestation des Gilets jaunes certaines stations/gares sont fermées ». Écran numérique d’information pour les voyageurs de la RATP, Station Saint-Michel, Paris, samedi 16 mars 2019. © Photographie Bernard Mérigot/CAD.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°344, lundi 18 mars 2019

COMMENTAIRE du 25 mars 2019
J. KELL

UNE INCROYABLE VIOLENCE

Le samedi 23 mars 2019, Geneviève LEGAY, militante associative âgée de 73 ans, habitant Nice (Alpes Maritimes), se trouve Place Garibaldi. Des policiers, des CRS, chargent. Elle est grièvement blessée à la tête et transportée à l’hôpital.

Le lendemain dimanche 24 mars, à l’Aéroport de Nice, le président de la République Emmanuel MACRON, accorde un entretien au journal Nice Matin. Interrogé sur cet incident il déclare « Je souhaite d’abord qu’elle se rétablisse au plus vite et sorte rapidement de l’hôpital, et je souhaite la quiétude à sa famille. Pour avoir la quiétude, il faut avoir un comportement responsable. Je pense que quand on est fragile, on peut se faire bousculer, on ne se rend pas dans des lieux qui sont définis comme interdits et on ne se met pas dans des situations comme celle-ci. Cette dame n’a pas été en contact avec les forces de l’ordre. Elle s’est mise en situation d’aller dans un endroit interdit, de manière explicite, et donc d’être prise dans un phénomène de panique. Je le regrette profondément, mais nous devons, partout, faire respecter l’ordre public. Je lui souhaite un prompt rétablissement, et peut-être une forme de sagesse.

Cette déclaration d’Emmanuel Macron, sous l’apparence d’un faux « bon sens » (« Quand on est fragile… »), est d’une nature profondément perverse. Elle est porteuse d’une incroyable violence. Elle constitue une discrimination fondée sur l’âge et la condition physique des citoyens comme critère pour déterminer qui a le droit et qui n’a pas le droit, de se trouver dans la rue pour y exprimer des idées.

La logique de l’État est aujourd’hui de sous-entendre une idée-limite, celle d’une nouvelle légitimité démocratique qui prendrait la forme – pourquoi pas ? – d’un examen médical qui délivrerait un certificat d’aptitude physique, condition préalable pour être autorisé à manifester.

Alors que l’on peut être dans la rue sans être un manifestant affirmé. Comment distinguer le manifestant et le passant ? Comment faire la part entre être là, hic et nunc, et manifester la-bas et demain ? Comme dans l’amour courtois lorsqu’on déclarait sa flamme, désormais pour manifester, il faut aussi se déclarer  ? Manifestant ou non manifestant ? Manifestation déclarée ou manifestation non déclarée ? Manifestation autorisée, ou manifestation non autorisée ? Une démocratie procédurale est en train de se construire. Elle réduit la démocratie effective comme une peau de chagrin.

Qui peut certifier qu’un Gilet jaune blessé lors d’une manifestation était vraiment en bonne santé avant de s’y rendre et d’être atteint par un tir de Flash-Ball (LBD) ? Avait-il vraiment ses deux yeux avant d’en perdre un ?

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Les gilets jaunes et le Rapport annuel 2019 de la Cour des comptes (Didier Migaud)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°339, lundi 11 février 2019

Quel rapport y a t il entre le mouvement des Gilets jaunes qui s’est manifesté à partir du mois de novembre 2018, et le Rapport annuel 2019 de la Cour des comptes ? Il y en a un, sinon Didier MIGAUD, le Premier président de cette juridiction administrative, n’aurait pas  nommément évoqué lors de sa conférence de presse du mercredi 6 février 2019, ni cette mobilisation populaire, ni les effets des décisions prises par le président de la République Emmanuel MACRON et par le Premier ministre Édouard PHILIPPE.

Didier MIGAUD, Premier président, présente le Rapport public annuel 2019 de la Cour des comptes,
le mercredi 6 février 2019, Grand’chambre de la Cour, 13 rue Cambon, Paris.
Sur la photo, De gauche à droite, Michèle PAPPALARDO, rapporteure générale du Rapport public, Didier MIGAUD, Premier président, Raoul BRIET, président de la 1ère Chambre. © Photographie Bernard Mérigot / CAD.

