Les technologies numériques transforment les pratiques démocratiques (Bernard STIEGLER)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR,
n°117, lundi 10 novembre 2014

Bernard MÉRIGOT a participé au séminaire dirigé par Bernard STIEGLER au Centre Pompidou sur l’évolution des pratiques démocratiques à l’époque des technologies numérique qui s’est tenu le 21 octobre 2014 (1). Il nous en rend compte.

LE DÉCLOISONNEMENT DE LA PAROLE PUBLIQUE

L’apparition d’Internet, et sa généralisation à partir des années 2000 (ordinateurs, téléphones, tablettes…), a offert un nouvel espace d’expressions, de publications et d’échanges. Il a produit un décloisonnement de la parole publique et son ouverture à de nouvelles formes de participation des citoyens à la vie démocratique.

Avant Internet, l’autorité restait difficilement contestable tant que les médias de masse imposaient un modèle vertical. Depuis l’apparition d’Internet, on constate que son infrastructure même remet en cause la hiérarchie des émetteurs traditionnels de savoir et de vérité. De nouvelles autorités et de nouvelles légitimités sont apparues.

LA DOUBLE DIMENSION POLITIQUE D’INTERNET

1. Internet est autre chose qu’un moyen de communication et d’information. Il a ainsi acquis une dimension politique, qui entre en conflit avec les formes traditionnelles de la démocratie représentative. Il constitue à l’échelle planétaire un laboratoire d’expériences démocratiques inédites.

2. Mais, il est impossible de comprendre la « démocratie Internet » sans éclairer la façon dont le réseau est organisé. Un idéal d’autorégulation et d’autodétermination est à l’origine d’Internet. Il est en conflit avec les pratiques de gestion monopolistique de l’information qui se traduisent – de façon cachée – par la mise en place d’algorithmes, comme par exemple le « PageRank » de Google.

L’ENFERMEMENT AFFINITAIRE ET COMMUNAUTAIRE

Les principaux réseaux sociaux sont au service de puissants acteurs industriels qui tendent à personnaliser l’accès à l’information, et à enfermer les individus dans des espaces affinitaires (affinité : parenté par alliance) ou communautaires où les interactions sont rudimentaires.

Si chacun peut en principe participer au débat public, seul un petit nombre atteint finalement la visibilité, la discussion argumentée, ou le dialogue social. Ce sont eux seuls qui fondent la citoyenneté véritable.

INTERNET, FIN DE LA DÉMOCRATIE ?

Ce qui apparaissait comme une perspective d’émancipation de la société civile pourrait tout aussi bien signer la fin de l’aventure démocratique. A moins que les individus puissent incorporer leur passé à l’expérience du présent en lui donnant un sens. Le droit, pour une société, de connaître et de comprendre son histoire, apparaît comme une exigence démocratique.

LES NOUVELLES CONDITIONS DE LA
MISE EN RÉCIT MÉMORIELLE

En modifiant simulténément trois choses : 1. les supports de conservation, 2. les temps de diffusion de l’information, 3. les modes d’enregistrement et de communication, c’est la constitution de l’événement qui se trouve modifiée, et donc les conditions de la mise en récit mémorielle.

En ouvrant la voie à de nouvelles formes d’archivage et d’écriture, le développement des technologies numériques  interroge toutes les pratiques historiques ainsi que leur rôle social dans la constitution de la mémoire collective. Cette question relève la fois de la question de l’histoire de la démocratie et de celle de la pratique démocratique comme participation des individus à leur histoire.

Un long chemin reste à faire.

RÉFÉRENCES
1. INSTITUT DE RECHERCHE ET D’INNOVATION (IRI), CENTRE POMPIDOU,
« La transformation de l’épistémologie de l’histoire et des pratiques démocratiques à l’époque des technologies numériques », Séminaire « Digital Studies » dirigé par Bernard STIEGLER, séance du mardi 21 octobre 2014 avec Dominique CARDON, Denis PESCHANSKI.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°117, lundi 10 novembre 2014

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2014

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