Où vont les Sciences de l’Éducation ? Hommage à Guy Berger (1932-2023)

Guy BERGER, professeur émérite en Sciences de l’éducation à l’Université de Paris 8 Vincennes nous a quitté à la fin de l’année 2023. Tous ceux qui l’ont rencontré ou qui ont travaillé avec lui se souviennent de ses interventions brillantes et de l’attention qu’il portait à ses interlocuteurs. Il a été présent au Centre Universitaire Expérimental de Vincennes (CUEV) depuis sa création en 1968-1969 et à laquelle il a participé activement. Une journée d’hommage lui a été consacrée par l’Université de Paris 8 le mardi 12 mars 2024.

« Où vont les Sciences de l’éducation ? » s’interrogeait Guy BERGER le 6 octobre 2021 en prononçant la leçon doctorale de rentrée universitaire de l’Institut Supérieur de Pédagogie (ISP) de l’Institut Catholique de Paris. Il ajoutait avec ironie « Ma seule assurance, c’est que puisque je n’ai pas la possibilité de participer à cet avenir, je n’aurai pas non plus l’occasion de savoir que je me suis complètement trompé. » (BERGER, 2021, p. 1).

En 2022, Guy BERGER participait à la journée d’études consacrée à Daniel HAMELINE. Dans son intervention il insistait sur  ce que c’est de parler d’éducation : « c’est parler d’une pratique sociale multiple, présente dans plusieurs champs institutionnels, accompagnant le devenir de chacun d’entre nous, correspondant à une multiplicité d’acteurs, à des activités parfois implicites ou même inconscientes, une pratique plus ou moins diffuse et non un ensemble de savoirs spécialisés ».

Guy BERGER et Daniel HAMELINE le 24 mars 2022 lors de la Journée d’étude organisée à la Faculté d’Éducation et de Formation de l’Institut Catholique de Paris. © Photo CAD/MALA Bernard Mérigot.

ATTENTION ET RATIONALITÉ

Augustin MUTUALE, au cours de la présentation de la Table ronde n°3 « Guy Berger, pédagogue et chercheur » qu’il animait avec Charles SOULIÉ, a donné lecture d’un extrait d’un article que Guy BERGER a consacré à Daniel HAMELINE. Dans ce texte Guy BERGER relève deux concepts essentiels relatifs aux Sciences de l’éducation.

« Pour moi toute l’oeuvre de Daniel Hameline, aussi abondante et diverse qu’elle fut, se développe en deux lignes mélodiques opposées mais toutes deux toujours en mode majeur.
« L’une est celle de la philia, de l’attention, et je dirais volontiers de la tendresse amicale et attentive à l’égard de l’expérience du quotidien, de la tentative sans certitude telle qu’elle s’exprime dans La liberté d’apprendre (1967) écrit comme au chevet d’une expérience en train d’être vécue et qui devra donc être reprise, car jamais la congruence ne se donne à penser immédiatement et il ne peut procéder de la non-directivité avec laquelle elle fit un temps alliance.
L’autre ligne est celle de la rationalité, de l’exigence et de la référence savante qu’il s’empressa de proposer dans Du savoir et des hommes (1971) très peu d’années après la première, pressé qu’il était de voir ces deux lignes s’entrecroiser ». (BERGER, 2003, p. 70)
BERGER Guy (2023). « Daniel Hameline ou le savoir bien tempéré », in MUTUALE Augustin, SERINA-KARSKY Fabienne et HOFSTETTER Rita (2023). Dialoguer avec Daniel Hameline. Un maestro pour une juste pédagogie, L’Harmattan.

La Philia (en grec φιλία : philía), c’est la camaraderie, l’hospitalité, l’appartenance à un groupe social, la relation qui existe entre les citoyens de la cité et forme la communauté. Comment produire entre les citoyens des relations d’amitié (philia), c’est-à-dire le lien social qui permette à la cité d’exister ? Pour Platon, la réponse réside dans les Lois et les coutumes inculquées par l’éducation aux citoyens : ce n’est pas un simple rapport interpersonnel (que l’on traduit par l’amitié, parfois passagère), mais une catégorie politique et éthique durable, la reconnaissance de l’égalité de tous devant la Loi qui est à la naissance de la citoyenneté grecque, et dont la citoyenneté universitaire, de génération en génération, de pays en pays, demeure l’héritière.