LA TRAJECTOIRE IMPRÉCISE
DES COMPTES PUBLICS

Didier MIGAUD déclare que « La trajectoire [des comptes publics] inscrite en septembre 2018 dans le projet de loi de finances a été substantiellement modifiée par les mesures d’urgence annoncées en décembre, en réponse au mouvement des « gilets jaunes ». Il ne nous revient nullement d’apprécier le contenu et l’opportunité de ces mesures. L’analyse figurant dans le Rapport annuel consiste à apprécier leur impact sur les comptes publics ». (p. 3) (1)

Plusieurs choses sont dites ici. D’abord, qu’un évènement qui se produit dans les deux derniers mois de l’année 2018 (la première manifestation des Gilets jaunes, dite « Acte I », a eu lieu le 17 novembre 2018), c’est-à-dire durant une période très courte (six semaines sur les cinquante-deux semaines de l’année civile), suffit à déséquilibrer l’année comptable de l’exercice budgétaire. Ensuite, qu’un phénomène imprévisible ne peut être évalué ni dans ses effets directs, ni dans ses effets indirects, le Gouvernement n’étant pas en mesure de chiffrer leur coût financier. On appréciera la belle métaphore de « trajectoire » appliquée aux comptes publics. C’est une façon de dire, sans ici le moindre jeu de mot, que l’État « en marche » ne sait pas exactement où il va dans le domaine financier.

« LES ATTENTES IMMENSES DE NOS CONCITOYENS »

La Cour des comptes signifie ainsi que les modifications budgétaires arrêtées par le président de la République Emmanuel MACRON, le Premier ministre Édouard PHILIPPE et le gouvernement sont porteuses d’effets budgétaires à ce jour ignorés. Dans sa même intervention Didier MIGAUD souligne que « notre Rapport public parait à l’heure où certains de nos concitoyens expriment d’une façon inédite leurs attentes immenses à l’égard de l’action publique et de ses gestionnaires ». (p. 1)

Il insiste :

« A cout terme, la Cour estime indispensable que le Gouvernement présente, dès que possible, des projets de loi de finances rectificatives pour l’État et la sécurité sociale. Ces textes devaient intégrer, de manière sincère et exhaustive, l’ensemble des mesures annoncées en décembre et les conséquences de l’évolution défavorable de la situation macroéconomique que nous observons depuis l’automne ». (p. 2)

ET SI L’ÉVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES
ÉTAIT UN PROJET SUBVERSIF ?

Le propos de Didier MIGAUD doit être replacé dans contexte du Rapport annuel de la Cour des comptes, qui lui-même doit être replacé dans le contexte général de la place occupée par la Cour des comptes dans le dispositif constitutionnel français. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, la Cour des comptes a pour mission d’assister le Parlement et le Gouvernement dans l’évaluation des politiques publiques. Dans une publication d’octobre 2018 intitulée Les Juridictions financières (2) le Cour des comptes elle-même écrit :

« Lorsqu’elle évalue une politique publique, la Cour des comptes cherche à vérifier si les résultats de cette politique sont à la hauteur des objectifs fixés si les moyens utilisés le sont de manière efficace et efficiente. » (p. 17)

« Le rôle de la Cour des comptes n’est pas de commenter les décisions politiques, mais d’évaluer leurs conséquences et de formuler des recommandations pour atteindre les objectifs votés par le Parlement ». (p.17)

Relevons les quatre principes de la démarche de la Cour des comptes :

1. « vérifier si les résultats de la politique [du Gouvernement] sont à la hauteur des objectifs fixés,
2. « vérifier si les moyens utilisés le sont d’une manière efficace et efficiente,
3. « [évaluer] les conséquences [des décisions politiques] et formuler des recommandations pour atteindre les objectifs votés par le parlement »,
4. [La publication de ces évaluations] « participe pleinement à la mission constitutionnelle de la Cour des comptes qui est de contribuer à l’information des citoyens. »

Cour des comptes. Entrée du 13 rue Cambon, 75001 Paris. © Photographie Bernard Mérigot / CAD 2019.

LES QUATRE MISSIONS
DE LA COUR DES COMPTES

1. « vérifier si les résultats de la politique [du Gouvernement] sont à la hauteur des objectifs fixés ».

