Savigny-sur-Orge. Chronique sur l’ « isègoria ». Que peut savoir un citoyen sur sa commune après une semaine de mandat du nouveau maire Jean-Marc Defrémont ?

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°413, lundi 13 juillet 2020

Qu’est-ce qui motive l’intérêt ou le désintérêt des citoyens pour les affaires publiques locales ? Peut-être le fait de disposer d’une façon effective des mêmes informations publiques dont disposent les services publics et les élus. Aucun motif de secret ne saurait autoriser la rétention de documents publics : ils appartiennent à tous dès qu’ils sont émis. Ils doivent, de ce fait, être immédiatement accessibles dans le cadre d’un Open data communal ambitieux et participatif.

RESPONSABILITÉS PARTAGÉES

Un maire est-il responsable de tout dans sa commune ? Oui et non. Les collectivités territoriales publiques (communes, intercommunalités, conseils départementaux, conseils régionaux, métropoles, etc.) se présentent aux citoyens sous deux états :

  • celui d’une administration permanente : les services municipaux,
  • celui d’élus renouvelés périodiquement par des élections : le maire, les adjoints…

Il en est de même, à d’autres niveaux, comme celui des ministères. Eux aussi sont affectés par ce double mouvement d’influences, à la fois centrifuges et centripètes :

  • la pression dominante exercée par les médias qui personnifient à l’excès l’action publique (elle n’est plus un acte collectif et anonyme, mais celui de personnes dont le nom est soit glorifié, soit stipendié),
  • la prétention avec laquelle certains élus s’approprient le travail quotidien de « leur » administration.

Ainsi, aussi bien les maires que les ministres, se transforment en des incarnations charnelles momentanées, responsables de tout ce qui est bien (« C’est grâce à ma politique »), des manquements et de ce qui n’est pas fait (« J’ai pris des mesures et je vais réformer tout ça »), et bien évidemment, de ce qui a été raté et qui continue de l’être (« C’est la faute de mes prédécesseurs »). Le problème est que, du temps des prédécesseurs, il existait déjà une administration publique. Le plus souvent, exactement la même.

La « politique du parapluie » des administrations et des élus est une pratique universelle. Mais, attention : danger !

Pangolin. Illustration extraite du Nouveau Larousse universel, 1949, p. 96.

LES CITOYENS-ÉLECTEURS-VOTANTS
SONT-ILS DES PANGOLINS ?

Le citoyen-électeur-votant, est une espèce en voie de disparition. Elle est actuellement remplacée par une autre espèce, celle du citoyen-abstentionniste qui a découvert que le non-vote est l’expression d’une opinion. Ce qui l’intéresse, c’est que les services municipaux de sa commune fonctionne bien, que l’accueil, les anticipations nécessaires, les interventions rapides, les réalisations efficaces… aillent d’une façon consensuelle, dans le bon sens. Qu’il vote, ou qu’il ne vote pas, il ne comprend pas le décalage entre les bilans de mandat, les programmes électoraux, et la réalité vécue dans le territoire quotidien où il habite et où, pour certains,  il travaille.

Le conseil municipal et l’administration communale doivent être une même « entreprise agile », c’est-à-dire une machine capable de s’adapter rapidement à des changements inattendus de son environnement tout en conservant une continuité stratégique, opérationnelle et humaine. Une continuité déterminante, car c’est elle qui permet de ne pas confondre la « réactivité » à courte vue et  l’ « agilité » anticipatrice.

Cela vaut bien évidemment dans les domaines de compétence de proximité dans lesquels un conseil municipal peut « encore » prendre des décisions. Cela vaut également dans les domaines de compétence distants qui dépendent d’autres collectivités (les intercommunalités) en menant les actions nécessaires, en construisant des dossiers, en étant présent pour convaincre ses autres partenaires. Parce qu’aucun territoire n’est seul. Tous sont entourés par des voisins qui eux aussi veulent une part de tarte.

DÉJÀ UNE SEMAINE…

Toutes les communes de France ont désormais des maires élus qui ont été renouvelés pour un mandat de six ans, de 2020 à 2026. L’élection des maires s’est faite en deux vagues, en mai (lorsque leur liste est arrivée en tête au premier tour du dimanche 15 mars), en juillet (lorsque leur liste a été élue au second tour du dimanche 28 juin).

  • Dimanche 5 juillet 2020. Conseil municipal n°1.
    Élection du maire Jean-Marc DEFRÉMONT
    Élections des 11 adjoints au maire
  • Jeudi 9 juillet. Conseil de la Métropole du Grand Paris (MGP) n°1 (La commune de Savigny-sur-Orge est représentée par Jean-Marc DEFRÉMONT, conseiller métropolitain)
    Élection du président de la Métropole du Grand Paris
  • Lundi 13 juillet 2020. Conseil municipal n°2
    Élection au sein du conseil municipal des conseillers territoriaux qui siègeront à l’établissement public territorial (EPT) Grand Orly Seine Bièvre (GOSB).
  • Jeudi 16 juillet 2020. Conseil municipal n°3
    Élection des membres du conseil municipal siégeant dans les commissions municipales
    Désignation des membres du conseil municipal dans divers conseils d’administration
    Indemnités du maire et des adjoints
    Modification des emplois permanents
    Compte administratif de l’année 2019

LA SÉANCE DU CONSEIL MUNICIPAL DU 16 JUILLET 2020

Commune de Savigny-sur-Orge. Séance du conseil municipal du 16 juillet 2020. Convocation, p. 1 et 2 Convocation : CONVOC 16 07 2020

« TOUS ÉGAUX, TOUS ÉGAUX, TOUS ÉGAUX … »

Lorsque l’on évoque les pratiques de la démocratie, l’exemple de la Grèce antique s’invite comme une référence automatique. Loin de constituer un modèle parfaitement égalitaire, celui-ci a le mérite d’avoir posé des principes naturels souvent oubliés, et qui font l’objet de débats inopportuns. Pourquoi certains éprouvent le besoin de discuter ce qui est naturel ?

  • Le droit naturel pour tous de participer aux assemblées locales. Janine CHÊNE rappelle que l’ « un des traits essentiels de la démocratie grecque est l’institution de l’ecclèsia, c’est-à-dire l’instauration d’une Assemblée du Peuple, qui est la réunion de l’ensemble des citoyens pour débattre et décider des affaires extérieures et intérieures de la cité ». (1) . Même si la participation effective de tous les citoyens doit être tempérée par le fait que leur travail empêchait certaines catégories sociales d’être présentes, le principe général est important et doit être retenu comme un fondement de la démocratie locale.
  • Le droit naturel de prendre la parole. A ce droit de réunion est associé, d’une façon inséparable, le droit de parler dans l’ecclésia. Ce droit de parole, reconnu à chaque citoyen, est ce que les Grecs appellent l’isègoria. C’est-à-dire un accès égal de tous les citoyens à la parole politique.

D’autres droits naturels découlent de ces deux premiers droits. Ils sont fondés sur un même principe d’égalité : le mot isos signifie de façon générale ce qui est « égal ». L’idée d’égalité est présente dans toute la pensée politique grecque :

  • isonomia, l’ « égalité devant la loi » (2)
  • isopsephia : le droit égal de voter.
  • isomoiria : « l’égalité des parts », l’égalité pour tous des droits, des biens et du pouvoir.
  • isokratia: l’égalité de pouvoir.
  • isotimia : l’égalité d’honneur et de considération.
  • isotéleia : l’égalité dans le paiement des impôts.

CONCLUSION

Janine CHÊNE, philosophe et helléniste, nous fait rêver en évoquant une démocratie qui paraît idéale. Avant que ne commence le débat à l’Assemblée du Peuple, qui traitait de tout ce qui concernait la cité, un héraut, c’est-à-dire un fonctionnaire territorial de l’époque chargé de faire les annonces solennelles –  interrogeait l’assistance : tis agoreuin bouletai. Qui veut prendre la parole ? Cela signifiait que quiconque voulait parler, le pouvait. La réponse était o boulomenos. Celui qui veut.

Tout en sachant qu’il y avait un risque à prendre la parole devant des citoyens assemblés. Ils détenaient la souveraineté judiciaire. Et avaient le pouvoir de bannir tout citoyen en inscrivant simplement son nom sur un petit tesson d’argile, un ostrakon. Voire de prononcer sa condamnation à mort. Socrate en sera victime : il parlait trop, posait trop de questions, et ce qui obligeait à réfléchir. Et surtout, il dénonçait le marchandisation de la parole publique. Un scandale. « Et une coupe de ciguë, une ! » (3)

Retenons que l’isègoria, qui est apparue au Ve siècle avant JC, n’a pas été établie par une loi ou un décret, mais par la coutume. « Cette institution radicalisa la démocratie athénienne, puisqu’elle permit le contrôle complet de la cité par les citoyens assemblés : l’Assemblée pouvait toujours, sur proposition d’un quelconque citoyen, rejeter la proposition de loi venant du Conseil (boulè) ou l’amender, ou ajouter à cette proposition. ». (4)

A méditer.

Bernard MÉRIGOT


RÉFÉRENCES

1.CHÊNE Janine, « L’égalité du droit à la parole dans la cité grecque : la notion d’isègoria », Chemins de traverse de la philosophie », https://cheminstraverse-philo.fr/politique/legalite-du-droit-a-la-parole-dans-la-cite-grecque-la-notion-disegoria-2/
Janine Chêne, Maître de conférences honoraire de philosophie. Université Pierre Mendès France, Grenoble.

2. VIDAL-NAQUET Pierre, Clisthène l’Athénien, Editions Macula, 1983, p. 31.

3. La Ciguë tachetée ou Grande Ciguë, (Conium maculatum L.), plante herbacée bisannuelle de la famille des Apiacées (Ombellifères). Très toxique, elle était à la base du poison officiel que des Athéniens administraient aux condamnés à mort.

4. GRIFFITH, « Isegoria in he Assembly of Athens » in Society and institutions. Studies presented to Victor Ehrenberg, Oxford, 1966

LEWIS J.D., « Isegoria at Athens: When Did It Begin ? », Historia: Zeitschrift für Alte Geschichte, Bd. 20, H. 2/3 (2nd Qtr., 1971), pp. 129-140.

Published by: Franz Steiner Verlag. https://www.jstor.org/stable/4435186


LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Pangolin. Illustration extraite du Nouveau Larousse universel, 1949, p. 96.

Commune de Savigny-sur-Orge. Séance du conseil municipal du 16 juillet 2020. Convocation, p. 1 et 2 Convocation : CONVOC 16 07 2020


La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°413, lundi 13 juillet 2020


COMMENTAIRE du 13 juillet 2020
Séance n°3 du conseil municipal

Suite à la protestation de plusieurs élus concernant le mode de transmission de la convocation et des notes de synthèse, la séance n°3 du conseil municipal du jeudi 16 juillet, elle est reporté à la date du mercredi 22 juillet  2020.


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Savigny-sur-Orge à l’heure de la télédémocratie. Jean-Marc Defrémont (EELV) élu maire

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°418, lundi 6 juillet 2020

C’est à huis-clos que le conseil municipal de Savigny-sur-Orge s’est réuni le dimanche 5 juillet 2020 à 10 heures du matin. Il a élu Jean-Marc DEFRÉMONT (EELV), maire de la commune qui est la quatrième ville du département de l’Essonne. La liste qu’il conduisait était arrivée en tête lors du second tour de l’élection municipale du 28 juin 2020. L’accès du public à la Salle des Fêtes était interdit. Il était remplacé par l’accès « en direct » à la captation vidéo de la séance diffusée par le biais d’Internet sur http://savigny-org. Ces nouvelles pratiques interrogent l’avenir des démocraties locales. Elles mettent en cause la relation que les citoyens entretiennent avec elles, leur nature profonde et leurs formes qui sont étroitement liées.

Jean-Marc DEFRÉMONT, maire de Savigny-sur-Orge, après son élection au cours de la séance de conseil municipal du dimanche 5 juillet 2020. Extrait de vidéo de la séance diffusée sur http://savigny.org. Capture d’écran CAD.

RITES DÉMOCRATIQUES

Les ordres du jour des séances d’installation des nouveaux conseils municipaux, au lendemain d’une élection, offrent peu de surprises :

  • ouverture de la séance sous la présidence du doyen d’age de la nouvelle assemblée,
  • installation des membres élus,
  • élection du maire à bulletin secret,
  • élections de la liste des adjoints au maire.

De nombreux médias répètent que ce sont les électeurs qui désignent leur maire. Dans le cas qui nous intéresse, les citoyens votent pour élire le conseil municipal. Rappelons que ce sont les conseils municipaux qui ensuite procèdent  à l’élection du maire de la commune choisi en leur sein. Si les conseils municipaux, dans l’immense majorité des cas, élisent comme maire celui, ou celle, qui a conduit la liste arrivée en tête, ils peuvent élire tout autre membre qui en est membre.

HISTOIRES PERSONNELLES ET HISTOIRE COLLECTIVE

Jacques SÉNICOURT, conseiller municipal lors des deux précédents mandats (2008-2014 et 2014-2020), et doyen d’âge lors du présent mandat (2020-2026), a livré un message  de haute tenue. Évoquant la tendance grandissante à l’abstention manifestée à l’heure actuelle par les citoyens (le taux de participation au second tour à Savigny-sur-Orge a été de 35,36 %), il a rappelé les valeurs qui doivent unir les membres d’une assemblée communale.
Il insista sur le fait qu’une liste d’union politique se situe à le croisée d’histoires personnelles et d’une histoire collective. La victoire de Jean-Marc DEFRÉMONT et de la liste d’union qu’il a conduite, le faisant passer aujourd’hui de conseiller municipal minoritaire à celle de maire, élu par la majorité du conseil municipal, est l’aboutissement d’un travail accompli depuis 1983 par une suite de conseillers  municipaux socialistes (Élisabeth ROZE DES ORDONS, Georges NOUAILLE, Joël MAURICE, Jean-Claude LÉOST, Pierre GUYARD).
Il salua Louisette DA SILVA, ancienne adjointe au maire aux côtés de Raymond BROSSEAU (1915-1980), maire, conseiller général et sénateur. Depuis longtemps membre du parti communiste, elle est porteuse d’une partie de la mémoire de la commune, toujours présente avec le même enthousiasme, lors des moments forts  de la vie communale et municipale (qu’il s’agisse d’une élection, d’une réunion de quartier à Grand Vaux, ou des travaux du TramTrain).

Après l’appel au candidat (Jean-Marc DEFRÉMONT et Alexis IZARD sont candidats), il est procédé au vote.

  • Votants : 39
  • Bulletins blancs : 8
  • Exprimés : 31
  • Jean-Marc DEFRÉMONT : 27 voix. ÉLU
  • Alexis IZARD : 4 voix

Jean-Marc DEFRÉMONT a remercié et assuré qu’il agirait au mieux des intérêts de la commune. Après avoir rappelé les principales orientations de son programme, il a esquissé les changements qui lui apparaissent nécessaires.