Bernard MÉRIGOT
Anthropologue
Chercheur associé à la MSH Paris-Saclay
contact@mieuxaborderlavenir.fr


HOMMAGE A GUY BERGER
(1932-2023)
acteur et témoin de l’histoire de Vincennes
et des Sciences de l’Éducation à Paris 8,
pédagogue et chercheur, compagnon de route et ami critique
Journée d’étude
Mardi 12 mars 2024

Université de Paris 8, Maison de la Recherche,
2, rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis,


13 H 00
Ouverture
Annick Allaigre, Présidente de l’université Paris 8-Vincennes à Saint-Denis
Présentation de la rencontre.
Martine Morisse et Nicole Blondeau, Maîtresses de conférences en sciences de l’éducation à Paris 8, Laboratoire EXPERICE
Introduction
Francine Demichel, Présidente de Paris 8-Vincennes à Saint-Denis (1987-1991), Directrice de l’enseignement supérieur au ministère de l’éducation (1998-2002)
13 H 45
GUY BERGER, ACTEUR ET TÉMOIN DE L’HISTOIRE DE VINCENNES ET DES SCIENCES DE L’ÉDUCATION À PARIS 8
Animation Françoise F. Laot, Professeure en sciences de l’éducation, Université de Paris 8, Laboratoire EXPERICE
En introduction de cette table ronde sera projeté un court extrait d’une interview filmée de Guy Berger réalisée en juillet 2022. Interventions de Alain Coulon, Professeur émérite à Paris 8 ; Jenn-Luc Blard, Service d’Archives de Paris 8 ; Jean-Louis Le Grand, Professeur à Paris 8 ; Delphine Leroy, Maîtresse de conférences à Paris 8 ; Colette Perrigault, co-autrice avec Guy Berger et Maurice Courtois du l’ouvrage Folies et raisons d’une université : Paris 8 de Vincennes à Saint-Denis.
15 H 15
GUY BERGER, COMPAGNON DE ROUTE ET AMI CRITIQUE DU CLEPT (COLLÈGE-LYCÉE ELITAIRE POUR TOUS) DE GRENOBLE
Animation Jean-Yves Rochex, Professeur émérite, Université de Paris 8, Laboratoire ESCOL-CIRCEFT
Au cours de cette table-ronde seront projetés des extraits du film de Jean-Paul Pénard Guy Berger et le CLEPT, un compagnonnage.
Participation de Marie-Cécile Bloch, co-fondatrice et ancienne enseignante de SVT au CLEPT ; Rémy David, ancien enseignant de philosophie au CLEPT et directeur de programme au Collège international de philosophie ; Jean-Paul Pénard, réalisateur documentariste ; Agathe Vernay, ancienne enseignante de Lettres au CLEPT.
16 H 45
GUY BERGER, PÉDAGOGUE ET CHERCHEUR
Animation Augustin Mutuale, Professeur en sciences de l’Éducation à l’Institut Catholique de Paris et Charles Soulié, Maître de conférences en sociologie à Paris 8
Exploration du corpus des thèses que Guy Berger a encadrées, discussion sur la manière dont il a accompagné ses étudiants et étudiantes afin que chacune et chacun puisse donner sa pleine mesure et s’épanouir intellectuellement et personnellement. Évocation également des multiples collaborations que Guy Berger, adepte du travail collaboratif, a développées.
Participation de Raoul Lucas (Formation/Développement à La Réunion avec le CAFOC et Paris 8, travail avec l’Université des Mascareignes); Frédérique Lerbet (AFIRSE); Olivier Akakpo-Guetou (Président de l’AMAP, L’Amitié des peuples du Monde).
18 H 00
ÉCHANGE CONVIVIAL AUTOUR D’UN BUFFET 18H30 PROJECTION DES DOCUMENTAIRES
.   « Les mystères de Guy » film de Victorino Flores et Gergana Dimitrova (50mn). https://sharedocs.huma-num.fr/wl/?id=vejUBkSpI5PAlkTLnhfMzEr7UuZELTpB
.   « Guy Berger et le CLEPT, un compagnonnage » film de Jean-Paul Pénard
.   « Guy Berger : témoignage sur les sciences de l’éducation à Paris 8 »
.   Entretien Delphine Leroy, Françoise F. Laot – Image Olivier Burgain (2022)https://univ-paris8.zoom.us/j/94459491833?pwd=dEhFWU50Q0RpS1Q0ODA4TXBXQUNSdz09

