Les arguments politiques obéissent-ils à un « plan de circulation rhétorique » ?

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR

Tous les arguments politiques sont-ils consommables ? Peuvent-ils être entendus, ou lus, sans dommage pour la santé ? Pas sûr. Telle en effet la question que l’on se pose en lisant les textes des pouvoirs exécutifs en place. Tout peut-il être utilisé pour conforter une décision politique («Conforter, dit-elle», aurait dit Marguerite DURAS) ? (1). Peut-être. Mais alors, le registre des arguments politiques serait-il infini ? Tout peut-il être  justifié ? Tout peut-il servir de justification ? Une nouvelle fois : pas sûr.

« LE FLUX RÉSULTE DU PLAN LUI-MÊME »

Le maire d’une commune de 37 000 habitants écrit : « Malgré les actions de sécurisation déployées, le problème de fond, celui de la circulation dans notre centre ville, n’est pas réglé. Nous continuons à traiter les conséquences si nous ne nous attaquons pas à la cause. Ce flux dense est certes dû à la présence des écoles et au trafic routier, mais résulte aussi du plan de circulation lui-même autour du quartier de la gare. » (2)

« Ce flux dense résulte (…) du plan de circulation lui-même autour du quartier de la gare. » La phrase mérite d’être commentée.

REMÈDE ET POISON
Le Pharmakon

Un maire établit un plan de circulation de sa commune. Et la même personne, dénonce le contenu de ce même plan parce que celui-ci génère lui-même des désordres, des inconvénients, des nuisances… qu’il est censé empêcher. Intéressant paradoxe. Le plan de circulation produit ce qu’il doit empêcher.

Cela constitue une variation originale du thème du « pharmakon » et de la pharmacologie. En Grèce ancienne, le terme de pharmakon désigne à la fois le remède, le poison, et le bouc-émissaire. Bernard STIEGLER rappelle que tout objet technique est pharmacologique : il est à la fois poison et remède. Le pharmakon est, dans le même temps, ce qui permet de prendre soin et ce dont il faut prendre soin : c’est une puissance curative de mesure et de démesure, une puissance destructrice. (3)

Nous sommes face à une limite de l’exercice du pouvoir local. Ce qu’il décide va à l’encontre des bonnes décisions concernant les services publics de proximité. Il se trouve-t-il dans l’incapacité de prendre les mesures qui changent positivement la vie quotidienne. Pire, celles qu’il prend sont mauvaises. Alors, dans ce cas, le remède est poison.

RÉFÉRENCES
1. DURAS Marguerite,
Détruire dit-elle, Éditions de Minuit, 2007.
« Fulgurant comme l’amour, silencieux comme la mort, grave comme la folie, âpre comme la révolution, magique comme un jeu sacré, mystérieux comme l’humour, Détruire dit-elle ne ressemble à rien. »
2. SPICHER-BERNIER Laurence, « Proposition de modification du plan de circulation. Sécuriser les abords des écoles autour du pôle gare et fluidifier l’accès au Plateau de Savigny-sur-Orge », Le Maire vous informe, 15 octobre 2012, 2 p.
3.
Voir les travaux de Bernard STIEGLER.

La Lettre du Lundi de Mieux Aborder L’Avenir, 29 octobre 2012

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info/ISSN 2261-1819

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