Dans une seconde intervention il a défendu l’existence de l’opposition dans un conseil municipal.  « Son rôle est ingrat, mais elle constitue un garde-fou pour la majorité ».

Éric MEHLHORN, vice-président du Conseil départemental de l’Essonne, conseiller municipal de Savigny-sur-Orge lors de la séance d’installation du nouveau conseil municipal du dimanche 5 juillet 2020. Il a été maire de  la commune de 2014 à 2020. Capture d’écran CAD.

LA DÉMOCRATIE PEUT-ELLE ÊTRE UNE TÉLÉRÉALITÉ ?

Un conseil municipal constitue-il un spectacle ? La question aurait été jugée incongrue si elle avait été posée aux députés et aux sénateurs qui ont voté la Loi municipale du 5 avril 1884. En 2020, un peu plus d’un siècle après, la question se situe dans un autre contexte. Les progrès des techniques (cameras vidéo, ordinateurs et réseaux Internet) ont apporté des moyens de captation et de diffusion des sons et des images des débats des assemblées. A cela s’ajoute les mesures sanitaires liées au confinement Covid-19 qui confèrent aux numérique un rôle de remplacement de l’assistance physique du public lors des séances des assemblées délibérantes.

Convocation à la séance d’installation du conseil municipal de Savigny-sur-Orge du dimanche 5 juillet 2020.

CONCLUSION

Quel est l’effet d’une telle séance à huis clos et de sa diffusion vidéo sur Internet ? A l’évidence :

  • un effet de contrôle et de mesure pesant sur les élus : « On est filmé ! »
  • une distanciation du citoyen-spectateur vis-à-vis de ce qui se passe dans l’assemblée délibérante. Le fait que l’on soit obligé de regarder un écran, qui impose une seule image, conditionne  « un certain regard » : on ne peut tourner ni la tête ni les yeux. On est obligé de regarder ce qu’on nous montre.
    La technique de captation d’un évènement est une technique complexe qui induit (au sens électrique de l’induction) une réalité. Il y a des coupures d’images et des blancs sonores causés par l’absence de micros à certains moments…
  • une solitude terrible du citoyen intéressé par la gestion locale qui ne rencontre plus personne… puisqu’il regarde les séances de son conseil municipal tout seul sur son écran d’ordinateur. C’est la grande solitude du télé-citoyen.

Les citoyens s’intéresseront-ils demain davantage à la vie publique locale ? Personne ne peut le dire. Seule une mise en ligne systématique, dans le cadre d’un Open Data territorial (communal, départemental, régional, métropolitain…), comprenant la totalité des documents publics, actualisé en permanence, et accessible par tous, de façon permanente, est de nature à restaurer les liens distendus entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, entre ceux qui administrent et ceux qui sont administrés, entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent.

Cet Open data est la seule façon pour que, préalablement à tout débat sur quelque dossier public qui soit, puissent être levées les suspicions légitimes de l’électeur, formulées dans ce moment d’indécision où il se demande s’il va aller voter, regarder les résultats sur un écran, ou faire toute autre chose,  par une question sans cesse répétée : Qu’est-ce qu’on nous cache ?

L’Open Data est un préalable à toute avancée dans la voie d’une authentique démocratie participative. C’est une urgence pour réaliser l’écologie démocratique des territoires.

Bernard MÉRIGOT


Jean-Marc DEFRÉMONT, maire de Savigny-sur-Orge et les 11 adjoints au maire élus le dimanche 5 juillet 2020.

 


DOCUMENT

QUI A ÉTÉ ÉLU ?  ET QUI A SIÉGÉ LORS DE LA SÉANCE ?

Au soir du 2e tour de l’élection, le 28 juin 2020, trois listes ont obtenu des élus :

  • Liste de Jean-Marc DEFRÉMONT  (LVEC / EELV) : 27 élus
  • Liste d’Éric MEHLHORN (LLR): 5 élus
  • Liste d’Alexis IZARD (LREM) : 4 élus
  • Liste d’Olivier VAGNEUX (LDIV) : 3 élus
    TOTAL : 39 élus

Ont été élus sur la liste conduite par Olivier VAGNEUX :

  • Olivier VAGNEUX (1er de liste),
  • Anneva HERMIDA (2e de liste)
  • Jean-Marie CORBIN (3e de liste)

Olivier VAGNEUX a démissionné « pour convenances personnelles » le 29 juin 2020 par lettre recommandée. Il n’a pas été installé en tant que conseiller municipal.
Afin de maintenir le nombre de 3 élus, Christine de RUFFRAY (4e de liste)  a été appelée à siéger.

Sont donc conseillers municipaux de la liste :

  • Anneva HERMIDA (2e de liste)
  • Jean-Marie CORBIN (3e de liste)
  • Christine de RUFFRAY (4e de liste)

Lors de la séance d’installation du 5 juillet 2020, Jean-Marie CORBIN était absent excusé. Il a donné son pouvoir à Christine de RUFFRAY qui était présente. Elle a donc voté pour elle et pour Jean-Marie CORBIN.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Jean-Marc DEFRÉMONT, maire de Savigny-sur-Orge, après son élection au cours de la séance de conseil municipal du dimanche 5 juillet 2020. Capture d’écran de la diffusion par Internet de la vidéo de la séance. CAD / http://savigny.org
  • Éric MEHLHORN, vice-président du Conseil départemental de l’Essonne, conseiller municipal de Savigny-sur-Orge lors de la séance d’installation du nouveau conseil municipal du dimanche 5 juillet 2020. Il a été maire de  la commune de 2014 à 2020.
  • Jean-Marc DEFRÉMONT, maire de Savigny-sur-Orge et les 11 adjoints au maire élus le dimanche 5 juillet 2020.

DOCUMENT

A SAVIGNY-SUR-ORGE, LE « PINCEMENT AU CŒUR » D’ÉRIC MEHLHORN
Aucun applaudissement, aucune clameur de la foule. C’est en toute sobriété que le conseil municipal d’installation de Savigny-sur-Orge s’est tenu, en une heure, ce dimanche matin 5 juillet 2020.
Après six années aux commandes de la 4 e ville de l’Essonne, Eric MEHLHORN (LR) siège dorénavant sur le banc de l’opposition. « C’est avec un pincement au cœur que je vous laisse la place, lance-t-il à Jean-Marc DEFRÉMONT (EELV), élu ce dimanche avec 27 voix sur 39 bulletins. Notre groupe aura un œil particulièrement attentif sur vos actions. Je souhaite que ce qui a été mis sur les rails pour faire évoluer la ville ne soit pas arrêté du jour au lendemain. Nous avons pris à cœur de redresser les finances de la ville, et nous vous remettons les clés de la municipalité avec des finances assainies. »
Un travail d’opposant sur lequel compte le nouveau maire : « Le connaissant je sais qu’il restera attentif comme conseiller municipal mais aussi comme vice-président au sein du département pour défendre les intérêts de notre ville. » Eric MEHLHORN, bras croisé, opine de la tête. « Une majorité ne peut fonctionner correctement que lorsqu’elle a un garde-fou », conclut Jean-Marc DEFRÉMONT.
Le Parisien Essonne, 6 juillet 2020. https://www.leparisien.fr/essonne-91/essonne-dans-cinq-grandes-villes-ces-maires-sortants-desormais-opposants-05-07-2020-8347689.php

Nos articles proposent des analyses vis à vis desquelles certains sont libres d’avoir un avis différent. Ils évoquent des faits, des dates, des personnes. Malgré le soin apporté à leur rédaction, des inexactitudes peuvent subsister. Vous pouvez nous faire part de vos commentaires en nous adressant un mail à l’adresse figurant sur notre site. Nous tiendrons compte des observations qui seront faites et apporterons les corrections nécessaires.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°418, lundi 6 juillet 2020

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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2020/07/06/savigny-sur-orge-a-lheure-de-la-teledemocratie-jean-marc-defremont-eelv-elu-maire/

Posted in Conseil municipal, DEFRÉMONT Jean-Marc, Mon maire me cache-t-il quelquechose ?, Savigny-sur-Orge, Télédémocratie | Commentaires fermés sur Savigny-sur-Orge à l’heure de la télédémocratie. Jean-Marc Defrémont (EELV) élu maire

Élection des maires 2020 à huis clos. La citoyenneté peut-elle exister « en distantiel ».

La loi en vigueur depuis plus de cent ans dispose que les séances des conseils municipaux sont publiques. Pourtant les séances qui procèdent en 2020 à l’élection des maires se tiennent à huis-clos.  Les raisons de cette invisibilisation d’un acte politique majeur tiennent aux mesures sanitaires de prévention de l’épidémie du Covid-19.
A-t-on perdu ce qui fait l’essence de la démocratie ? Ou bien est-ce que la
«manière électronique», évoquée confusément par les autorités gouvernementales et préfectorales  pour rendre accessibles les débats des conseils municipaux, les a-t-elle transformés en un banal spectacle de téléréalité ?
Autrement dit, une démocratie «en distantiel » est-elle concevable ?

Extrait de la convocation de la ville de Savigny-sur-Orge (Essonne) à la séance du dimanche 5 juillet 2020, à 10 heures. à la suite du second tour de l’élection municipale du dimanche 28 juin 2020. Son ordre du jour comporte l’élection du maire et celle des adjoints au maire. https://www.savigny.org/actualites/conseil-municipal-dinstallation-du-5-juillet-en-direct-partir-de-10h

LE PUBLIC CITOYEN,
UNE RECONNAISSANCE RÉCENTE ET PRÉCAIRE

C’est la loi municipale du 5 avril 1884 qui a donné au conseil municipal le droit de régler par ses délibérations les affaires de la commune. Simultanément, la question de la publicité des séances a été reconnu, c’est-à-dire que celles-ci doivent – sous peine de nullité – être ouvertes au public.
Cette règle, avant d’être adoptée, fut précédée par de nombreux débats entre les parlementaires qui étaient partisans de cette ouverture et ceux qui voulaient le maintien de l’ancienne pratique du huis-clos.
Édouard BARBEY (1831-1905), sénateur du Tarn, ancien maire de Mazamet, est intervenu lors de la séance du jeudi 7 février 1884 dans le débat de première lecture de la loi du 5 avril 1884. Il a défendu le caractère public qui doit être accordé aux séances.

« J’ai été maire pendant douze ans d’une commune importante, composée en grande majorité d’ouvriers, et je vous affirme que j’aurais été heureux que les électeurs fussent admis à entendre les discussions du conseil municipal que je présidais. (…)
Je crois que beaucoup d’insinuations, beaucoup de calomnies répandues dans la presse et dans le public ne se seraient pas fait jour s’il y avait eu là des auditeurs même peu sympathiques à l’administration qui auraient entendu les discussions, qui auraient apprécié les arguments développés par les conseillers municipaux et par le maire, et qui auraient pu réfuter eux-mêmes les critiques injustes répandues dans le public. (…)
Et ne savez-vous pas, Messieurs, qu’en France, les désordres qui se produisent dans certaines assemblées délibérantes ne sont pas le résultat de la publicité des séances, mais de l’ardeur, de l’emportement de quelques-uns de ses membres ? ».
(1)

Annonce de la retransmission sur le site de la ville de Savigny-sur-Orge de la séance du conseil municipal du dimanche 5 juillet 2020 à 10 heures procédant à l’élection du maire et des adjoints. https://www.savigny.org/actualites/conseil-municipal-dinstallation-du-5-juillet-en-direct-partir-de-10h

QU’EST-CE QUE LA « MANIÈRE ÉLECTRONIQUE » ?

La convocation à la séance de conseil municipal de Savigny-sur-Orge du dimanche 5 juillet 2020 à 10 H 00 doit procéder à l’élection du maire et des adjoints au maire. Elle porte en bas, le texte encadré suivant :

« Pendant l’état d’urgence sanitaire prévu à l’article L.3131-12 du Code de Santé publique, la réunion du conseil municipal se tiendra dans des conditions conformes aux règles sanitaires en vigueur, à savoir sans que le public ne soit autorisé à y assister.
Pour y assurer le caractère public de la réunion, les débats seront accessibles en direct de manière électronique ».

Jusqu’à présent la démocratie se pratiquait « en présentiel ». Désormais, comme pour l’évolution du travail en télétravail, elle se pratique « en distantiel ». Une série de problèmes se posent. En évoquant confusément la manière électronique, l’État (le gouvernement, le ministre de l’Intérieur, le préfet…) a pris une lourde responsabilité.
D’une part, si cette manière électronique (on croirait une formule du XVIIe siècle) vient à faire défaut (panne de caméra, de réseau, de liaison Internet …), et qu’aucun public ne peut, ni entendre ce qui se dit, ni ce qui se fait au sein de cette séance de conseil municipal, la séance perd ipso facto, son caractère public, et devient annulable.
D’autre part, l’usage d’outils numériques introduit à la fois une incertitude à l’égard  d’éventuelles  manipulations et la difficulté d’établir son constat. De toute façon, il ouvre un champs à la possibilité de recours en annulation des délibérations concernées auprès du Tribunal administratif.

« La diffusion commencera dimanche 5 juillet 2020 à 9 H 50 ». L’écran noir du site de la mairie de Savigny-sur-Orge (Essonne), https://www.savigny.org/actualites/conseil-municipal-dinstallation-du-5-juillet-en-direct-partir-de-10h

UN CORPS POLITIQUE SANS CORPS PHYSIQUES

Une séance de conseil municipal devient désormais un programme de télévision de la mairie, un You Tube, une vidéo… une possibilité parmi une infinité d’autres de se connecter sur un site, le jour dit, à l’heure dite, pour voir et entendre en direct ce qui se dit et se fait dans un lieu devenu immatériel. La question est celle du passage d’une fonction complémentaire (en plus de) à la fonction substitutive (à la place de). Lorsque la première fonction aura disparue pour laisser la place à la seconde, et que toutes les assemblées délibérantes fonctionneront sur ce même modèle de moyens électroniques, les exigences de la démocratie classique seront inutiles. On s’apercevra alors que le corps politique peut faire l’économie des corps physiques.

CONCLUSION
Nous ne sommes pas dans un univers de science fiction numérique du futur : nous sommes dans un monde qui existe au présent. Évidemment, toutes les autorités vont faire une surenchère d’assurances, les plus parfaites, les plus sincères, les plus convaincantes concernant la parfaite sécurité des processus mis en oeuvre. La garantie des données personnelles sont garanties à 100%. Nous savons que de telles garanties sont toujours démenties, un jour ou l’autre, par les faits. Elle n’empêcheront pas les agissements d’esprits malins visant à tenter de forcer le cours naturel des choix démocratiques en cherchant à les infléchir en leur faveur. La démocratie a eu ses fraudes. Elle en a encore, parfois. La télédémocratie aura ses téléfraudes.