DOCUMENT 1

Hommage à Guy Berger
1932-1923)

Guy Berger, Professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Paris-8-Vincennes qu’il participa à fonder en 1969, nous fit ce dernier cadeau de co-coordonner ce numéro Phronesis avec nous.

Créateur des sciences de l’éducation à l’université de Vincennes (devenue l’Université Paris-8), où il fut également directeur d’UFR, engagé dans plusieurs associations et revues scientifiques, mais également dans des mouvements d’éducation populaire, il accompagna un grand nombre de doctorants dans leurs travaux de thèses. Il aurait dirigé plus d’une centaine de thèses, ce qui en fait l’un des plus productifs directeur de thèses. Sans parler de ses nombreuses contributions aux jurys de thèses, d’HDR, à ses relectures et aides dans le processus de la recherche, qu’il affectionnait tant. Il aimait ce partage avant tout de la recherche et les débats que cela faisait naître.

Après son éméritat, sa carrière se poursuivit à la Faculté d’Éducation et de Formation, ex ISP, de l’Institut Catholique de Paris. Présent tant pour les moments de travail que pour les moments festifs, comme ce dernier événement auquel il participa en avril 2023 pour la promotion de l’ouvrage consacré à Daniel Hameline auquel il contribua, il anima plusieurs séminaires doctoraux, participa à des jurys de soutenance de thèse, échangea sans relâche avec nos collègues et étudiants, jusqu’à ses derniers jours.

La pensée et la recherche en éducation resteront marquées par ses apports sur l’altérité, la multiréférentialité, l’évaluation, l’analyse institutionnelle, les sciences de l’éducation, l’inclusion, le décrochage scolaire. Il contribua à renouveler un certain nombre de concepts et à les éclairer de ses réflexions, il dira dans un entretien publié dans la revue Enfances & Psy en 2001 « éduquer quelqu’un c’est aussi réduire les difficultés, l’aider à se confronter à la difficulté et donc à prendre des coups » (Berger, 2001, p. 18). La relation éducative a ainsi cette part d’accompagnement qui permet à la personne de se découvrir et de découvrir l’Autre, parfois dans une certaine douleur, et traversée par un certain nombre d’efforts à faire de part et d’autre. Guy Berger tenait à prendre en compte ainsi la complexité dans la relation éducative, ses limites, ses difficultés, ses apports, ses bénéfices. Il a été pour nous tous une source intarissable d’inspiration féconde. Ce numéro, qui paraît juste après sa disparition, auquel il tenait particulièrement, est donc dédié à l’ensemble de ses travaux qui nous ont tant inspirés et qui continueront longtemps à nous accompagner. Nous vous offrons une courte liste des écrits et entretiens auxquels il contribua durant cette dernière décennie.

