Développement durable et protection de la nature. L’embarrassante notion d’acceptabilité sociale (Vertigo)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°134, lundi 9 mars 2015

Nombre d’acteurs institutionnels et opérationnels considèrent la notion d’acceptabilité sociale comme allant de soi. Elle suscite des interrogations parmi les chercheurs en sciences sociales et en science politique, la notion étant peu stabilisée dans le champ scientifique et comportant une forte charge normative. Nous devons à Vertigo, La revue électronique en sciences de l’environnement les réflexions pertinentes qui suivent. (1)

Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Paris-La Défense
©   Photo CAD / BM 2015

CONTESTATIONS CITOYENNES
ET DÉRÉGULATION DES TERRITOIRES

Élaborée à partir du milieu des années 1980 (Laufer, 1984), l’acceptabilité sociale est utilisée de manière soutenue depuis les années 2000 par de nombreux acteurs représentant des intérêts publics ou privés (élus, consultants, institutions financières, collectivités locales, sociétés d’investissement, ministères, dirigeants d’entreprises…).

Elle doit son succès à deux évolutions majeures :

  • la montée en puissance des contestations citoyennes environnementales, devenues désormais une forme légitime d’intervention dans le débat démocratique. Elle réinstaure les oppositions classiques entre les citoyens ordinaires et les citoyens concernés, ou, entre l’intérêt général et les intérêts particuliers (le « syndrome NIMBY », notamment).
  • la dérégulation des outils de gestion du territoire (décentralisation, fin de la planification…) que les dispositifs « participatifs » (enquête publique, CNDP, conférences de citoyens…) n’ont pas remplacés. La notion d’acceptabilité sociale, directement issue de la gestion des risques et du calcul rationnel – comment faire pour que « ça passe » ? s’interroge le fonctionnaire, l’élu ou le délégataire de service public – a été mise en œuvre progressivement afin d’assurer la bonne fin de projets industriels, d’aménagement ou de politique publique. Le processus d’acceptabilité inclut les parties prenantes et les groupes d’intérêts considérés comme stratégiques d’une façon continue durant la réalisation du projet, développant une pédagogie bienveillante qui légitime le processus d’enrôlement (sens du compromis, dépassement des conservatismes, intimidations, arguments détournés, promesses…).

Une question majeure demeure : l’acceptabilité sociale est-elle une notion scientifique ou bien s’agit-il uniquement d’une catégorie de la pratique ?

Cannettes sauvages
©   Photo CAD / BM 2015

LE TROUBLANT IMPÉRATIF ÉCOLOGIQUE

Tout en ayant un caractère polysémique, l’interprétation courante de l’acceptabilité sociale est limitée à la médiation et à la résolution de conflits, alors même qu’elle présuppose que son objet est nécessaire, est légitime, et sera réalisé (Raufflet, 2014).

La psychologie sociale, l’économie comportementale, les sciences de la communication, les neurosciences ou la science politique sont sollicitées pour répondre à « l’impératif écologique » qui nécessite de prendre des décisions publiques dans « des univers controversés » (Godard, 2004).

ACCEPTABILITÉ SOCIALE
OU INACCEPTABILITÉ SOCIALE ?

« L’injonction à la durabilité » laisse peu de place aux alternatives et légitime les démarches d’acceptabilité sociale. Alors que des méthodes d’acceptabilité sociale visent à anticiper et à changer le comportement des utilisateurs face à des systèmes technologiques, une telle approche intervient aujourd’hui à des échelles plus larges, lorsqu’il s’agit par exemple, de définir un principe d’équité dans le marché des permis d’émission de gaz à effet de serre pour en favoriser l’acceptabilité.

Que l’on évoque les conséquences du traitement des informations collectées par la géolocalisation ou les questions d’accompagnement des publics et de reconnaissance des méthodes de conduite des projets urbains, « l’inacceptabilité sociale » représente une menace qui hante aujourd’hui une grande part de l’action publique. Elle en démultiplie les enjeux, en particulier lorsqu’elle s’aventure sur des terrains environnementaux.

VERS UNE DURABILITÉ RESTREINTE ?