Il s’agit d’une mission qui comprend trois remises en cause des pratiques de gouvernement et des pratiques administratives de l’État.

  • La première remise en cause implique que soient définis clairement des objectifs. Non pas des objectifs flous, mais des objectifs précis, pas des objectifs implicites mais des objectifs explicites. Sans compter que les objectifs se déplacent, évoluent, disparaissent. Tous les gouvernements, toutes les administrations, tous les services publics subventionnés mettent souvent en avant des objectifs tellement généraux qu’ils n’ont aucun sens, et sans fournir d’indicateurs précis permettant d’apprécier s’ils sont atteints ou non.
  • La seconde remise en cause concerne l’appréciation des résultats. Souvent, faute d’indicateurs indiqués au départ, l’examen des résultats est insaisissable. Ceux-ci sont manipulés par des campagnes de communications institutionnelles, d’annonces publicitaires, et de campagnes médiatiques.
  • La troisième remise en cause est constituée par la comparaison entre les résultats et les objectifs. Celle-ci contient potentiellement une contestation radicale des pratiques effectives de l’État à partir de la multitude d’annonces quotidiennes faites par certains ministres.

2. « vérifier si les moyens utilisés le sont d’une manière efficace et efficiente ».

Il faut distinguer ici « efficacité » et « efficience ».

  • L’efficacité est la capacité, d’une personne, d’un groupe ou d’un système, à parvenir à ses fins, à ses objectifs qu’il s’est donné, ou bien qui lui ont été donnés. Être efficace revient à produire à l’échéance prévue les résultats escomptés et réaliser ce qui est attendu, que ce soit en termes de quantité, de qualité, de rapidité, de coût, de rentabilité.
  • L’efficience est la capacité à atteindre des objectifs au prix d’une consommation optimale de ressources (personnel, matériel, finances).

Le problème lorsque l’on évoque les moyens qui sont utilisés, c’est qu’ils ne sont pas toujours en adéquation avec l’objet visé. D’abord parce que, tout simplement, certains moyens ne sont pas visibles. Non pas qu’ils soient secrets. Ils ne sont tout simplement pas pris « en compte ». On a l’impression que des services publics fonctionnent automatiquement. D’abord, parce que le niveau pertinent de moyens est toujours difficile à déterminer : ils sont, ou bien sur-estimés, ou bien sous-estimés. Souvent le nombre de personnes « pour faire » est soit pléthorique, soit insuffisant. Enfin, diverses formes de bénévolat, ou bien de pratiques non comptabilisés, aboutissent à ce qui ne devrait pas marcher en théorie, fonctionne en pratique. Et vice versa, ce qui devrait marcher en théorie, ne fonctionne pas en pratique. Nous sommes dans l’imprévisible. De toute façon, dans un cas comme dans l’autre, l’État s’auto-félicite sans jamais reconnaître s’être trompé.

3. « [évaluer] les conséquences [des décisions politiques] et formuler des recommandations pour atteindre les objectifs votés par le parlement ».

Quelles sont les conséquences des décisions politiques ? Les conséquences directes et les conséquences indirectes sont généralement confondues. Quant-aux recommandations faites, et rendues publiques, relevons ici l’interrogation portant sur « les objectifs votés par le parlement ». Quels documents publics présentent clairement ces objectifs ? Qui les consulte ? Qui s’y réfère ? Pas les citoyens.

4. [La publication de ces évaluations] « participe pleinement à la mission constitutionnelle de la Cour des comptes qui est de contribuer à l’information des citoyens ».

Il est utile, eu égard aux légitimes attentes démocratiques, que soit rappelé ici que le destinataire final n’est pas l’État, mais le citoyen. Le problème est que la complexité des dispositifs rend ses productions invisibles.

LA PAROLE PUBLIQUE EST MISE EN DOUTE

Didier MIGAUD termine son propos en évoquant « le contexte de plus en plus exigeant, à une époque où la parole publique, quel qu’en soit l’auteur, est mise en doute, et où la production d’une information objective est menacée par la propagation de fausses nouvelles ».