BIBLIOGRAPHIE

Berger, G. (2023). Daniel Hameline ou le savoir bien tempéré. Dans A. Mutuale, F. Serina-Karsky et R. Hofstetter, Dialoguer avec Daniel Hameline. Un maestro pour une juste pédagogie (p. 69-81). L’Harmattan
Berger, G., Mutuale, A. (2020). S’engager dans la recherche en sciences humaines et sociales. Le champ de l’éducation. ESF.
Berger, G., Mutuale, A., Serina-Karsky, F. et Parayre, S. (2020). L’éducation complexe : entretien avec Edgar Morin, Tréma, n° 54. https://journals.openedition.org/trema/6193
Berger, G., Parayre, S., Serina-Karsky, F. (2020). De l’inclusion des “canards boiteux “à l’inclusion pour toutes et pour tous : autonomie, émancipation et communauté à l’université. Dans S. Parayre, F. Serina-Karsky et A. Mutuale, De la pédagogie universitaire inclusive. L’université et le handicap (p. 193-218). L’Harmattan.
Mutuale, A., Berger, G. (2021). En quoi le biographique nous provoque-t-il ? Du statut de la voix. Le sujet dans la cité, 12, 225-234. https://doi.org/10.3917/lsdlc.012.0225
Berger, G., Mutuale, A. (2019). Autre/altérité/altération. Dans C. Delory-Momberger (Éd.), Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique (p. 39-42). Érès. https://doi.org/10.3917/eres.delor.2019.01.0039
G., Hedjerassi, N.
(2017). Aux sources de la discipline universitaire des sciences de l’éducation, une filiation alternative : Paris 8 Vincennes. Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle, 50, 105-126. https://doi.org/10.3917/lsdle.501.0105
Berger, G., Courtois, M., Perrigault, C. (2015). Folies et raisons d’une université : Paris 8 – De Vincennes à Saint-Denis. Pétra.Berger, G., Mutuale, A. (2012). Conversations sur l’éducation. S’autoriser à éduquer. L’Harmattan.
Berger, G., (2001). « Tous à l’école » ou « Tout à l’école » ? Enfances & Psy, 16(4), 13-20. https://doi.org/10.3917/ep.016.0013

RÉFERENCES
MUTUALE Augustin, SERINA-KARSKY Fabienne et PARAYRE Séverine (2023). « Hommage à Guy Berger (1932-1923) », Phronesis, 2023/HS1 (n° hors-série), p. 1-3. https://cairn.info/revue-phronesis-2023-HS1-page-1.htm


François MOOG et Guy BERGER, le 16 mai 2019 lors de la Journée doctorale en Anthropologie de l’éducation « Une éducation par laquelle l’être humain se forme à être humain », Institut Supérieur de Pédagogie (ISP), Faculté d’Éducation, Institut Catholique de Paris. 3 rue de l’Abbaye, 75006 Paris. © Photographie CAD/MALA Bernard Mérigot

 


DOCUMENT 2

In memoriam
Guy Berger (1932-2023)

Une figure historique des Sciences de l’éducation vient de disparaître. Guy Berger, Professeur honoraire à l’Université Paris VIII, s’est éteint le 12 juin 2023.

Né apatride à Bruxelles en 1932, de parents juifs et communistes hongrois, Guy Berger entreprend des études de philosophie et de psychologie. Obtenant le CAPES, puis l’Agrégation de philosophie, il enseigne cette discipline une dizaine d’année en lycée, puis en École normale, avant que d’être recruté comme Assistant en Psychologie de l’enfant à la Sorbonne, puis, en 1968, Maître Assistant en Sciences de l’éducation au tout nouveau Centre expérimental de Vincennes, à la création duquel il prend une part active, et qui deviendra Université de Vincennes, puis Université Paris 8 Vincennes à Saint-Denis. Il y effectuera toute sa carrière d’enseignant-chercheur (Habilitation à diriger des recherches en 1988, Professeur en 1989, Professeur émérite depuis 1998), y exercera de fort nombreuses responsabilités et y animera de très nombreux séminaires et instances de réflexion.