Bernard MÉRIGOT


RÉFÉRENCES

1. Édouard BARBEY (1831-1905). Maire de Mazamet (1871-1883), Sénateur du Tarn (1882-1905), Vice-président du Sénat (1901-1904). Ministre de la marine (1887, 1889-1892). https://www.senat.fr/evenement/archives/D18/conseils.html

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS


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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2020/07/04/election-des-maires-2020-a-huis-clos-la-citoyennete-peut-elle-exister-en-distantiel/

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Et si les élections municipales de 2020 étaient un « trompe-l’oeil politique » ?

Les deux tours des élections municipales françaises de 2020 demeureront dans la mémoire des citoyennes et des citoyens comme des élections qui ont été manipulées par les pouvoirs politiques. Le confinement du Coronavirus Covid-19 a évidemment constitué une circonstance exceptionnelle. Mais le flou et les atermoiements du président de la République Emmanuel MACRON, de son premier ministre Édouard PHILIPPE et de ses ministres, et – a quelques exceptions près – de nombreux d’élus de tout bord, ont aggravé et entretenu la plus grande confusion à l’égard du fonctionnement des institutions démocratiques.

Les « raisons d’agir » avancées comme arguments politiques et médiatiques, majoritairement admis, sont-ils constitutifs d’une vérité consensuelle appartenant d’une façon légitime à l’histoire mémorisable et transmissible ? Ou bien constituent-elles des « trompe-l’œil » discursifs, construisant une réalité qui fait voir quelque chose qui n’est pas ?

Métropolis 2020. Toujours plus haut. 28 octobre 2014. © Photographie originale de Bernard Mérigot/CAD

  • 1er tour, le dimanche 15 mars 2020. Le samedi 14 mars, le premier Ministre Édouard PHILIPPE a annoncé « la fermeture de tous les lieux publics non indispensables ». Le confinement général de la population sera annoncé le lundi 16 mars par le président de la République Emmanuel MACRON. Il débutera le mardi 17 mars à 12 H.
    Dans ce contexte, le scrutin du 15 mars – pour des raisons d’ « entendement sanitaires » et de précaution évidentes – connait un taux record d’abstention de votant. Un pourcentage officiel qui doit être encore majoré en tenant compte du nombre d’électeurs et d’électrices qui remplissent les conditions pour voter, et qui ne sont inscrits sur aucune liste électorale : de ce fait ils ne sont pas comptabilisés parmi les abstentionnistes.
    Une pensée doit être conservée à l’égard des élus, des citoyens, des fonctionnaires qui ont participé à ce scrutin et qui ont été contaminés lors de la journée. Certains en sont morts. Terrible dilemme : « Voter et mourir » ou « S’abstenir et vivre ».
  • 2e tour du dimanche 22 mars 2020. Prévu d’après la loi une  semaine suivant  le 1er tour, il a été annulé et reporté de trois mois (13 semaines exactement) pour avoir lieu le dimanche 22 juin 2020.
    Il a été préparé dans un contexte multiple : campagne électorale confidentielle, crise économique, allégresse souvent imprudente causée par les mesures de déconfinement, inquiétude à l’égard de la poursuite de la propagation de la maladie en France et dans le monde. Le « vote masqué » est la pire métaphore qu’une démocratie puisse envisager.

UNE « MÉLOPÉE LANGUIDE »

Pour Claude PATRIAT, des circonstances exceptionnelles («la» Covid-19 et les mesures de « distanciation sociale ») ont amené l’interruption brutale d’un processus démocratique et sa suspension. « En renvoyant aux calendes post-épidémiques le deuxième tour, on a rompu les amarres unissant les deux votes du premier et du second tour. Trois mois plus tard, le scrutin apparaît dévitalisé, vidé de sa substance nerveuse. La mélopée languide du temps de confinement aura creusé un fossé profond entre les attentes d’hier et les choix d’aujourd’hui. Tous les ingrédients sont là en juin pour accentuer encore la distanciation politique déjà perceptible au mois de mars. » (1)

LES OUBLIS DE L’EFFERVESCENCE ÉLECTORALE

Les campagnes électorales constituent des rituels démocratiques fondés sur une croyance : celle des électeurs qui sont enclins à croire que les candidats, une fois élus ou réélus, auront la capacité pour maîtriser et transformer le réel en lui appliquant leur programme. Stéphane CADIOU souligne que « cette vision occulte les contraintes multiples (budgétaires, techniques, médiatiques… et même les événements imprévus de l’actualité comme peut l’être une crise sanitaire) avec lesquelles composent les élus une fois en position de pouvoir. » (2) Il rappelle que trop de facteurs interfèrent et complexifient la chaîne décisionnelle. « Oublier cela, c’est se condamner aux déceptions postélectorales ». (3) Elles constituent un vaste domaine, sans cesse renouvelé.

Pour l’élu et son administration, deux questions : 1. Faire ou ne pas faire. 2. Faire ceci plutôt que cela, mettre en place celui-ci plutôt que celui-là. Autant les élus locaux des communes doivent composer avec les mobilisations régulières de groupes et d’organisations qui entendent faire valoir les intérêts de certains segments de la population. Autant les élus locaux des intercommunalités, habitant et vivant dans des contrées plus éloignées des territoires directement concernés, peuvent compter sur une relative passivité des habitants concernés (manque d’information, non communication de documents publics, difficulté à se mobiliser, arbitrages entre plusieurs projets…). Quelles décisions prises par des intercommunalités font l’objet de débats dans les communes ? La réponse doit être nuancée selon les territoires (région parisienne, agglomération, anciens « pays » d’interconnaissance). Dans la grande majorité des cas, une loi peut se vérifier : « Plus un lieu de décision est éloigné des habitants concernés, plus grande est son autonomie de gestion, et moins il a de comptes à rendre. »

Escaping criticism-by pere borrel del caso.png

Échapper à la critique. (Escapando de la crítica, 1874) de Pere Borrell del Caso (1835-1910), peintre, aquarelliste et graveur catalan. Collection Banco de España, Madrid. Extrait de Wikipedia https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Escaping_criticism-by_pere_borrel_del_caso.png

Commentaire de l’illustration. Un jeune garçon semble sortir du cadre du tableau, ses mains s’accrochent au cadre pour y prendre appui et s’enfuir. Son visage est tendu, son regard mi apeuré, mi étonné. Il enjambe le cadre du tableau en se tenant fermement aux bords. Il sort de l’œuvre.
Que fuit-il ?
Que cherche-t-il ?
De quoi a- t-il peur ?
Qu’est-ce qui se passe-t-il à l’intérieur du tableau ?
Et à l’extérieur du tableau, sur la droite ?
Moment de passage, intermédiaire entre deux fictions : une ancienne fiction intérieure, invisible, et nouvelle fiction extérieure, visible. Surgissement de l’inattendu. Frontières entre l’espace de l’œuvre, l’espace du récit, et le monde réel.
Et quelle est la
raison du titre ?

Voir : http://culturehumaniste66.ac-montpellier.fr/06_ARTS_VISUELS/PROJET_DEPARTEMENTAL/expo_arts_2014/escapando_de_la_critica.pdf

LES RATIONALITÉS INCERTAINES

La généralisation de l’abstention citoyenne lors des scrutins a pour conséquence de rendre invisibles – voire inexistantes – les relations entre les élus et les groupes de pression constitués. Il peut s’agir d’une association de loisir, de riverains d’une source de nuisance, d’habitants d’une rue… Encore faut-il que de tels collectifs se constituent au-delà de Facebook et de Twitter, et durent un minimum de temps. Gérer une ville demeure une affaire de conciliation d’intérêts et de paramètres contradictoires (« le maximum de services et d’équipements gratuits, et le minimum d’impôts locaux »). Ce qui rend de plus en plus incertaine la ralisation d’une promesse électorale au moment de faire l’objet d’une décision. (4) La méfiance des électeurs est croit chaque jour. C’est porquoi ils s’efforcent de plus en plus d’imposer aux élus, avant de voter pour eux, des Chartes d’engagement. Cela evient du donant/donant.

QUELLES ÉCHELLES DE DÉFENSE DES INTÉRÊTS ?

Les politiques publiques locales concernant l’eau, les mobilités, les déchets, l’habitat, le climat… ne relèvent plus de décisions des communes. Elles ont été toutes transférées à des instances intercommunales et à leurs administrations, qui élaborent les cahiers des charges et choisissent les prestataires de service, dans la majorité des cas privés, et appartenant à de grands groupes en situation de quasi monopole. De ce fait, le contribuable, l’abonné, l’usager, le client… (la dérive des mots est significativede la marchandisation des biens communs), rémunère des actionnaires. Rares sont les régies et les sociétés d’économie mixte encore existantes.

Stéphane CADIOU émet la réflexion suivante : « Ainsi se crée une déconnexion croissante entre l’échelle des compétences, de plus en plus intercommunales, et l’échelle des groupements de la société civile à forte dimension municipale. Doit-on parler dans ce cas de politiques publiques destinées à rester sans interlocuteurs ? »

Pour lui, la capacité d’adaptation à l’égard de ce nouveau jeu institutionnel est très limitée. Ce sont les intérêts les plus volatiles et les plus flexibles, c’est-à-dire les moins attachés à un espace particulier, qui sont en mesure de s’y ajuster.

CONCLUSION

Pas de fait sans discours. Il est difficile de séparer les faits des discours qui les constituent. Si les arguments des appareils de pouvoir appartiennent à l’archive mouvante de l’actualité, cela ne les valide pas pour autant ni comme pensée critique, ni comme vérité scientifique. Pour quelle raison ne remettons-nous pas en cause les discours qui nous sont imposés, que tous répètent à l’envie, et que nous-mêmes répétons sans y prendre garde ? Comme l’a enseigné Jacques LACAN, « tout discours se développe à partir d’un signifiant maître qui n’est rien d’autre qu’un semblant ». (5) Dominique LAURENT indique que « c’est un signifiant imaginaire qui donne son support imaginaire à ce que l’on appelle sous différents noms : autorité, pouvoir, maîtrise. C’est l’agent d’un discours… son insigne, ce au nom de quoi on parle, on agit et que l’on ne remet pas en question. » (6)

La perception des conditions du millésime 2020 des élections municipales « cuvée Covid-19 » est de la même nature que ce l’on appelle en peinture un « trompe-l’œil », une œuvre qui joue sur la confusion de la perception par le spectateur : il voit ce qu’il croit voir et qui n’est pas. Il est trompé par les moyens « mis en œuvre » – c’est le cas de le dire – pour obtenir une illusion. C’est souvent une partie de l’œuvre qui suffit à nous entraîner dans un jeu de séduction et de confusion.

En matière d’élections municipales, ce n’est ni le premier tour du 13 mars 2020, ni le second tour du 28 juin 2020 qui sont importants. Les maires sur qui les projecteurs sont braqués sont des héros de circonstance. Leurs pouvoirs et leurs moyens diminuent chaque jour : tout ce qui ne va pas est de leur faute. En revanche, tout ce qui va bien, l’est grâce à d’autres instances.

Ce qui est important, c’est le troisième tour qui se réalise dans toute la France, celui de l’élection des présidents d’intercommunalités, de syndicats intercommunaux, d’établissements publics intercommunaux, de métropoles. Ce sont ces instances, leurs présidents, leurs vice-présidents et leurs administrations qui détiennent les vrais pouvoirs sur les territoires.

Bernard MÉRIGOT


RÉFÉRENCES

1.PATRIAT Claude, « Des élections municipales en trompe-l’œil pour un nouvel ordre politique ? », The Conversation, 25 juin 2020. https://theconversation.com/des-elections-municipales-en-trompe-loeil-pour-un-nouvel-ordre-politique-141415
Claude Patriat est professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne

A propos des « mélopées languides »
« Ces cantilènes avaient dû être recueillies, en partie, dans les plus anciens antiphones du peuple juif. Le courant gréco-romain auquel la paléographie de Solesmes rattache l’origine du plain-chant se faisait moins sentir que le courant hébraïque en ces mélopées qui rappelaient, dans le chant des lettres, avec leur côté languide et cadencé, les mélodies à la fois ingénues et subtiles de l’Orient.
Elles remontaient certainement, en tout cas, à la plus haute antiquité ; et les réparations que leur trame avait subies au dix-septième siècle et depuis, n’en avaient altéré ni la couleur, ni les contours ; elles étaient merveilleusement assorties aux offices qui, eux aussi, dataient des premiers âges de l’église, peut-être même de l’église de Jérusalem, au quatrième siècle. »
HUYSMANS Joris-Karl, L’Oblat, Stock, 1903, Châpitre X, P. 283-284. https://fr.wikisource.org/wiki/L’Oblat_(Huysmans)/Texte_entier

2. CADIOU Stéphane, « Les élus locaux sont-ils à l’abri des groupes d’intérêt ? », The Conversation, 23 juin 2020. https://theconversation.com/les-elus-locaux-sont-ils-a-labri-des-groupes-dinteret-141255
Stéphane Cadiou est maître de conférences en science politique à l’université de Saint-Étienne et chercheur au laboratoire Triangle (CNRS, ENS de Lyon, Université Lyon 2, Sciences Po Lyon, Université Jean Monnet Saint-Etienne). Ses recherches portent notamment sur la représentation locale des intérêts, les institutions locales et les réformes territoriales, la gouvernance locale.

3. HALPERN Charlotte, « Décision », dans : Laurie Boussaguet éd., Dictionnaire des politiques publiques. 3e édition actualisée et augmentée. Paris, Presses de Sciences Po, « Références », 2010, p. 201-210. URL : https://www.cairn.info/dictionnaire-des-politiques-publiques–9782724611755-page-201.htm

4. GUINAUDEAU Isabelle, PERSICO Simon, « Tenir promesse. Les conditions de réalisation des programmes électoraux », Revue française de science politique, 2018/2 (Vol. 68), p. 215-237. DOI : 10.3917/rfsp.682.0215. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2018-2-page-215.htm

5. LACAN Jacques, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Seuil, 2007, p. 83.

6. LAURENT Dominique, « D’un discours qui ne serait pas du semblant, Introduction à la lecture du livre XVIII », École de la Cause freudienne. https://www.causefreudienne.net/dun-discours-qui-ne-serait-pas-du-semblant/


LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS


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« Télétravail, mon amour ». Faut-il céder à toutes les injonctions du numérique ?