  • En contribuant à l’acceptabilité sociale, la participation est moins justifiée par ses effets sur les décisions environnementales, que par le fait que ces décisions ont été produites par un processus reconnu comme légitime par les publics.
  • En visant l’assentiment, l’acceptabilité sociale des projets environnementaux joue sur la frontière qui sépare approbation et résignation, notamment lorsqu’elle se revendique d’un « paternalisme libertaire » qui cherche à contourner les résistances en évitant l’écueil de l’injonction autoritaire et à inciter à une réorientation volontaire des comportements. (3)
Affiches déchirées
Paris. Métro.
©   Photo CAD / BM 2015

On assiste aujourd’hui à un retour du réel qui réinterroge le couplage des deux notions d’acceptabilité et de durabilité, qu’il s’agisse de l’effet rebond, des accusations de greenwashing ou des « effets pervers » de solutions « acceptées » par les consommateurs / usagers / habitants / citoyens, se révélant d’une « durabilité restreinte».

RÉFÉRENCES

1. L’excellente publication numérique VertigO, La revue électronique en sciences de l’environnement  http://vertigo.revues.org mettra en ligne en décembre 2015 un numéro spécial « Mettre à l’épreuve l’acceptabilité sociale » pour lequel elle a lancé en mars 2015 un appel à soumission d’articles.  Plus que neuf mois à attendre…

2. DUCHEMIN Éric, «Mettre à l’épreuve l’acceptabilité sociale», Texte de soumission des propositions d’articles, mars 2015. Éric Duchemin est professeur à l’Institut des sciences de l’environnement à. l’université du québec à Montréal. Il est co-directeur de la publication/Rédacteur en Chef de VertigO.

3. « Alors que l’acceptabilité sociale peut être lente à construire et fragile, l’inacceptabilité sociale, une fois constatée, est difficile à renverser. On assiste bien souvent à un verrouillage que viennent même nourrir les stratégies que les promoteurs ou les décideurs déploient pour la gérer. Comme l’expliquent les chercheurs américains, c’est bien en amont du projet lui-même que s’établissent les bases de l’acceptabilité sociale, à travers la construction d’une relation de confiance entre le décideur et la société civile ». (p. 125)
GENDRON Corinne,
« Penser l’acceptabilité sociale. Au-delà de l’intérêt, des valeurs », Revue internationale Communication sociale et publique, Montréal, UQUAM, 2014, n°11, p. 117-119. http://www.revuecsp.uqam.ca/numero/n11/pdf/RICSP_Gendron_2014.pdf

BIBLIOGRAPHIE

Batellier P., Sauvé L. 2011, « La mobilisation des citoyens autour du gaz de schiste au Québec : les leçons à tirer », Gestion, 2/ 2011 (Vol. 36), pp. 49-58.
Chateauraynaud F. 2011, Argumenter dans un champ de forces. Essai de balistique sociologique, Paris : Petra.
Fast, S. 2013. « Social acceptance of renewable energy: Trends, concepts, and geographies », Geography Compass, 7, 12, pp. 853-866.
Fortin M-J, Fournis Y. 2014, « Vers une définition ascendante de l’acceptabilité sociale : les dynamiques territoriales face aux projets énergétiques au Québec », Natures Sciences Sociétés, 2014/3 Vol. 22, pp. 231-239.
Godard O. 2004. « De la pluralité des ordres – Les problèmes d’environnement et de développement durable à la lumière de la théorie de la justification », Géographie, économie, société 3/ 2004 (Vol. 6), pp. 303-330.
Laufer R. 1984, « L’acceptabilité sociale : une problématique », Revue Française de Gestion (46), p. 52-60., cité par Barbier R. (2005), Le monde du résidu. Pour une sociologie politique des objets, HDR, p. 151.
Ollitrault S. 2004, « Des plantes et des hommes de la défense de la biodiversité à l’altermondialisme », Revue française de science politique 3/ 2004 (Vol. 54), pp. 443-463.
Raufflet, E. 2014, « De l’acceptabilité sociale au développement local résilient », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Volume 14 Numéro 2 | septembre 2014, mis en ligne le 12 septembre 2014, consulté le 02 décembre 2014. URL : http://vertigo.revues.org/15139; DOI : 10.4000/vertigo.15139.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°134, lundi 9 mars 2015

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info/ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2015

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