Les responsabilités qu’il a exercées dans le champ pédagogique et des Sciences de l’éducation ont également été très nombreuses, à l’échelle nationale et internationale : membre de divers conseils scientifiques (Institut national de la recherche pédagogique, Collège coopératif, CIIE – Centre de Recherches et d’Interventions éducatives de l’Université de Porto…) ; interventions dans de nombreux organismes ou actions de formation (Missions académiques pour la formation des personnels de l’Éducation nationale, Instituts universitaires de formation des maîtres, Institut supérieur de pédagogie, Centre international d’études pédagogiques, Universités d’été, écoles de travail social…) ; vice-présidence de la 70ème section du CNU ; Présidence de l’AFIRSE (Association Francophone Internationale de Recherche scientifique en Éducation) et rédaction-en-chef de sa revue L’Année de la Recherche en éducation ; consultant auprès de la Direction de l’enseignement supérieur et de la Mission scientifique du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ainsi qu’ auprès de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, de l’Organisation de coopération et de développement économiques ; créateur et animateur (avec Michel Debeauvais) du GRETAF (Groupe d’Études sur l’Éducation en Afrique). Il a été Professeur invité ou intervenant et a effectué des missions professionnelles dans près d’une trentaine de pays, en Europe, Afrique, Amérique latine, Canada, Viêt-Nam….

Considérant comme assez décevantes son expérience de Professeur d’École normale et celle d’Assistant en Psychologie de l’enfant, trop « scientistes » ou « applicationnistes » à son goût, très critique quant aux modes d’enseignement qui y avaient cours, il s’efforce toute sa vie de promouvoir une vision plus large de l’éducation, ne séparant pas l’acquisition de savoirs ou d’outils de pensée de la rencontre et de la formation de la personne, la réflexion théorique et éthique sur « ce qu’est éduquer » d’une visée de l’émancipation, individuelle et collective. Ce pourquoi il saisit très vite l’occasion de se joindre au projet de création du Centre universitaire expérimental de Vincennes, jusqu’à faire partie – avec entre autres Alain Badiou, Robert Castel, Hélène Cixous, Pierre Dommergues, Michel Foucault, Jean-Claude Passeron, Jean-Pierre Richard… – du groupe des « enseignants-cooptants » chargé, en octobre-novembre 1968, de choisir, par cooptation, les futurs enseignants de Vincennes. Son rôle y sera multiforme, allant de la négociation avec la RATP pour la mise en place d’une ligne de bus ou le Ministère des PTT (Poste, télégraphe et téléphone) pour le raccordement téléphonique, jusqu’à la participation à nombre d’innovations pédagogiques : évaluation par système d’unités de valeur, cursus pluri-disciplinaires et grande liberté de choix pour les étudiants, promotion de disciplines ou d’approches jusqu’alors peu reconnues ou exclues du monde universitaire, introduction de technologies audio-visuelles et importance donnée au travail de groupe, ouverture à des enseignants associés, professionnels ou étrangers, et à des étudiants salarié ou étrangers…, toutes choses aujourd’hui largement entrées, voire banalisées, dans les mœurs universitaires mais qui étaient à l’époque fort originales et bousculantes pour le champ académique. Il rendra compte et reviendra de manière réflexive sur cette expérience et sur le devenir ultérieur de l’Université de Vincennes, devenue Paris 8, dans l’ouvrage Folies et raisons d’une université : Paris 8, co-écrit avec Maurice Courtois et Colette Perrigault (Ed. Petra, 2015).

Cet ouvrage, ainsi que l’ouvrage S’engager dans la recherche en sciences humaines et sociales. Le champ de l’éducation, co-écrit avec Augustin Mutuale, publié aux ESF en 2020 (et dont on trouvera la recension sous la plume de Xavier Riondet dans ce numéro de la Revue française de pédagogie) sont parmi les publications les plus accessibles de Guy Berger, dont nombre d’autres écrits sont dispersés dans des revues, des rapports, des Actes de colloques ou des comptes-rendus d’interventions peu diffusés. La diversité et l’éparpillement de ces supports et l’absence chez leur auteur de tout plan de carrière font que ce corpus de publications n’est pas à la hauteur de l’influence qu’il a exercée dans le champ des Sciences de l’éducation à propos de thématiques aussi diverses que l’épistémologie des sciences sociales, les questions de l’évaluation et de l’intervention dans les institutions, les formations universitaires, le travail social, le développement social et communautaire… De plus, sa réticence et sa difficulté face au travail de l’écriture solitaire sont pour une part cause du fait que cette influence est beaucoup passée par l’oral, ce qui a pu contribuer à une certaine méconnaissance de son travail par les jeunes générations.