Ces deux thèmes sont d’actualité et vont de paire : délégitimation de la parole publique, et diabolisation des Fake news. L’un et l’autre affectent les rapports des citoyens avec la Res publica. Plus exactement, une fonction de cette relation. Celle qui fait que le citoyen et la citoyenne croit, ou ne croit pas, en cette fiction républicaine de l’État juste et bienveillant.
La capacité à croire porte un nom : la crédulité. La capacité à ne pas croire a elle aussi un nom : l’incrédulité. Au milieu résiderait l’esprit critique que de bons esprits voudraient voir jouer un rôle de légitimation de la vérité, comme si les faits sociaux pouvaient échapper à la fois à leur mode de production et à leur rôle dans la construction de la réalité.

Nous sommes en présence d’une rupture de deux continuités : rupture des discours de croyance, rupture des territoires de croyance.

  • Rupture au sein des discours de croyance, c’est-à-dire à la possibilité de croire à des paroles tenues par des « autorités représentantes ». Les Gilets jaunes disent ne plus croire en la parole politique qui se plait à dénoncer les Fake news alors qu’elle en a toujours été la grande productrice de Fake news d’État – du type « la route du fer est définitivement coupée » de Paul RAYNAUD (24 mai 1940) – jusqu’aux innombrables déclarations de ministres, à longueur d’interviews radiophoniques et télévisés. Paul RAYNAUD mentait-il ? Il ne disait pas la vérité : il arrangeait la réalité. Pensait-t-il que ses paroles seraient bonnes pour le moral de la population ? Mais annoncer des choses qui n’existent pas, en créant un espoir temporaire est un risque. Comment s’étonner que ceux qui le constatent manifestent ?
  • Rupture au sein des territoires de croyance, c’est à dire d’un espace ou les plus riches viennent en aide aux plus pauvres. Les citoyens ne croient plus que tous les territoires appartiennent de façon continue à une même démocratie.

Didier MIGAUD achève  son propos : « Tous les acteurs publics sont soumis à la même obligation de rendre compte de leur gestion ». (p. 8). Ce qui n’est pas le cas pour tous les discours et pour tous les territoires. La Cour des comptes ne ment pas. Elle dit  ce qu’elle peut, comme elle peut, dans le cadre « qui est le sien », selon une formule chère aux acteurs politiques. Elle n’a pas pour rôle de résoudre les ruptures mais d’en dire un certain nombre.

Bernard MÉRIGOT

Au-dela des rapports de la Cour des comptes, l'endettement, les deficits publics sont criants, l'Etat depense depuis  belle lurette beaucoup plus qu'il n'encaisse, il vit a credit.

« Au-delà des rapports de la Cour des comptes, l’endettement, les déficits publics sont criants, l’État dépense depuis belle lurette beaucoup plus qu’il n’encaisse, il vit à crédit ». Présentation du Rapport annuel 2019 de la Cour des comptes, Grand’chambre de la Cour, 13, rue Cambon, 75001 Paris, mercredi 6 février 2019. Article de Michel RICHARD « Triste Cour des comptes », Le Point (Édition numérique), 10 février 2019. © Photographie Jacques DEMARTHON.

COMMENTAIRES
12 février 2019

Bernard MÉRIGOT à la Cour des comptes

Lorsque je suis venu ce mercredi 6 février 2019 à la conférence de presse de présentation du Rapport public 2019 de la Cour des Comptes, ce n’était pas pour « faire un Selfie » avec son Premier président Didier MIGAUD. J’y ai participé avec une accréditation Presse, j’y ai pris des notes, j’y ai pris des photos, j’ai rédigé un article sur le sujet (on peut le lire ci-dessus), et qui est publié et accessible en ligne.
Tous les grands médias et les agences de presse étaient présents. Le magazine Le Point y était, et dans son édition numérique en date du 10 février 2019, il a publié une photo prise dans la Grand’Chambre de la Cour. (3) Je découvre que j’y figure dans l’assistance (exactement de dos-trois-quart : il n’y a qu’a chercher, comme dans  « Où est Charlie ? » (4)  Cela dit, la photo restitue bien l’ambiance de cette conférence de presse. Il est à noter que les caméras des chaînes de télévision, se trouvant derrière le photographe du Point, ne sont pas visibles sur cette photo.