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°408, lundi 8 juin 2020

Les trois mois de confinement Covid-19 (mars, avril, mai 2020), et la soumission obligée au mot d’ordre gouvernemental « Restez chez-vous », ont apporté la preuve que le télétravail (pour nombre de salariés) ainsi que la « continuité pédagogique » (pour les enseignants et leurs élèves), pouvaient remplacer « en distantiel », des activités précédemment accomplies « en présentiel ».
Les activités maintenues, prolongées ou étendues, sont fondées sur l’usage  par les employés de moyens numériques leur appartenant. Ils utilisent depuis leur domicile leurs ressources personnelles, qu’il s’agisse de matériels (ordinateurs, imprimantes, téléphones…), de connexions (abonnements Internet et téléphoniques), ou de consommables (cartouches d’imprimantes, papier, consommation électrique…).
(1)
Ces moyens doivent être maintenus opérationnels, en état de marche permanent, mis à la disposition des employeurs par les employés, et ce, gracieusement.
(« Pourvu que tout marche, pourvu que je puisse me connecter à Internet… »). Sans quoi le télétravail cesse, et avec lui la rémunération qui lui est associée.

Une double relation anthropologique est ainsi créée entre des individus et les collectivités ou les entreprises employeuses.

  • Elle se traduit, de fait, par une nouvelle loi du Travail, imposée sans avoir été discutée un seul instant : « Pas de travail rémunéré sans la possession d’informatique et de téléphonie personnelle et la garantie de leur bon état de marche permanent ».
  • Elle obéit à de nouvelles injonctions numériques imposées par la société d’aujourd’hui.
  • Elle se fonde sur des relations que chacun d’entre nous entretient avec « l’informatique » et avec les savoirs-faire numériques qu’il possède à un moment donné. Qu’un matériel tombe en panne, qu’un système ou un logiciel soit obsolète, qu’un logiciel cesse d’être exploité, que des donnés ne puissent être accessibles … et le télé-salarié, ou la télé-salariée, ne remplit plus les performances attendues de lui ou d’elle. Ils sont alors menacés par le télé-licenciement et le télé-chômage.

Covid-19. Assurer une continuité pédagogique.
Extrait de Les bonnes pratiques de l’enseignement à distance en sept points (Académie de Poitiers, 18 mars 2020).
http://ww2.ac-poitiers.fr/hist_geo/spip.php?article1946

LES HUMANITÉS NUMÉRIQUES,
UNE NOUVELLE ANTHROPOLOGIE

Les « humanités numériques » (Digital humanities) existent-elles vraiment ? Entendons-nous : il s’agit ici de nouvelles humanités. Dans l’enseignement traditionnel français, le mot d’humanités désignait les lettres classiques (les humanités classiques), centrées sur la littérature grecque et latine. Au Moyen Âge, elles visait une « éducation » : esthétique, rhétorique, morale et civique … Les collèges d’humanités dispensaient la première partie de l’enseignement des arts libéraux (trivium et quadrivium). Les humanités numériques sont souvent associées à la « Révolution numérique », lieu commun médiatique, et présentées comme « une nouvelle anthropologie des sociétés contemporaines ». (2)

OBÉIR A l’INJONCTION

L’injonction se définit comme « un ordre, un commandement précis, non discutable, qui doit être obligatoirement exécuté et qui est souvent accompagné de menaces et de sanctions ». Son mode d’existence quotidien est insidieux, constitué par une prescription sociale qui « place toute la société dans l’obligation de ne reconnaître que le neuf et le nouveau », de faire ressentir la culpabilité à ceux qui sont en retard, et de les mettre dans une dépendance à l’égard d’un apprentissage sans fin. (Jeanneret, 2011, p. 83).

Cette notion d’injonction est à mettre en lien avec celle de « réquisition » que développe Sarah LABELLE (2007). Le phénomène de prescription encourage fortement certains usages, tout en opérant une partition sociale liée au respect ou non de ces pratiques. Il s’agit d’un appel à l’activité dans un cadre normatif, donnant à voir de « bonnes pratiques », généralement non négociables, et seulement dans certains cas rares, peu négociables.

Lucie ALEXIS,  Sébastien APPIOTTI et Éva SANDRI, (3) observent que pour « les lieux culturels », ces logiques d’incitation comportent toujours des sanctions soit symboliques et sociales : les individus ou les institutions qui ne s’y plient pas sont jugés aussitôt « poussiéreux », « réactionnaires » ou « démodés » (Sandri, 2016).

Ces impératifs se déclinent selon des formes d’injonctions plurielles. Il ne s’agit pas tant de phénomènes de coercition que d’accompagnement aux degrés variés – du plus léger au plus impératif – et de proposition visant à stimuler et à susciter des pratiques, pouvant prendre des formes diverses. Ces niveaux d’accompagnement sont tout autant visibles dans les « discours d’escorte » (Jeanneret, 2001 ; Jeanneret, Souchier, 2002), qu’ils soient journalistiques ou politiques, que dans les discours des professionnels.

« Carte mentale pour faire des devoirs »,
Extrait de Apprendre, réviser, mémoriser, 10 septembre 2019.
https://apprendre-reviser-memoriser.fr/carte-mentale-devoirs-ecole/

RÉFÉRENCES DE L’ARTICLE

1. Sécurité et confidentialité des données utilisées et échangées dans le cadre d’une activité professionnelle entre un employé et son employeur.

  • Dans la situation où un employé exerce son activité sur son lieu de travail, c’est l’employeur (la collectivité publique ou l’entreprise privée) qui assure la sécurité des données utilisées.
  • Dans la situation où un employé est en télétravail depuis son domicile, il a accès à des données de la collectivité publique ou privée pour laquelle il travaille. Son matériel personnel ne dispose pas de dispositif professionnel garantissant la sécurité relative à l’utilisation et à la circulation des données. Des risques sérieux de piratage ou de commercialisation de données  personnelles, confidentielles détenues par l’employeur existent.

2. (A vérifier)

3. ALEXIS Lucie, APPIOTTI Sébastien, SANDRI Éva, « Présentation du supplément 2019 A : Les injonctions dans les institutions culturelles », 20 décembre 2019. https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2019/supplement-a/00-presentation-du-supplement-2019-a-les-injonctions-dans-les-institutions-culturelles-ajustements-et-prescriptions/

FILIOD Jean-Paul, « Anthropologie de l’école. Perspectives », Ethnologie française, 2007/4 (Vol. 37), p. 581-595. DOI : 10.3917/ethn.074.0581. URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2007-4-page-581.htm

MATELART Tristan, PARIZOT Cédric, PEGHINI Julie et WANONO Nadine, « Le numérique vu depuis les marges », Journal des anthropologues [En ligne], 142-143 | 2015, mis en ligne le 15 octobre 2015, consulté le 07 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/jda/6192

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Covid-19. Assurer une continuité pédagogique. Extrait de Les bonnes pratiques de l’enseignement à distance en sept points(Académie de Poitiers, 18 mars 2020). http://ww2.ac-poitiers.fr/hist_geo/spip.php?article1946
  • https://apprendre-reviser-memoriser.fr/carte-mentale-devoirs-ecole/
  • C’est quoi cette continuité pédagogique ? Extrait de « Continuité pédagogique et confinement version Blanquer. Danger ! », 28 mars 2020.  https://npaherault.blogspot.com/2020/03/continuite-pedagogique-et-confinement.html

C’est quoi cette continuité pédagogique ? Extrait de « Continuité pédagogique et confinement version Blanquer. Danger ! », 28 mars 2020. https://npaherault.blogspot.com/2020/03/continuite-pedagogique-et-confinement.html

DOCUMENT n°1

INJONCTION(S DU NUMÉRIQUE
Colloque scientifique Ludovia, Université d’été du numérique éducatif organisé par l’association de chercheurs Culture numérique,
Ax-les-Thermes (Arriège), 24-27 août 2020

Sommaire
I. L’avènement du numérique
II. Les formes prises par la numérisation

•   Injonction idéologique
•  
Injonction technique
•  
injonction industrielle

•  
Injonction industrielle et marchande
•  
Injonction psycho-sociale

III. Dans le domaine éducatif

I. L’avènement du numérique constitue t-il « une évolution anthropologique nécessaire ? », comme tend à l’imposer un consensus généralisé. Il est en effet considéré tour à tour comme :

  • une troisième écriture (Herrenschmidt, 2007) (1), après l’écriture et l’imprimerie,
  • une hypersphère, après la graphosphère,
  • la vidéosphère (Merzeau, 1998) (2), ou encore
  • un support d’une raison computationnelle (Bachimont, 2010) (3), comme l’écriture l’a été pour la raison graphique.

Le numérique, cette « technologie de l’intellect » (Goody, 1979) (4), doit-il s’imposer dans tous les domaines ?

II. Les formes prises par la numérisation progressive du monde ne sont pas naturelles. Le numérique ne s’impose pas de soi, selon un darwinisme technique qui en ferait le successeur inéluctable de la machine à vapeur et de l’électricité. Il est instruit par des instances politiques, économiques, développé par des industries, « médié » par différentes instances sociales qui agissent selon des intérêts divers, parfois convergents, parfois contradictoires.

Dans l’espace social, cette perception d’une nécessité est fortement soutenue par des campagnes médiatiques. Les promesses du numérique s’y déploient dans un continuum de développements perpétuels qui « instille quotidiennement l’évidence de l’avènement de futurs technicisés, présentés à la fois comme inévitables et fondamentalement désirables » (Compagnon, 2019 : 7). Ces intérêts croisés amènent à considérer la grande conversion numérique (Douehi, 2011) comme un enjeu sociétal complexe qui s’impose aux acteurs : les usagers sont sommés, sous diverses injonctions, à investir le monde numérique qui a été créé pour eux.

L’amplitude des effets de ces injonctions sur les individus a peu à peu suscité des réactions car ils sont potentiellement vécus comme des restrictions de liberté. Ce qui était vu comme un moyen « libre » de communication et d’information semble se muer en un outil de formatage. Ces injonctions prennent de multiples formes, elles ont été abordées par divers travaux de recherche dont :

  • Injonction idéologique, qui impose l’idée d’une société numérique inéluctable, naturalisée, impensée (Robert, 2012) (5), prolongeant le bluff technologique prédit par Ellul (1988) (6) ;
  • Injonction technique, derrière laquelle sourd l’idéologie du progrès, sous les avatars contemporains, par exemple, du solutionnisme technologique (Morozov, 2014) (7) ;
  • Injonction industrielle et marchande, qui pousse au développement d’un environnement numérique pervasif (Kaplan, 2012), que d’aucuns considèrent comme tyrannique (Biagini, Carnino, 2007) (8), qui fait de l’activité en ligne un digital labor (Cardon, Casilli, 2015) (9), ou un marché de l’attention (Citton, 2014) (10) et des affects (Alloing, Pierre, 2018) (11) ;
  • Injonction psychosociale, qui fait des appareils numériques des objets de désir et des signes extérieurs de richesse, du personal branding et de l’e-reputation (Alloing, 2016) (12) des modalités essentielles de la construction de l’identité (Georges, 2009 (13), Gomez-Méjia, 2016 (14) et de l’institutionnalisation personnelle (Gobert, 2018) (15)

III. Dans le domaine éducatif, la promotion incessante de nouvelles méthodes pédagogiques médiées par le numériqueserious gaming, MOOC, etc. — s’ajoute à des mesures institutionnelles successives comme le Plan de développement des usages du numérique à l’école (2010) et nombre de rapports parlementaires. Elle crée une injonction pédagogique d’usage et des pratiques à double tranchant. Si elle favorise l’émergence de nombreuses initiatives, elle attise des résistances (Biagini, Cailleaux, Jarrige, 2019) (16) et met en question la liberté de choix. Le numérique éducatif est-il une injonction, institutionnelle, pédagogique, ou une transformation nécessaire (17) ? De la prudence critique (Tricot, Amadieu, 2014) (18) au techno- enthousiasme (Khan, 2013) (19), en passant par l’expérimentation optimiste (Romero et al., 2017) (20)

Comment faciliter cette intégration ? Ou au contraire, modérer cette imposition ? 
 Voire en empêcher certaines ?

  • En sciences humaines, la question pressante de la constitution des humanités numériques (21) et des modalités d’appréhension du big data obligent les disciplines à une introspection épistémologique et méthodologique. Elle conduit à repenser les heuristiques disciplinaires : quelles données recueillir et questionner (San Juan, 2014) (22).

Quelles méthodes mettre en 
œuvre pour les analyser dans le contexte des herméneutiques et des méthodologies qualitatives préexistantes ?

  • D’autre part, des situations de communication aux représentations de soi (Quantified Self) connectées, ou médiées par la relation interactive à une ou plusieurs interfaces numériques, les individus et les groupes mettent en œuvre des stratégies de modération de l’activité numérique, qu’on peut concevoir comme le symptôme d’une forme de résistance à l’injonction ; pour d’autres, en revanche, la relation aux environnements numériques prend des allures d’aliénation.

Quels mécanismes sont à l’œuvre, quels dispositifs favorisent ou contraignent les usages, pour quelles fins ?

  • Dans le domaine esthétique, on pourrait croire que la question est tranchée depuis longtemps, avec l’évidence de l’art numérique (Couchot et al., 2003) (23), du net art (Fourmentraux, 2005) (24), de la musique (Réseaux n° 172) (25) ou de la numérisation du cinéma (Beau, Dubois, Leblanc, 1998) (26). Mais la numérisation est passée des pratiques de production aux pratiques de réception (Bourgatte, Thabourey, 2012) (27) , profondément modifiée par l’avènement de l’informatique mobile et de la connexion permanente, et dans le spectacle vivant, elle est encore problématique (Ligeia n° 137 – 140) (28).

Comment les artistes gèrent-ils cette pression sociale de l’omniprésence numérique dans les pratiques spectatorielles ? Comment les artistes de spectacles vivants s’accommodent-ils de l’injonction numérique ?

  • Le domaine vidéo-ludique peut être vu comme une forme de laboratoire socio-technique. Alors que les techniques narratives vidéoludiques empruntent d’abord à leurs aînées audiovisuelles, littéraires et folkloristiques, elles sont maintenant prises comme modèle de scénarisation dans l’innovation pédagogique.L’injonction numérique passe-t-elle par la ludicisation des pratiques d’apprentissage ?