Guy avait besoin de la rencontre et de l’écoute attentive d’autrui, pour élaborer sa réflexion, pour œuvrer à ce que l’un et l’autre des partenaires de cette rencontre aille au-delà de ce qu’il pensait et formulait avant celle-ci. Il aimait par-dessus tout mettre son inégalable capacité d’écoute, son immense culture et son érudition sans frontières, au service de la pensée d’autrui, lors d’échanges individuels aussi bien que lors de manifestations scientifiques ou professionnelles. Ces qualités et ses talents d’orateur faisaient merveille lors des nombreuses conclusions ou interventions de synthèse de colloques ou journées d’études pour lesquelles il était sollicité ; ainsi les auteurs de ces lignes, de même sans doute que tous ceux qui ont eu le privilège d’y assister, n’oublieront jamais ce moment d’intelligence lumineuse et prospective qu’a été la synthèse qu’il a faite du colloque sur Les lycéens décrocheurs organisé par l’association La Bouture en janvier 1998, conduisant chaque participant à penser au-delà de sa propre réflexion et au-delà même de tout ce qui avait précédé durant le colloque.

Guy Berger n’était pour autant pas seulement un homme de l’oral, parmi les meilleurs. Il était aussi – au-delà de son propre rapport difficile à l’écriture –  un homme de l’écrit, au sens où il était un lecteur d’une profonde acuité et d’une pertinence exceptionnelle, dont les remarques et les commentaires permettaient à ses interlocuteurs – aussi bien lors de discussions privées que lors de soutenances publiques – de mieux concevoir et formuler leur réflexion et leurs interrogations, de penser au-delà d’eux-mêmes et de leur propre travail (et non de penser ce que lui-même, Guy Berger, aurait souhaité qu’ils pensent). Échange intellectuel et rencontre humaine allaient de pair avec lui, dont le goût des autres et le plaisir de la disputatio étaient toujours au rendez-vous.

Guy Berger était loin de limiter le déploiement de ces qualités au seul champ académique. Il les a mises en œuvre tout au long de sa vie dans de multiples actions de formation ou d’aide au développement, notamment dans de nombreux pays africains, ou encore dans le cadre de l’Université des Mascareignes réunissant durant quatre sessions au début des années 1990 des acteurs politiques, de l’éducation et du développement social et communautaire de la Réunion, de Maurice, de Madagascar, des Comores et des Seychelles, espace de formation pluri-disciplinaire et pluri-professionnel, organisé sous la responsabilité de Raoul Lucas et dont Guy Berger a assumé la responsabilité scientifique.

Celui-ci a également accompagné de très près, durant 25 ans, l’aventure du CLEPT (Collège-Lycée élitaire pour tous) de Grenoble, établissement expérimental de l’Éducation nationale destiné aux élèves décrocheurs, ouvert en 2000 et visant à leur permettre de se réconcilier avec des savoirs, avec l’institution scolaire et avec eux-mêmes – et de l’association La Bouture qui en a été le berceau. Membre du Conseil scientifique, il a été bien plus que cela, contribuant sans relâche à de nombreux échanges, de nombreuses actions de formation ou interventions auprès des enseignants comme des élèves, soutenant l’équipe du CLEPT face aux embûches et aux tracasseries politico-administratives auxquelles elle a dû se confronter durant toute ces années. Récemment, alors qu’il était trop affaibli par la maladie, il écrivait son regret de ne pouvoir participer à une manifestation organisée par les fondateurs du CLEPT en ces termes : « Absent, je te laisse la charge, Bernard, de dire à tous, à toutes, combien vous me manquez et tout ce que je vous dois. Aux profs mais encore plus aux élèves.
Dire ma solidarité, mon affection, mon appui inaltérable à vos batailles et à vos plaisirs. Triste mais avec tant d’amitié. J’admire l’aventure que vous avez initiée et à laquelle vous m’avez permis de me joindre.
 J’y viens écouter, bousculer l’un, soutenir l’autre mais surtout me faire bousculer et récolter du grain à moudre. Je profite de l’élan que vous m’avez donné ».