Qu’est-ce qu’une conférence de presse ? Un anthropologue observera que pour toute institution, une conférence de presse est toujours un moment important de son existence. Elle comprend un rituel. Elle a été préparée et annoncée (le lieu, le contenu, les documents…). Il y a des choses à dire, et des choses à ne pas dire,  des messages « à faire passer » et l’attente que les médias s’en fassent l’écho. Le pire qui puisse advenir est qu’elle se déroule devant une assistance clairsemée et que ses retombées en terme d’articles et de reportages, soient peu nombreuses. C’est la crainte de tous les organisateurs : une gréve de transports en communs, une tempête de neige, une vague de chaleur, ou des inondations, et c’est tout le travail de communication qui échoue dans l’indifférence.
La conférence de Prese de la Cour des comptes, est un rendez-vous qui a lieu tous les ans et qui constitue le point d’aboutissement du rapport qui a été préparé tout au long de l’année : une publication (1 210 pages) longuement élaboré, rédigé, corrigé… et enfin rendu public.
Son Premier président, Didier MIGAUD est venu à l’Élysée le remettre en main propre au Président de la République dans les premiers jours de février. Le sommaire et quelques passages qui ont pu être divulgués aux journalistes accrédités l’ont été selon la règle de l’embargo, c’est-à-dire avec l’engagement, pris par eux, de ne rien ni révéler ni publier, avant la date fatidique de la conférence de presse.

Rapport public 2019 de la Cour des comptes, Conférence de presse du mercredi 6 février 2019. Note aux rédactions, 30 janvier 2019.

RÉFÉRENCES DE L’ARTICLE

1. MIGAUD Didier, Présentation du Rapport public annuel, Conférence de presse, mercredi 6 février 2019, 8 p. Didier MIGAUD est Premier président de la Cour des Comptes.

Le corps principal du Rapport public annuel 2019 comprend 1210 pages réparties ainsi :

  • COUR DES COMPTES, Le Rapport public annuel 2019, Tome I, Les Observations, 504 p.
  • COUR DES COMPTES, Le Rapport public annuel 2019, Tome II, 433 p.
  • COUR DES COMPTES, Le Rapport public annuel 2019, Tome III, 153 p.
  • COUR DES COMPTES, Le Rapport public annuel 2019, Les observations. Synthèse, 60 p.
  • COUR DES COMPTES, Le Rapport public annuel 2019, Le suivi des recommandations. Synthèse, 60 p.

2. COUR DES COMPTES, Les Juridictions financières, 2018, 34 p. Préface de Didier MIGAUD.

3. RICHARD Michel, « Triste Cour des comptes », Le Point (Édition numérique), 10 février 2019. https://www.lepoint.fr/editos-du-point/michel-richard/michel-richard-triste-cour-des-comptes-10-02-2019-2292381_54.php

4. « Où est Charlie ? » (« Where’s Wally ? » au Royaume-Uni, et « Where’s Waldo ? » aux États-Unis) est le nom des livres-jeu créés par Martin HANDFORD qui consiste à retrouver un personnage (dont le nom est Charlie, en France) à l’intérieur d’images complexes.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Didier MIGAUD, Premier président Rapport public annuel 2019 de la Cour des comptes, mercredi 6 février 2019, Grand’chambre de la Cour, 13 rue Cambon, Paris. Sur la photo, De gauche à droite, Michèle PAPPALARDO, rapporteure générale du Rapport public, Didier MIGAUD, Premier président, Raoul BRIET, président de la 1ère Chambre. © Photographie Bernard Mérigot / CAD.
  • Cour des comptes. Entrée du 13 rue Cambon, 75001 Paris. © Photographie Bernard Mérigot / CAD.
  • « Au-delà des rapports de la Cour des comptes, l’endettement, les déficits publics sont criants, l’État dépense depuis belle lurette beaucoup plus qu’il n’encaisse, il vit à crédit ». Présentation du Rapport annuel 2019 de la Cour des comptes, Grand’chambre de la Cour, 13, rue Cambon, 75001 Paris, mercredi 6 février 2019. Article de Michel RICHARD « Triste Cour des comptes », Le Point (Édition numérique), 10 février 2019. © Photographie Jacques DEMARTHON.
  • Rapport public 2019 de la Cour des comptes, Conférence de presse du mercredi 6 février 2019. Note aux rédactions, 30 janvier 2019.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°339, lundi 11 février 2019

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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2019/02/11/les-gilets-jaunes-et-le-rapport-annuel-2019-de-la-cour-des-comptes-didier-migaud/

 

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