NOTES

  • 1 Herrenschmidt C. (2007), Les trois écritures. Langue, nombre, code, Bibliothèque des sciences humaines, Paris, Gallimard.
  • 2 Merzeau L. (1998), « Ceci ne tuera pas cela », Les cahiers de médiologie, vol. 6, no. 2, 1998, pp. 27–39.
  • 3 Bachimont B. (2010), Le sens de la technique : le numérique et le calcul, Le Kremlin-Bicêtre, Les Belles Lettres.
  • 4 Goody J. (1979), La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, trad. J. Bazin et A. Bensa, Paris, Éd. de Minuit.
  • Le Colloque scientifique Ludovia est organisé par Culture numérique, association de chercheurs, dans le cadre de Ludovia, Université d’été du numérique éducatif.
  • 5 Robert P. (2012), L’impensé informatique : Critique du mode d’existence idéologique des technologies de l’information et de la communication : Tome 1, Les années 1970–1980, Paris, Archives contemporaines.
  • 6 Ellul J. (1988), Le bluff technologique, Hachette, Paris, 1988.
  • 7 Morozov E. (2014), Pour tout résoudre, cliquez ici. L’aberration du solutionnisme technologique, Limoges, FYP.
  • 8 Biagini C., Carnino G. (dir., 2007), La Tyrannie technologique. Critique de la société numérique, l’Échappée.
  • 9 Cardon D., Casilli A. (2015), Qu’est-ce que le Digital Labor, INA Éditions.
  • 10 Citton Y. (dir., 2014), L’économie de l’attention. Nouvel horizon du capitalisme ? La Découverte.
  • 11 Alloing C. et Pierre J. (2017), Le Web affectif, une économie numérique des émotions, Ina Éditions. 
Le Colloque scientifique Ludovia est organisé par Culture numérique, association de chercheurs, dans le cadre de Ludovia, Université d’été du numérique éducatif.
  • 12 Alloing C. (2016), (E)réputation : médiation, calcul, émotion, CNRS Edition.
  • 13 Georges F. (2009), « Identité numérique et représentation de soi : analyse sémiotique et quantitative de 
l’emprise culturelle du web 2.0. » Réseaux, n°154, pp. 165-193.
  • 14 Gomez-Mejia G. (2016), Les Fabriques de soi ? Identité et Industrie sur le web, Paris, MkF.
  • 15 Gobert T. (2018), « La e-identité comme facteur de l’institutionnalisation de soi », Innovation, institution du numérique, Ludovia # 15, 20 août 2018
  • 16 Biagini C., Cailleaux C., Jarrige F. (coord.) (2019), Critique de l’école numérique, L’Échappée.
  • 17 Baron, G.-L., Depover, C. (dir.) (2019), Les effets du numérique sur l’éducation. Regards sur une saga contemporaine. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion
  • 18 Tricot A., Amadieu F. (2014), Apprendre avec le numérique. Mythes et réalités, Paris, Retz.
  • 19 Khan S. (2013), L’éducation réinventée ; Une école grande comme le monde, Paris, Lattès.
  • 20 Romero M., Lille B., Patino A. (2017), Usages créatifs du numérique pour l’apprentissage au XXIe siècle, 
Presses de l’Université du Québec.
  • 21 À titre indicatif, parmi la pléthore de publications, signalons ces numéros de revue récents : Questions de 
communication n°31 (2017/1), Quaderni n°98 (2019/1), Les Cahiers du numérique 2017/3-4 (Vol. 13).
  • 22 Ibekwe-SanJuan F. (2014), “Big Data, Big machines, Big Science : vers une société sans sujet et sans 
causalité ? », 19e congrès de la SFSIC, Toulon 4 au 6 juin 2014. 
Le Colloque scientifique Ludovia est organisé par Culture numérique, association de chercheurs, dans le cadre de Ludovia, Université d’été du numérique éducatif.
  • 23 Couchot E., Hillaire N. (2003), L’art numérique. Comment la technologie vient au monde de l’art, Paris, Flammarion.
  • 24 Fourmentraux J.-P. (2005), Art et Internet, les nouvelles figures de la création, Paris, CNRS éditions.
  • 25 RESEAUX 2012/2 (n° 172), Musique et technologies numériques, La Découverte.
  • 26 Beau F., Dubois P., Leblanc G. (1998), Cinéma et dernières technologies, INA-De Boeck, 1998
  • 27 Bourgatte M., Thabourey V. (dir., 2012), Le cinéma à l’heure du numérique. Pratiques et publics, Paris, MkF.
  • 28 Ligeia 2015/1, n°137–140, Théâtres laboratoires, Éditions Ligeia. 
Le Colloque scientifique Ludovia est organisé par Culture numérique, association de chercheurs, dans le cadre de Ludovia, Université d’été du numérique éducatif.
 

RÉFÉRENCES DU DOCUMENT
1. « Injonction(s) du numérique, Colloque scientifique Ludovia, Université d’été du numérique éducatif organisé par l’association de chercheurs Culture numérique, Ax-les-Thermes (Arriège), 24-27 août 2020. http://culture.numerique.free.fr/
Présidents du Colloque 2020 : Thierry Gobert (UPVD), Michel Lavigne (Toulouse 3), Patrick Mpondo-Dicka (Toulouse 2)
Les thèmes précédemment abordés par Culture numérique (Réseau scientifique pluridisciplinaire dans le domaine des technologies, applications et pratiques liées au numérique).

  • L’immersion (2006),
  • La convivialité (2007),
  • Faire soi-même (2008),
  • Espace(s) et mémoire(s) (2009),
  • Interactivité et interactions (2010),
  • La mobilité (2011),
  • Le plaisir (2012),
  • L’imaginaire (2013)
  • Création et de consommation (2014),
  • Appropriations et détournements (2015),
  • Formes d’attention, formes de présence, engagement (2016),
  • Partage, échange, contribution, participation (2017),
  • Institutions et numérique (2018),
  • Numérique et représentations (2019).

DOCUMENT n°2

LES ENSEIGNANTS FACE A LA CONTINUITÉ PÉDAGOGIQUE

« Les enseignants face à la continuité pédagogique. Et, oh… On se calme ! », Tract, 22 mars 2020. http://cgt-ep.reference-syndicale.fr/2020/03/continuite-pedagogique-eh-oh-on-se-calme/

COMMENTAIRE
15 juin 2020
Obligations matérielles lors de la mise en place du télétravail

Le télétravail à domicile implique que le salarié fournisse la prestation de travail depuis son domicile. Parallèlement se pose la question des équipements nécessaires au travail.
L’article 7 de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 prévoit que l’employeur est tenu de fournir et installer le matériel nécessaire à l’activité du télétravailleur.

https://www.portail-des-pme.fr/droit-du-travail/obligations-materiels-lors-de-la-mise-en-place-du-teletravail

COMMENTAIRE
17 juin 2020
Témoignage d’un principal de lycée

Prof bashing. L’avis d’un « principal en varech » On devrait louer le miracle qui s’est déroulé qui a fait que plus de 95% des enseignants ont suivi leurs élèves avec qualité et dévouement malgré des conditions matérielles inacceptables », écrit « le principal en varech » sur son blog.
« Ils ont utilisé leur matériel personnel, ils ont utilisé leurs forfaits téléphoniques (parfois en les explosant). Tout cela sur leurs propres deniers… Oui, certains enseignants ont pu se retrouver dans l’impossibilité d’enseigner à distance, oui peut-être quelques rares ont pu décider de refuser d’utiliser leurs ressources personnelles. Mais au bout du bout du compte, qui est le responsable ?
Quelle entreprise oserait demander à ses salariés d’assurer du télétravail sans y mettre les conditions matérielles ?

http://www.cafepedagogique.net/Pages/Accueil.aspx

RÉFÉRENCES
« Profs décrocheurs durant le confinement », Principal en varech, 16 juin 2020. https://principalenvarech.blogspot.com/2020/06/profs-decrocheurs-durant-le-confinement.html
Déambulations aléatoires et réflexions personnelles d’un personnel de direction heureux et mobile. Hier à la capitale, aujourd’hui les pieds dans l’eau (Compte Twitter @PrincipalVarech)

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°408, lundi 8 juin 2020

Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info.
ISSN 2261-1819 BNF. Dépôt légal du numérique

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Notre site http://savigny-avenir.info/ en maintenance a été inaccessible du 31 mai au 3 juin 2020

TERRITOIRES ET DÉMOCRATIE NUMÉRIQUE LOCALE

Depuis le dimanche 31 mai, et jusqu’au mercredi 3 juin 2020 dans la soirée, notre site a été en maintenance et de ce fait, a été inaccessible. Lorsque nos lecteurs essayaient de se connecter à http://savigny-avenir.info/ ils aboutissaient à une page blanche qui portaient le message suivant :

Cela ne venait pas d’eux, mais de nous.

Les dates se sont imposées. Cela nous a empêché d’annoncer cet arrêt momentané. Nous  les prions de nous en excuser.

La maintenance est désormais achevée et notre site est de nouveau accessible.

Les maintenances informatiques sont comme les passages-piétons que l’on emprunte pour traverser une rue pour passer d’un trottoir à un autre. La circulation des véhicules doit s’arrêter pour que les piétons traversent : prudence pour les piétons, prudence pour les conducteurs de véhicule.
C’est un peu comme prendre un enfant par la main. Sur ce panneau routier, des élèves de l’école Ferdinand Buisson de Savigny-sur-Orge (Essonne) ont collé des gommettes blanches pour figurer les yeux et la bouche des personnages, celles de la petite fille ont un peu glissé vers le bas. Une façon d’humaniser des personnages stylisés. 7 mars 2020
© Photographie Bernard Mérigot/CAD.

Notre site existe depuis plus de dix ans maintenant, son premier article ayant été publié le 18 juillet 2009.
Depuis cette date, il est accessible de façon continue, mise a part quatre brêves  interruptions de quelques jours pour des motifs de maintenance.
Il comprend environ 2 500 articles en ligne, 4 000 photos et documents consultables dans leur totalité, gratuitement. Il ne comporte aucune publicité.

Il proposera prochainement à ses lecteurs un abonnement pour être tenus informés des nouveaux articles mis en ligne.

Bernard MÉRIGOT
Rédacteur en chef
Président de Mieux Aborder L’Avenir (MALA)

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Les maintenances informatiques sont comme les passages-piétons que l’on emprunte pour traverser une rue pour passer d’un trottoir à un autre. La circulation des véhicules doit s’arrêter pour que les piétons traversent : prudence pour les piétons, prudence pour les conducteurs de véhicule. C’est un peu comme «prendre un enfant par la main». Sur ce panneau routier, des élèves de l’école Ferdinand Buisson de Savigny-sur-Orge (Essonne) ont collé des gommettes blanches pour figurer les yeux et la bouche des personnages, celles de la petite fille ont un peu glissé vers le bas. Une façon d’humaniser des personnages stylisés. 7 mars 2020 © Photographie Bernard Mérigot/CAD.
Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info.
ISSN 2261-1819 BNF. Dépôt légal du numérique

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Anthropologie de la pensée Post Covid-19 : pollutions, multinationales, relocalisations. Un poème pour le « Jour d’après »

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°406, lundi 25 mai 2020

« Plus jamais de dépendance aux marchés internationaux ». Voila un exemple de la pensée post-Covid-19 que l’on peut lire en ce jour du 18 mai 2020 sur un des panneaux apposés sur la clôture d’un pavillon de la banlieue parisienne dans l’Essonne, département à ce jour classé en zone rouge par le ministère de la Santé. Cette pensée post-Covid-19 est visible par tous les passants qui empruntent l’espace public de l’avenue où elle est installée. Elle fait partie d’un triptyque qui compose un poème pour « le Jour d’après » : elle serait à la fois une manifestation liée à l’actualité du confinement du Covid-19, et l’expression d’une analyse du monde qui était «déjà-là» bien avant la crise et qui en confirme la pertinence. Une question se pose : a partir de quoi  se construit socialement, politiquement, psychologiquement, culturellement « les jours d’après » dans une différence d’avec « les jours d’avant » ?

« Plus jamais la dépendance aux marchés internationaux. Relocalisons pour le jour ».
Panneau dessiné par des enfants apposé sur la clôture d’un pavillon avenue de Savigny, à Juvisy-sur-Orge (Essonne), 18 mai 2020.
© Photographie Bernard Mérigot / CAD.

55 JOURS  A PENSER « HORS DU MONDE »

Les françaises et les françaises ont été confinés, depuis le mardi 17 mars 2020 (deux jours après le premier tour des élections municipales), et jusqu’au 11 mai, soit pendant 8 semaines, c’est à dire 55 jours exactement. « Restez chez vous » était le slogan relayé par l’État, le gouvernement, les services publics et les acteurs économiques. Ce retrait du monde quotidien, cette vie sanitaire et médicalisée (Pourvu que les services des urgences des hôpitaux ne soient pas saturés…) ont été ponctués par de nouveaux rites imposés, portant des noms magiques : « masques respiratoires », « gel hydro-alcoolique », « gestes-barrières », « distanciation sociale », « tests médicaux », « prise de température corporelle »
S’y s’ajoute le mystérieux, fantasmatique, inquiétant et inefficace projet de «traking» , ce traçage des citoyens malades ou suspects de maladie, à l’aide de leurs propres téléphone portables, dispositif que n’auraient pas reniés H.G.WELLS, Aldous HUXLEY, George ORWELL, ou Terry GILLIAN. (1) Aucun régime dictatorial, passé ou présent, ne pouvait prévoir qu’un tel dispositif permettant de contrôler la totalité des faits et gestes des habitants d’un état, trouverait si vite sa solution technique. Il ne pouvait pas imaginer que la saisi, l’enregistrement et la conservation d’une telle masse de données trouverait une justification aussi convainquante (« lutter contre la propagation du virus ») qui s’imposerait d’une façon évidente – imparable – aux consciences individuelles. La « guerre » du président de la République Emmanuel MACRON contre le Coronavirus Covid-19 est une raison justifiante absolue.

Cette expérience des mois de mars-avril-mai 2020, portant sur les corps et sur les esprits a révélé des idées nouvelles, a modifié des idées existantes, a conduit à abandonner des idées anciennes. Le monde mental d’après n’est plus juxtaposable au monde mental d’avant, et plus personne – quoique certains laissent paraître – ne pense le destin de l’homme et celui de la nature de la même façon après trois mois. Ce qui est le propre de toute expérience collective. Car comment répondre à cette injonction contradictoire, mot d’ordre à la fois existentiel et métaphysique « Ne pas attraper le virus, ne pas le transmettre » ? Double résolution, utilitariste et généreuse, la plupart de temps irréalisable, faute de moyens. Et doublement angoissante : chacun peut être à la fois, ou tour à tour, contaminé et contaminant.

LE CORONAVIRUS-19 : EN MÊME TEMPS, MALADIE ET REMÈDE

La crise a révélé la relation paradoxale que la France, comme d’autres pays, entretient avec la Chine.

  • La Chine lieu d’émergence de nouveaux virus du fait de ses conditions de «consommation» d’animaux sauvages (pangolin) aussi bien que domestiques (porc, poulets…),
  • La Chine puissance émergente en mesure de contrôler des pandémies par ses publications d’articles scientifiques dans les revues internationales, par la vente au reste du monde de masques et d’antiviraux, produits rapidement et très grande quantité, par l’existence de centres de recherche sur les virus à la pointe de la modernité. La Chine possède aujourd’hui une expertise mondiale émergente dans le domaine épidémiologique, expertise reconnue par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

La France a découvert qu’elle était dépendante, pour ses masques et ses médicaments, de chaînes de fabrication délocalisées en Chine pour en réduire les coûts, et ce au moment même où des scientifiques alertaient l’opinion, sur l’émergence de nouveaux pathogènes due aux transformations de la nature par les humains. C’est le propos de notre poème de rue.