Formulation exemplaire d’un rapport à autrui dans lequel il inscrivait toujours les ressources qu’il offrait et dans lesquelles ses interlocuteurs, ses étudiants et ses amis puisaient à pleines mains, dans une forme de réciprocité, dans un postulat d’égalité et dans une visée d’émancipation.

Jean-Yves ROCHEX
Laboratoire ESCOL-CIRCEFT
Université Paris 8 Saint-Denis
et Bernard GERDE
Cofondateur du CLEPT,
Association La Bouture

NOTES
Sigles des institutions mentionnées
INRP : Institut national de recherche pédagogique ;
MAFPEN : Mission académique pour la formation des personnels de l’Éducation nationale ;
IUFM : Institut universitaire de formation des maîtres ; ISP :
Institut supérieur de pédagogie ;
CIEP : Centre international d’études pédagogiques ; CNU : Conseil national des universités ;
AFIRSE : Association francophone internationale de recherche scientifique en éducation ;
DESUP : Direction de l’Enseignement supérieur;
UNESCO : Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture ;
OCDE : Organisation de coopération et de développement économiques ;
GRETAF : Groupe d’études sur l’éducation en Afrique

RÉFÉRENCES
ROCHEIX Jean-Yves et GERDE Bernard (2023). « In memoriam Guy Berger (1932-2023) », Revue française de Pédagogie, 219 | 2023. URL : http://journals.openedition.org/rfp/13008 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfp.13008


RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES DE L’ARTICLE

MORISSE Martine et BLONDEAU Nicole (2024). « Hommage à Guy Berger, acteur et témoin de l’histoire de Vincennes et des Sciences de l’Éducation à Paris 8, pédagogue et chercheur, compagnon de route et ami critique », Journée d’étude, Université de Paris 8, Saint-Denis, Programme, 2 p. Ouverture par Annick ALLAIRE. Introduction par Francine DEMICHEL. Captation video : ID de réunion : 944 5949 1833 Code secret: 873815  https://univ-paris8.zoom.us/j/94459491833?pwd=dEhFWU50Q0RpS1Q0ODA4TXBXQUNSdz09
MUTUALE Augustin et BERGER Guy (2020). S’engager dans la recherche en Sciences sociales. Le champ de l’Éducation, ESF Éditeur, 198 p.
MUTUALE  et BERGER Augustin (2021). « En quoi le biographique nous provoque-t-il? Du statut de la voix », Le sujet dans la cité, 2021/2 (Actuels n°12), L’Harmattan, p. 225-234.
MUTUALE Augustin, SERINA-KARSKY Fabienne et PARAYRE Séverine (2023). « Hommage à Guy Berger (1932-1923), Phronesis, 2023/HS1 (n° hors-série), p. 1-3. https://cairn.info/revue-phronesis-2023-HS1-page-1.htm
ROCHEIX Jean-Yves et GERDE Bernard (2023). « In memoriam Guy Berger (1932-2023) », Revue française de Pédagogie, 219 | 2023. URL : http://journals.openedition.org/rfp/13008 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfp.13008

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

Guy BERGER et Daniel HAMELINE le 24 mars 2022 lors de la Journée d’étude organisée à la Faculté d’Éducation et de Formation de l’Institut Catholique de Paris. © Photo CAD/MALA Bernard Mérigot.

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Pour citer cet article : Bernard MÉRIGOT http://www.savigny-avenir.fr/2024/03/12/ou-vont-les-sciences-de-leducation-hommage-a-guy-berger-1932-2023/



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