POÈME POUR LES JOURS D’APRÈS

I

Plus jamais la pollution
Plus de coccinelles
Moins de poubelles
Pour le jour d’après.

II

Les rosiers plus forts
que les multinationales

GAFAM. Black Rock
Plus jamais.

III

Plus jamais la dépendance
aux marchés internationaux.

Relocalisons.
Pour toujours.

18 mai 2020
Juvisy-sur-Orge

Pollution, multinationales, relocalisation. Poème pour le Jour d’après. Un triptique de la pensée post-Covid-19. Trois panneaux dessinées par des enfants, 18 mai 2020. © Photographie Bernard Mérigot/CAD

LA MONDIALISATION EST
RESPONSABLE DES PANDÉMIES

Pour Frédéric KERK, la mondialisation est responsable des pandémies. Il écrit :

« chaque fois que se produit une avancée de la mondialisation, c’est-à-dire une extension de formes standardisées de commerce à l’égard d’un plus grand nombre de sociétés humaines, celle-ci s’accompagne d’une pandémie qui en constitue comme la face sombre, ou encore, la part maudite de l’économie généralisée. » (2)

On a tendance à oublier la liste des principales épidémies et pandémies qui ont atteint le monde depuis le début du XXe siècle.

Principales épidémies du XXe siècle

  • 1918. Grippe espagnole
  • 1957. Grippe asiatique
  • 1968. Grippe de Hong Kong
  • 1976. Ebola (issu des chauves-souris d’Afrique centrale)
  • 1981. Sida (issu des singes d’Afrique centrale)
  • 1996. ESB ou vache folle (issue des bovins de Grande-Bretagne)
  • 1997. Grippe aviaire H5N1 (issue des oiseaux du sud de la Chine)
  • 2003. Sras (issu des chauves-souris et des civettes du sud de la Chine)
  • 2012. Mers-CoV (issu des chameaux d’Arabie Saoudite)
  • 2013. Grippe aviaire H7N9 (Chine)
  • 2016. Zika (issu des moustiques en Polynésie française et au Brésil)
  • 2010-2020. Covid-19 (Wuhan, Chine)

Chaque épidémie a un sens. Elle est à la fois produite et productrice, effet et cause. La grippe de 1918 a marqué la fin de la Première Guerre mondiale et a constitué pour tout le XXe siècle un profond traumatisme. La crise du SRAS en 2003 a ouvert le XXIe siècle en montrant la dépendance de l’économie mondiale à l’égard de la Chine, en annonçant la crise mondiale que nous traversons. Le paradoxe n’est pas médical. Il est politique. Il relève des décisions des États, des gouvernements, des administrations, des services publics.

LA NATURE SE VENGE-T-ELLE ?

Peut-on dire que « la nature se venge » ? La question traduit de façon frappante pour le grand public une pensée scientifique : à chaque fois que les humains inventent une arme pour contrôler les maladies infectieuses, les mécanismes de mutation et de sélection qui gouvernent la nature répondent par une nouvelle maladie émergence virale ou bactérienne. Cela ne signifie pas que la nature se venge. Elle n’est pas une entité dotée d’intention, mais elle signifie que les animaux envoient aux humains des signaux d’alerte sur les perturbations subies par leur environnement.
On doit prendre conscience que les nations occidentales ne sont pas les mieux « outillées » pour construire culturellement la pensée de l’après-Covid-19. Frédéric KECK souligne ceci :  « Il me semble que la philosophie chinoise, avec son attention aux mutations dans les cycles de la nature, est la mieux à même de nous faire comprendre cette alternance étrange et épuisante d’accélérations et de ralentissements de façon à repenser notre relation à la nature. »

TOUS LES PORTEURS DE VIRUS SONT DES ENNEMIS

La crise du Covid-19 peut-elle justifier l’exploitation légale de données personnelles sous le prétexte de « lutter contre la propagation du virus » ? Il ne faut pas se cacher que toute intrusion dans la vie privée (Qui rencontre qui ? Quand ? Où ? …) constitue une sorte de cheval de Troie à l’égard des libertés individuelles qui est appelé à demeurer après la crise, sommeiller dans la discrétion et l’indifférence sociale, pour être un jour réveillé , et ressurgir demain pour des fins sans aucun rapport avec la lutte sanitaire initiale.
Le coronavirus Covid-19 a plongé le monde dans une crise. En France, l’État, le Gouvernement, les administrations et les services publics ne sont pas parvenus à soigner tous les malades. Il leur a été plus facile d’apporter des réponses de nature sécuritaire, en contrôlant les corps et les esprits. Elles ont été présentées comme des mesures efficaces pour combattre la propagation du virus.
Profitant de l’état de sidération et de peur générale, ils ont tenté de développer des dispositifs comme les drones, la télésurveillance, la reconnaissance faciale, la collecte de données personnelles… en les confiant à des opérateurs de télécommunication ou des plateformes numériques commerciales. « Les projets de backtracking constituent des solutions dont l’efficacité reste extrêmement questionnable. Ils sont en résonance avec la tendance de généralisation de la surveillance de la société ». (3)

« Portez un masque, restez à un mètre des autres voyageurs. Répartissez-vous sur l’ensemble du quai et à bord des trains. Utilisez du gel hydroalcoolique avant et après votre trajet ».
Message sur les écrans de la SNCF RER C / Transilien en Gare de Savigny-sur-Orge, 10 mai 2020, 10 H 56.
© Photographie de Bernard Mérigot / CAD.

SÉCURITÉ SANITAIRE
OU PEUR SANITAIRE ?

Pour Giorgio AGAMBEN, « l’usage stratégique de la sécurité sanitaire amène des réponses globales qui entament la souveraineté démocratique. La biosécurité trace une voie qui impose le règne de la transparence absolue : celle d’une société de contrôle généralisé dans laquelle la connexion virtuelle se substitue au lien sensible, chaque existence s’éloignant de son destin humain ». (4)

La pandémie du Covid-19 a fait entrer le Monde dans un processus dans lequel une sécurité sanitaire (qui demeurait jusque-là une préoccupation secondaire des États), prend la forme d’une peur sanitaire. Dès lors, celle-ci constitue l’argument unique et convainquant qui permet de gouverner en s’affranchissant du droit existant. Giorgio AGAMBEN rappelle l’analyse de Patrick ZYLBERMAN publiée en 2013 dans son livre Tempêtes microbiennes.

Il résulte de ces travaux qui se croisent, plusieurs constatations relatives à la gestion politique des crises sanitaires :

1. la construction, sur la base d’un risque possible, d’un scénario fictif, constatation d’autant plus indiscutable que le destin de la pandémie est incertain,
2. la présentation des données sur la maladie qui permet une double acceptation sociale : d’une part de gouverner en situation extrême, d’autre part de le faire en dérogeant aux règles de droit existantes,
3. l’adoption de la logique du pire comme constituant le régime évident et légitime de la rationalité politique,
4. l’organisation « intégrale » du corps des citoyens de façon à renforcer l’adhésion maximale aux institutions de gouvernement, en produisant un « civisme superlatif » : les obligations « imposées » deviennent des preuves d’altruisme.
5. le remplacement du droit à la santé (health safety) des citoyens par une obligation à la santé (biosecurity), transférant la responsabilité juridique de la propagation au citoyen. Le malade est responsable de sa maladie. Il lui est reproché de ne pas avoir respecté pour lui-même les règles édictées pour les autres.

CONCLUSION

Qu’est-ce qui peut nous permettre de distinguer les « jours d’après » des « jours d’avant » ? La difficulté tient au fait que nous sommes ici dans un monde de formules pré-pensées, de lieux communs journalistiques, et de « commentaires qui commentent des commentaires », rallongeant à l’infini la liste des messages qui s’enregistrent à la suite les uns des autres, que ce soit sur Facebook, Twitter ou d’autres réseaux sociaux : tout commentaire est toujours suivi par un commentaire.

Cette situation brouille la part d’authenticité qui est porteuse à la fois d’optimisme et de pessimisme. Espérances pour que des choses changent. Fatalismes de les voir se perpétuer à l’identique, répétant les mêmes relations subies par les hommes et des femmes dans les domaines aussi variés de ceux de la santé (saturation des urgences), du commerce (désertification des centre villes), des échanges internationaux (productions le plus loin possible et le moins cher possible), de l’économie mondiale (recherche du maximum de profits dans le temps le plus court), du travail (précarisation des salariés, livreurs à domicile à vélo devenus des auto-entrepreneurs), de la nature (la biodiversité diminue chaque jour), de l’environnement (toujours de nouvelles pollutions), du climat (augmentation des rejets de CO2) …

  • « Le jour d’après ne sera pas le jour d’avant » déclare Emmanuel MACRON, président de la République lors de son allocution radio télévisée du lundi 16 mars 2020 annonçant le confinement.
  • « On se rassure ou l’on se fait peur en prophétisant que « rien ne changera vraiment » ou alors « en pire », écrit un collectif dans un manifeste « Agir contre la réintoxication du monde » rassemblant écologistes, zadistes et syndicalistes appelant à « bifurquer » le 17 juin 2020. (5)

Qui souhaite que l’après soit différent de l’avant ? Les états, les gouvernements et les administrations, les acteurs économiques … le souhaitent-ils vraiment ? Des jours d’après ne peuvent que résulter d’une construction participative et citoyenne.
Les expressions citoyennes spontanées, sous la forme de mots d’ordre militants, ne sont pas si répandus. Ces dessins d’enfant, affichés dans l’espace privé pour être vus depuis l’espace public,  expriment une pensée qui n’est en aucun cas enfantine. Elle est pleinement adulte.

Les réflexions se multiplient. Le Centre de Recherche et d’Action Sociales (CERAS) pour sa part, publie en date du 14 mai 2020, une prise de position « en temps de crise de Covid-19 ». Il y évoque quelques « bonnes idées » pour la suite du Covid-19, comme « la remise en cause des dogmes budgétaires que l’on nous a présenté comme figés à jamais » ainsi que « le constat des méfaits d’une mondialisation dérégulée ». (6) La question est ici de savoir où l’on place la limite de remise en cause des jours d’avant, et quelles règles on fixe pour les jours d’après. Nous voyons bien que la question de la régulation de la mondialisation est pleine de bonnes intentions. Elle se heurte au cynisme économique. La mondialisation peut-elle être régulée que par la loi du profit maximum immédiat (PMI) ? Et par qui ? Les réponses résulteront de combats globaux qui sont attendus.

Pour être complet, il faut mentionner que  le même texte, lance un appel à « rejoindre les mouvements de la société civile et de l’altermondialisme ». Faisant la distinction entre les « les gestes symboliques » qui sont importants, mais sont devenus insuffisants, et les « actes forts », à la fois personnels mais aussi collectifs dont on a besoin, il évoque que les premiers jours du déconfinement sont un moment favorable pour décider « de changer de banque, de se  (et de demander désinvestir des énergies fossiles, de passer à l’énergie renouvelable, de choisir une destination plus proche pour ses prochaines vacances, de s’engager dans une association de solidarité, de partager son salaire, d’interroger les finalités de son travail…). Autant de gestes qui se situent en aval de la mondialisation et qui pour avoir une portée devraient être généralisés pour avoir un effet en amont.

« Les jours d’après» sont déjà pré-pensés et pré-agis. Peuvent-ils alors constituer pleinement des pensées ou bien des actions ? Quelles libertés les pouvoirs en place laissent-ils aux citoyens – ceux qui, in fine – seront survivants, d’en décider ?

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES

1. H.G. WELLS (1866-1946), Aldous HUXLEY, (1894-1963), Brave New World (Le Meilleur des mondes), 1932. Georges ORWELL, (1903-1950), Nineteen Eighty-Four, (1984), 1949. Terry GILLIAM, (1940- ), Brasil, 1985. (Film)

2. KECK Frédéric, « Chaque avancée de la mondialisation s’accompagne d’une pandémie », Micgros Magazine, 23 avril 2020. Entretien avec Patricia BRAMBILLA. 23 avril 2020. https://www.migrosmagazine.ch/entretien-frederic-keck

3. TREGUER Félix, « Je veux partager l’énergie des expériences de résistance à travers l’histoire », Mouvement Up, 13 mai 2020. https://www.mouvement-up.fr/articles/felix-treguer-je-veux-partager-lenergie-des-experiences-de-resistance-a-travers-lhistoire/?utm_source=mailingquotidien&utm_medium=mailing&utm_campaign

4. AGAMBEN Giorgio, « Biosécurité et politique », Lundi matin, n°243, 18 mai 2020. https://lundi.am/999-Biosecurite-et-politique

5. « Agir contre la réintoxication du monde. Écologistes, ZAD et syndicalistes appellent à bifurquer le 17 juin 2020 », Lundi Matin, 18 mai 2020. https://lundi.am/Agir-contre-la-reintoxication-du-monde

6. CENTRE DE RECHERCHE ET D’ACTION SOCIALES (CERAS), « Face aux crises, ouvrir un chemin de conversion radicale », Une prise de parole du CERAS en temps de Covid-19, 14 mai 2020. https://www.doctrine-sociale-catholique.fr/la-doctrine-sociale-en-debat/352-face-aux-crises-ouvrir-un-chemin-de-conversion-radicale

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • « Plus jamais la dépendance aux marchés internationaux. Relocalisons pour toujours ». Panneau dessiné par des enfants apposé sur la clôture d’un pavillon avenue de Savigny,  à Juvisy-sur-Orge (Essonne), 18 mai 2020. © Photographie Bernard Mérigot / CAD.
  • Pollution, multinationales, relocalisation. Poème pour le Jour d’après. Un triptique de la pensée post-Covid-19. Trois panneaux dessinées par des enfants, 18 mai 2020. © Photographie Bernard Mérigot/CAD
  • « Portez un masque, restez à un mètre des autres voyageurs. Répartissez-vous sur l’ensemble du quai et à bord des trains. Utilisez du gel hydroalcoolique avant et après votre trajet ». Message sur les écrans de la SNCF RER C / Transilien en Gare de Savigny-sur-Orge, 10 mai 2020, 10 H 56. © Photographie de Bernard Mérigot / CAD.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°406, lundi 25 mai 2020

COMMENTAIRE du 26 mai 2020
LA FRAGILITÉ EST NOTRE SORT COMMUN

Dans la présentation du numéro de la revue Sociologies publié le 20 mai 2020, Antoine HENNION et Alexandre MONNIN évoquent sans la nommer la « crise » du Covid-19, en relevant « l’étrange moment dans lequel nous sommes plongés, si difficile à appréhender ». A ce propos, ils notent l’étonnante facilité avec laquelle les réalités qui semblaient le plus solidement établies peuvent être remises en cause du jour au lendemain, et pour une durée indéterminée.

  • au niveau du rôle de l’État, des frontières et des souverainetés nationales, du poids de la dette ou de la place des services publics,
  • à des niveaux plus personnels, mais tout aussi décisifs, tels que le tissage du temps et de l’espace du quotidien de chacun, ou que l’interrogation sur ce que nous tenons pour important, voire vital.

« La fragilité n’est pas l’inverse de la solidité, de la durée ou de la solennité des choses, elle n’est pas à nos marges, elle n’est ni un défaut à réparer, ni un état provisoire, elle est notre sort commun. »

La fragilité vient bousculer les manières d’enquêter. Qu’est-ce qu’impliquent le renoncement à toute posture d’extériorité par rapport aux mondes en train de se faire et l’abandon de l’idée d’un « social » régi par sa propre logique ? Que ce soit vis-à-vis de la sociologie pragmatique, de formes réactualisées de recherche-actions ou d’enquêtes sociales engagées (studies à l’américaine), ils réactivent la notion de « méliorisme » empruntée aux premiers pragmatistes américains.

Ces leçons sur la méthode forcent à formuler sur un mode négatif la liste de ce qu’il ne faut pas faire pour mener une enquête :

  • ne pas se précipiter vers une analyse rassurante, comme s’il s’agissait coûte que coûte de rendre raison à une réalité qui nous déborderait ;
  • ne pas laisser une interprétation clore un présent qui se déroule ;
  • ne pas forcer l’analyse pour avoir le dernier mot…

« Comment affûter l’art de se laisser attraper par l’expérience en cours, toujours ouverte à des possibles incertains, et pouvoir nous-mêmes en saisir des éclats pertinents ? »

L’EMPIRISME RADICAL

Il faut parler ici de l’ « empirisme radical ». Il ne saurait se réduire à la micro-description de situations locales, qui est ce à quoi les sociologies systémiques ou critiques tendent encore à le réduire aujourd’hui.

Antoine HENNION et Alexandre MONNIN rappellent que l’idée de « plurivers » et celle d’empirisme radical de William James ont fait écho au renversement radical, opéré par la « théorie de l’enquête » que John DEWEY a vigoureusement formulée sur le plan social et politique.

« L’enquête, c’est d’abord celle que mènent les personnes concernées elles-mêmes, travaillant à faire de leurs « concerns » des problèmes publics. » Il ne s’agit ni de communication ni de publicité : « making things public », pour le dire à la façon dont Bruno LATOUR a repris l’idée. Elle consiste à :

  • « faire émerger et se transformer les choses mêmes, alors qu’on ne connaît ni les enjeux, ni les acteurs, ni même les arènes de ces débats. »
  • « faire advenir les unes et les autres à travers le débat public, le propos n’est pas de faire connaître des choses « déjà là » ni de convaincre des intérêts déjà constitués

LE PARLEMENT DES CHOSES

« C’était bien le partage entre savoir et action, entre science et politique, que John Dewey remettait en cause ». Il écrivait au début du XXe siècle ce que la politique est en train de redevenir : de l’environnement et de la planète au corps et au genre, en passant par les animaux, les nanotechnologies ou les réseaux sociaux, l’alimentation et la mobilité ou encore la ville, autrement dit, un vaste « parlement des choses » dont parle Bruno LATOUR.

RÉFÉRENCES DU COMMENTAIRE
HENNION Antoine et MONNIN Alexandre,
« Du pragmatisme au méliorisme radical : enquêter dans un monde ouvert, prendre acte de ses fragilités, considérer la possibilité des catastrophes », Sociologies, Du pragmatisme au méliorisme radical, mis en ligne le 20 mai 2020. URL : http://journals.openedition.org/sociologies/13931

Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info.
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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2020/05/25/anthropologie-de-la-pensee-post-covid-19-pollutions-multinationales-relocalisations-un-poeme-pour-le-jour-dapres/

 

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Information à nos lecteurs et correspondants. OVH change notre logiciel de mails Roundcube pour Outlook

EN PLEIN CONFINEMENT CORONAVIRUS COVID-19 : CHANGEMENT DE LOGICIEL DE GESTION DES MAILS

Roundcube. Open source webmail software. Logo

  • NOTRE PHILOSOPHIE GÉNÉRALE A L’ÉGARD DES OUTILS NUMÉRIQUES
    Notre média numérique met en ligne gratuitement la totalité de ses articles. Il a toujours milité pour une informatique professionnelle, humaine, transparente, collaborative, citoyenne et associative, qui soit durable.
    Pour nous, les outils numériques ne sauraient obéir à l’unidimentionnalité de la raison commerciale, fondée sur la recherche constante du plus grand profit immédiat des fournisseurs, au travers de fonctionnalités techniques qui se révèlent souvent inutiles et couteuse pour les clients-usagers.
    En un mot, nous défendons des  pratiques numériques intégrales, c’est-à-dire des pratiques qui prennent en compte la totalité de la personne.
  • L ‘homo informaticus a commencé à se répandre sur Terre dans les années 1990. Les hommes et les femmes qui en avaient les moyens financiers sont devenus les propriétaires individuels, pour leurs activités professionnelles, de loisirs ou de relations sociales, d’une série de matériels aux fonctionnalités évolutives : ordinateur non-portable, ordinateur portable, imprimante, scanner, liaison Internet, mails, téléphone portable devenu peu à peu, tout à la fois, une boîte mail, un appareil photo, une caméra, un écran de télévision, une console de jeux, une balises GPS mobile …
    Devant, et derrière les écrans, il y des hommes et des femmes,
    avec leurs formations, leurs connaissances, leurs savoirs-faire présents, leurs capacités à apprendre et à s’approprier les évolutions techniques à-venir.
    « L’informatique », quelles que soient les contraintes qu’elle exerce de façon grandissante sur l’espèce humaine, n’existe jamais naturellement comme un cadre  imposé, prétendant posséder la vie éternelle. Elle n’existe qu’au travers d’une anthropologie numérique, c’est-à-dire d’un ensemble de relations que les générations successives entretiennent avec « le numérique », monde de machines, de programmes, de langages, de besoins créés, de comportements  induits. Une génération.
    Depuis les années 1990, les enfants qui naissent sont des digital native, trouvant à leur naissance un ensemble des moyens numériques qui vont conditionner toute leur vie. Désormais, un enfant qui n’est pas encore né, a déjà une existence numérique dans les bases de données et sur les réseaux sociaux (examens médicaux, échographies …). Et les données numériques personnelles qui le concernant continueront à exister au-delà de sa mort.

  • LES OUTILS NUMÉRIQUES QUE NOTRE SITE EMPLOIE
    Pour ses relations avec ses lecteurs, notre média a utilisé depuis sa création en 2009, et jusqu’au 30 avril 2020, soit durant une dizaine d’années,  le Logiciel de Messagerie Électronique (LME) Roundcube pour envoyer et recevoir nos mails.
    Roundcube est un logiciel libre et gratuit. Nous en avons toujours été satisfaits. Sa dernière version 1.4.3 était proposée par la société OVH, qui est notre Hébergeur. Nous en sommes clients, et nous lui versons un abonnement annuel pour l’hébergement sécurisé qu’il assure à nos données.
  • DÉCISION UNILATÉRALE DE NOTRE HÉBERGEUR OVH
    OVH vient de nous imposer la migration de Roundcube vers Outlook. Cette opération  a été réalisée en catimini dans la nuit du 30 avril au 1ermai 2020.
    •   Roundcube est un logiciel libre gratuit.
    •   Outlook est un logiciel commercial payant.
    Jusqu’à ce jour, nous étions satisfaits des services de OVH. Cette confiance vient de s’écorner, d’autant qu’il n’a jamais été question de leur part, dans leur mails d’avertissement techniques et confus, peu intelligibles pour des usagers non professionnels, d’une migration de service vers un logiciel de nature pharaonique et dantesque dans sa version payante (par ce qu’Outlook Microsoft est d’abord un logiciel commercial), et qui est fourni dans une version allégée, peu maniable et peu satisfaisante. Sa migration apporte des modifications qui nécessitent l’intervention de professionnels de l’informatique.
  • UNE MIGRATION A UN MAUVAIS MOMENT
    Comme de très nombreux clients (privés ou professionnels) d’OVH , nous dénonçons très vivement l’abandon de Roundcube, qui intervient pour nous en ce 1er mai 2020, c’est-à-dire dans la période particulière de confinement Coronavirus Covid-19.
  • PROBLÈMES CAUSÉS PAR LE NOUVEAU OUTLOOK
    A ce jour Outlook nous pose de nombreux problèmes et nous ne disposons plus actuellement de la totalité des fonctionnalités antérieures. Nous sommes en train de consulter afin d’y remédier. Nous vous tiendrons informé.
    Cela nous prends beaucoup de temps pour simplement conserver la chaîne qui est au coeur de toute activité humaine, qu’elle soit professionnelle ou à but lucratif qui associe les quatre composantes essentielles   :
    1. Compétences individuelles et collectives,
    2. Moyens mis en oeuvre,
    3. Résultats.
    4. Durabilité/Évolution
  • PRÉCISION IMPORTANTE
    Il doit être précisé que les difficultés rencontrées présentement avec le logiciel de gestion des mails Outlook ne concernent en aucune façon les fonctionnalités du site http://savigny-avenir.info gérées sous WordPress. Celui-ci ne rencontre à ce jour aucune difficulté.

Bernard MÉRIGOT
Rédacteur en Chef

Pour bien nous comprendre :

  • Fournisseur d’accès Internet (FAI) : Free
    (Payant, avec abonnement payé mensuellement)
  • Hébergeur : OVH
    (Payant, avec abonnement payé annuellement)
  • Ancien Logiciel de Messagerie Électronique (LME) pour l’envoi et la réception de mails : Roundcube
    (Logiciel libre gratuit, librement choisi par l’utilisateur)
  • Nouveau Logiciel de Messagerie Electronique (LME ) pour l’envoi et la réception des Mails : Outlook Microsoft (créé en 1996).
    (Logiciel commercial imposé par l’hébergeur, gratuit dans sa version allégée mise à disposition, et payant dans sa version complète).
  • Système de Gestion de Contenus, SGC (Content Management System, CMS)  du site : WordPress
    (Logiciel gratuit, libre et en open source créé en 2003,  choisi par l’utilisateur. Il est à noter qu’il permet de nombreuses variations professionnelles originales dont la création et les paramétrages qui peuvent être effectués par des prestataires de service. Il est utilisé par 34% des sites http:// dans le monde en 2019).

Logo du logiciel de gestion de mails Outlook (2020)

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Information à nos lecteurs et correspondants. OVH change notre logiciel de mails Rouncube pour Outlook (Erratum)

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Coronavirus Covid-19. En quoi les recherches en Sciences humaines et sociales sont-elles utiles ? (EHESS)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°401, lundi 20 avril 2020

Depuis le mois de décembre 2019, le monde entier vit au rythme du « Coronavirus Covid-19 ». Le virus, après avoir quitté son foyer de Wuhan, en Chine, s’est propagé sur toute la planète, en Europe et en France. A partir de la décision de confinement des Français et des Françaises qui a été prise le 15 mars 2020, tout le monde s’est trouvé concerné dans sa vie quotidienne. Simultanément le « jour d’après de la pandémie » – et sa date incertaine – est devenu un fantasme plein d’espérances et de craintes.

École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH). Façade des locaux occupés temporairement à l’angle de l’ Avenue de France/Avenue Vincent Auriol, Paris 12e, durant les travaux de désamiantage du site du boulevard Raspail, Paris 6e, 19 mai 2016.
© Photographie Bernard Mérigot/CAD.

LA DOUBLE NATURE DES PANDÉMIES

Une pandémie possède une double nature. Elle est à la fois :

  • un révélateur des mécanismes silencieux,  jusque-là invisibles de nos sociétés : comme les pratiques de soins (Care),  les nouveaux comportements individuels et collectifs, les actes de solidarité inattendus,
  • un surgissement d’anormalités bruyantes, inquiétantes et douloureuses, comme la confrontation à la maladie et la mort collective.

La pandémie affecte des domaines aussi divers que le fonctionnement de la santé publique, la conception des services publics, les fins de vie solitaires, l’imbrication des économies mondiales, les relations entre les citoyens et les pouvoirs politiques, le rapport des hommes à l’égard de la nature, la transition écologique, le climat…

La pandémie est productive, selon un mode tragique, d’expériences vécues. Des hommes et des femmes, alors que rien ne les y a préparés, se trouvent confrontés à des situations extrêmes :

  • personnes âgées détenues à l’isolement dans des maisons de retraites, sans visites des membres de leur famille,
  • proches hospitalisés en soins intensifs, expatriés par TGV dans les lits de réanimation à l’autre bout de la France, voire à l’étranger, et passant plusieurs semaines dans la plus grande solitude,
  • parents décédés seuls, sans famille à leur côté, privés d’obsèques, privés de cérémonies, privés des rites religieux, conformes à leurs dernières volontés et aux voeux de leur famille,
  • arrêt brutal et total de toute activité professionnelle, ou presque,
  • confinement familial improvisé,
  • travail forcé sans masques, et sans protections, en contact avec des malades potentiels, et donc certains sont forcément infectés … (« Ca va être pour moi, ou je vais passer à côté ? C’est pour aujourd’hui ou c’est pour demain ? » …)

Il y a deux maladies, la maladie que l’on se représente, et la maladie que l’on vit. Tout le monde redécouvre que les pandémies sont un moteur constitutif de l’histoire de l’homme sur Terre : un virus inconnu apparaît et peut le faire disparaître de la surface du globe. Il ne peut échapper à personne que la pleine conscience de cette éventualité est d’une nature spirituelle, dans le sens que l’écologie intégrale lui donne.

D’innombrables questionnements se font jour.

  • Qu’est-ce qui sépare aujourd’hui la surinformation de la sous-information ? Question à laquelle il est difficile de répondre, tant la pression des comportements sociaux utilisant les techniques modernes, est forte.
  • Peut-il y avoir une autre alternative que : être un idiot utile, ou être un intelligent inutile ? Peut-on éviter les deux écueils extrêmes de ce paradoxe ? Rien n’est moins sûr. Ils sont à confronter à la dénonciation macronienne, politiquement perverse, établie entre les demi-experts et les faux-sachants. (1)
  • Comment trouver la bonne distance à l’égard de l’actualité, fabriquée à jets continus, par les médias et les réseaux sociaux ? Ainsi que le temps indispensable permettant d’accéder aux sources d’une libre réflexion critique ?
  • Peut-on être ni trop près, ni trop éloigné de la réalité ?
  • De libres opinions peuvent-elles aujourd’hui trouver une voie entre l’hyper-connexion et la déconnexion ?

Les médias mainstream, tout comme les réseaux sociaux, sont animés par un esprit très particulier, celui de la téléréalité, c’est-à-dire par une conception selon laquelle la réalité doit se plier à des scénarios déjà écrits. Pour aboutir à la réalisation d’un désir fou : celui d’accaparer l’attention et de dominer les cerveaux. En un mot, prendre des parts-de-marché à d’autres.
C’est pourquoi ils n’accordent leur attention aux travaux de recherches critiques en sciences sociales que sous la double condition que ceux-ci leur permettent de fabriquer une actualité extraordinaire, ou de construire des polémiques. Ce qui importe en définitive pour eux, c’est d’attirer les regards, d’épater la galerie. Autrement dit, de prendre des parts de marché que d’autres détiennent.

Une recherche véritable n’est jamais une polémique mais une confrontation fondée sur des concepts, des idées, des théories, des publications, des pratiques, des interrogations … portant précisément sur ces pratiques. Pourquoi n’obtient-elle qu’une place somme toute discrète, limitée, et contrainte ? Pourtant, les travaux de  la recherche universitaire en Sciences humaines et sociales sont à la disposition de tous. Un seul exemple, celui de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) de Paris – grand établissement d’enseignement supérieur français qui mène une mission publique – vient de publier sur le Coronavirus Covid-19, une Revue de presse des travaux de ses enseignants, de ses chercheurs, de ses étudiants. Le liste de ces contributions, qui est arrêtée à la date du 15 avril 2020, présente le plus grand intérêt. (Voir note n°5)

LES PATHOLOGIES DE LA MODERNITÉ

Christophe PROCHASSON, président de l’EHESS, écrit que la crise que nous traversons interroge bien des certitudes.

« Elle confirme le bien fondé de nombre de problématiques et de champs de recherche qui l’ont précédé :

  • rapport de nos sociétés au vivant et à la nature,
  • place des inégalités en leur sein,
  • rythmes, modalités et finalités de la mondialisation ».

Pour lui, elle constitue une redécouverte de la vulnérabilité de notre existence individuelle et collective, un « appel à la réflexion » sur la protection par le collectif vis-à-vis des pathologies de la modernité.

Il n’est pas anodin que la notion de virus soit devenue une métaphore. La fin du XXe siècle a inventé les virus informatiques à l’égard desquels sont élaborés, tant bien que mal, et le plus souvent avec retard, des parades à leurs attaques.

Les sociétés humaines en sont au même point : elles sont les  porteuses saines de virus mortels susceptibles, à tout moment, de décimer ses membres. Tout le monde découvre alors que  les moyens manquent pour mettre en oeuvre rapidement les parades efficaces.

On voit alors les pouvoirs publics se livrer à une surenchère d’aveux d’impuissance, offrant le spectacle d’errements aux lourdes conséquences. La ligne politique suivie par les administrations et le gouvernement, dans un premier temps de la pandémie au début du mois de mars 2020, consiste à se répandre sur les médias, les conférences de presse et les interviews,  afin de déclarer : « les masques respiratoires ne servent à rien » et que « les tests de dépistage sont inutiles »Les mêmes déclareront le contraire à la fin du même mois de mars.
Que s’est-il passé ? Ils ont tout simplement manifesté un symptôme de la modernité  selon lequel n’importe quelle parole officielle peut légitimement justifier, d’une façon véridique, n’importe quelle décision, ou absence de décision, en matière de santé publique.
La loi inverse est également vraie.

« Pas de masque pour l’instant. Pas de gel H.A. pour l’instant. Pas de gant pour l’instant. Pas de thermomètre pour l’instant.»
Porte d’entrée d’une Pharmacie. Savigny-sur-Orge (Essonne), 11 avril 2020. © Photographie Bernard Mérigot/CAD.

REGARDS DES SCIENCES SOCIALES
SUR LES ÉPIDÉMIES

  • Une épidémie attaque non seulement des corps physiques mais aussi les corps sociaux.
  • Une épidémie est une actrice de l’histoire et de la société.
  • Une épidémie matérialise des constructions sociales, politiques et économiques… d’ordinaire tacites, non-visibles, et non-dites.
  • Une épidémie ébranle les politiques de santé publique.
  • Une épidémie oblige les États à reconsidérer leurs rapports avec les populations.
  • Une épidémie crée sa propre temporalité. C’est elle qui donne le tempo.
  • Une épidémie travaille le temps des sociétés.
  • Une épidémie réactive des pratiques et des traditions anciennes (par exemple, la « mise en quarantaine »).
  • Une épidémie accélère les évolutions.
  • Une épidémie renforce les pratiques de contrôle confiées à la police (interpellations, justificatifs, amendes, contrôles des déplacements, contrôles des communications, surveillances par l’intelligence artificielle, reconnaissances faciales…).
  • Une épidémie produit un contrôle  les frontières.

CONCLUSION

Le virus est aussi une métaphore, une métaphore sociale, une métaphore mortelle. On ne peut penser le virus seul,  sans l’effet virus. Le mérite des auteurs associés à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) est de nous rappeler les vertus de la recherche collective pour la formation de la conscience individuelle critique.

Le fait social total est une notion de l’anthropologie et de la sociologie forgée par Marcel MAUSS (1872-1950). Dans son Essai sur le don (1923-1924), il s’en sert pour qualifier des faits qui « mettent en branle (…) la totalité de la société et de ses institutions ». Claude LÉVI-STRAUSS, dans son « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » (1949) en relève deux caractéristiques.

  • La première caractéristique du fait social total est qu’il concerne des situations où la société s’étudie dans son ensemble « par une décomposition, puis une recomposition du tout ». La remarque que l’on peut faire est que la limite de son application est celle des cas où une décomposition n’est suivie par aucune recomposition – ce qui arrive – et donc où la qualification de « total » ne peut pas être retenue.
  • La deuxième caractéristique du fait social total est de « concerner tous les membres d’une société et de dire quelque chose sur tous ces membres ».

Il écrit « Que le fait social soit total ne signifie pas seulement que tout ce qui est observé fait partie de l’observation ; mais aussi, et surtout, que dans une science où l’observateur est de même nature que son objet, l’observateur est lui-même une partie de son observation. » (p. 14) (3)

L’observateur porte son attention sur un monde dont il fait partie. Embarqué par un monde, qui est lui-même embarqué. Et, plutôt mal embarqué.

« Ce que je constate : ce sont les ravages actuels ; c’est la disparition effrayante des espèces vivantes, qu’elles soient végétales ou animales ; et le fait que du fait même de sa densité actuelle, l’espèce humaine vit sous une sorte de régime d’empoisonnement interne – si je puis dire – et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n’est pas un monde que j’aime ». (4)

Ainsi s’exprime Claude LÉVI-STRAUSS (1908-2009) en 2005, alors âgé de 97 ans. Il reprenait un propos déjà tenu en 1972 dans un entretien avec Jean-José MARCHAND, et en 1984 dans une émission de Bernard PIVOT. Il est demeuré toute sa vie « obsédé par la façon dont les sociétés humaines pouvaient se désintégrer ». (5)

Un premier phénomène : la disparition « effrayante » des espèces vivantes qui est perceptible à la conscience scientifique en 1972, soit il y a près d’un demi-siècle avant l’année 2020. Ce qui a pour conséquence de constituer pour l’espèce humaine « un régime d’empoisonnement interne ». Aujourd’hui, un second phénomène qui s’ajoute au premier déséquilibre (que personne ne s’est soucié d’arrêter véritablement ), c’est le mésusage par les hommes d’espèces animales non domestiques. Les chauves-souris et les pangolins en sont les malheureux acteurs.

En cette année 2020, la crise provoquée par le Coronavirus Covid-19 étend son empreinte sur les esprits et sur la vie collective, en constituant un agent infectieux comme opérateur psychique et social. Personne n’échappe à la double injonction qui se répète à son encontre  : « Ne pas l’attraper, ne pas le transmettre ».

La pandémie est un fait social total qui constitue un  régime d’empoisonnement du monde. Un empoisonnement par le monde.

Bernard MÉRIGOT

DOCUMENT

CINQ QUESTIONNEMENTS
POSÉS PAR LE CORONAVIRUS COVID-19

Les soixante-et-une contributions collectées ici par l’EHESS (arrêtées à la date du 15 avril 2020) peuvent être classées en cinq catégories :

  1. Les pandémies sont-elles un moteur de l’Histoire ?
  2. Pourquoi les pandémies sont-elles une menace  pour l’État et les gouvernements ? L’État et leurs admission peut-il survivre au péril des épidémies ?
  3. Pourquoi l’épidémie de coronavirus est-elle devenue un monde-en-soi ?
  4. Comment les sociétés sont-elles un reflet des maladies ?
  5. Qu’est-ce que les épidémies font à l’économie ?

Perspectives sur le Coronavirus Covid-19,
Carnet de l’École des Hautes Études et Sciences Sociales (EHESS), 17 avril 2020.
https://www.ehess.fr/fr/carnet

SOIXANTE CONTRIBUTIONS DES SCIENCES SOCIALES
A LA RECHERCHE SUR LA PANDÉMIE CORONAVIRUS COVID-19 (6)

1. LES PANDÉMIES SONT-ELLES UN MOTEUR DE L’HISTOIRE ?

2. POURQUOI LES ÉPIDÉMIES SONT-ELLES UNE MENACE POUR L’ÉTAT ?

3. L’ÉPIDÉMIE DE CORONAVIRUS CONSTITUE-T-ELLE « UN MONDE-EN-SOI »

4. COMMENT LES SOCIÉTÉS REFLÈTENT-ELLES LES MALADIES ?

5. QUE FONT LES ÉPIDÉMIES À L’ÉCONOMIE ?

RÉFÉRENCES

1. Emmanuel MACRON, président de la République, lors de son allocution radio télévisée du 15 mars 2020, distingue les « demi-experts » des « faux-sachants ». En ne citant aucun nom, il fait ici un usage polémique et politique, de nature allusive, d’une distinction qui sert à stigmatiser des individus qui pensent autre chose que la pensée exprimée par « l’État gouvernant »,  le seul seul en mesure d’exprimer – et donc d’imposer – des vraies parce que légitimes, condamnant toute autre pensée contraire, au motif qu’elle est dans l’erreur car émise par des individus ne possédant qu’une compétence incomplête (Demi-expert) et entachée de fausseté (Faux-sachants).
Peut-on accepter cette assimilation entre l’expertise et la science, fondée sur une évaluation partisane (demi-experts/100 % experts, et vrai-sachants/demi-sachants) ? Il est vraisemblable que lorsque qu’il sera procédé à l’examen indépendant et critique de la gestion de la crise (prenant en compte les temps de réponse du pouvoir politique, les suppressions du nombre de lits de réanimation, la gestion prévisionnelle des masques respiratoires et des assistances respiratoires…), on sera amené à procéder à une révision de l’auto-évaluation unilatérale effectuée par le pouvoir politique lui-même.

Voir l’article en ligne sur http://savigny-avenir.info

2. ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (EHESS), « Coronavirus : Regards de l’EHESS. Revue de Presse », https://www.ehess.fr/fr/%C3%A9chos-recherche/coronavirus-regards-lehess

3. LEVI-STRAUSS Claude, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in MAUSS Marcel, Sociologie et Anthropologie, PUF.

4. LÉVI-STRAUSS Claude, Campus. Émission spéciale pour la centième émission, France 2 Télévision, jeudi 17 février 2005. Laurent LEMIRE, rédacteur en chef.

5. LOYER Emmanuelle, Lévi-Strauss, A Biography, Polity, 2018. Traduction de par Ninon Vinsonneau et Jonathan Magidoff.

6. ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (EHESS), « Coronavirus : Regards de l’EHESS. Revue de Presse », https://www.ehess.fr/fr/%C3%A9chos-recherche/coronavirus-regards-lehess

Le Réseau national des Maisons des Sciences de l’Homme (RNMSH) fédère actuellement 23 Maisons des Sciences de l’Homme (MSH). Chacune remplit quatre missions essentielles :
http://reseau-msh.fr/

•   Mission de déploiement, afin d’ancrer territorialement les dispositifs nationaux et de les valoriser.
•   Mission de mutualisation, en proposant des services mutualisés d’appui à la recherche.
•   Mission d’incubation, en organisant autour une logique de transversalité entre les initiatives de recherche.
•   Mission de fédération pour atteindre un poids scientifique suffisant (leadership national et visibilité internationale), et pour animer et structurer la communauté scientifique en Sciences humaines et sociales.

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et la Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH). Façade des locaux occupés temporairement à l’angle de l’ Avenue de France/Avenue Vincent Auriol, Paris 12e, durant les travaux de désamiantage du site du boulevard Raspail, Paris, 19 mai 2016. © Photographie Bernard Mérigot/CAD.
  • « Pas de masque pour l’instant. Pas de gel H.A. pour l’instant. Pas de Gant pour l’instant. Pas de Thermomètre pour l’instant.» Porte d’entrée d’une Pharmacie. Savigny-sur-Orge (Essonne), 11 avril 2020. © Photographie Bernard Mérigot/CAD.
  • Perspectives sur le Coronavirus Covid-19, Carnet de l’École des Hautes Études et Sciences Sociales (EHESS), 17 avril 2020. https://www.ehess.fr/fr/carnet

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°401, lundi 20 avril 2020

COMMENTAIRE du 20 avril 2020

Sur l’indifférence collective concernant l’abandon des malades dans les hôpitaux et l’absence de cérémonie pour leur inhumation (Coronavirus Covid-19, mars-avril 2020)

Une question

  • « Comment avons-nous pu accepter, seulement au nom d’un risque qu’il n’était pas possible de préciser, que les personnes qui nous sont chères et les êtres humains en général non seulement meurent seuls – chose qui n’était jamais arrivée auparavant dans l’histoire, d’Antigone à aujourd’hui – mais que leurs cadavres soient brûlés sans funérailles ? »
    AGAMBEN Giorgio, « Une question », Lundi matin, n°329, 20 avril 2020. https://lundi.am/Une-question Traduction française de Florence BALIQUE. Texte original italien publié sur le site Quodlibet, le 13 avril 2020 :https://www.quodlibet.it/giorgio-agamben-una-domanda

Un témoignage

  • YON Mathieu, « Je ne vous pardonnerai pas. « Comment osons-nous pousser des caddies et abandonner nos morts ? », Lundi matin, n°239, 13 avril 2020. https://lundi.am/Je-ne-vous-pardonnerai-pas
  • YON Mathieu, « Rite funéraire. Je ne sais pas comment on en est arrivé là : mettre les morts dans des sacs plastiques », Lundi Matin, n° 238, 20 avril 2020. https://lundi.am/Rite-funeraire-3044
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