Emmanuel Macron pratique une présidence de la République « corporate »

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°316, lundi 3 septembre 2018

Quelle est la spécificité du « macronisme » ?

Poser cette question revient à s’interroger sur la marque personnelle qu’Emmanuel MACRON imprime depuis son élection en mai 2017 à la présidence de la République. C’est-à-dire à la façon – qui n’appartient qu’à lui – de conduire l’exercice de son pouvoir politique. Comment qualifier la nature profonde de la présidence de la République telle qu’il la pratique depuis un peu plus d’un an ? En quoi se distingue t-elle de celle de ses prédécesseurs qui se l’ont précédé depuis vingt ans : François HOLLANDE (2012-2017), Nicolas SARKOSY (2007-2012), Jacques CHIRAC (1995-2007) ?

Emmanuel MACRON est le réalisateur d’un feuilleton dont les derniers épisodes de la première moitié de l’année 2018 ont mis en lumière en direct devant les caméras, des personnages comme Jean-Louis BORLOO (rapporteur désavoué des banlieues), Alexandre BENALLA (policier supplétif au zèle débordant), Françoise NYSSEN (ministre de la culture et agrandisseuse de son patrimoine immobilier personnel), Nicolas HULOT (ministre de l’Écologie déçu et démissionnaire), Philippe BESSON (écrivain et consul inattendu), Stéphane BERN (missionnaire du patrimoine déçu)… Et quelques autres.

En haut à gauche, Alexandre BENALLA veille derrière Emmanuel MACRON. Congrès de l’Association des maires de France (AMF), Porte de Versailles, Paris, 17 novembre 2017. © Photographie de Bernard Mérigot / CAD.
Le 17 novembre 2017, date ou cette photographie a été prise, le grand public ignorait l’existence d’Alexandre BENALLA, chargé de la Sécurité à l’Élysée. Il faudra attendre le mois de juillet 2018 et les révélations du journal Le Monde pour découvrir ses activités : ce sera le point de départ de l’ « Affaire Benalla ».

Il existe un trait commun révélateur, celui des relations déceptives qu’Emmanuel MACRON provoque, chez ceux qui lui sont proches comme chez ceux qui l’ont soutenu pour être élu. Pour Luc ROUBAN, directeur de recherche au CNRS, une affaire comme celle d’Alexandre BENALLA, révèle deux choses :

  • l’existence de relations interpersonnelles fortes au sommet de l’État,
  • le contournement systématique des hiérarchies ordinaires.

Il cite comme preuve, ce fait : « Rien n’était plus significatif que de voir avec quels efforts et quelle colère rentrée certains fonctionnaires devaient témoigner en juillet 2018 devant les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale ou du Sénat ». Il en tire une conclusion : « On n’est donc ni dans le gaullisme ni dans le bonapartisme mais dans un mode « corporate » d’exercice du pouvoir, très concentré au sommet et très lointain pour le commun des mortels ou des élus. La politique privative se nourrit du modèle organisationnel des grands groupes privés. » (1)

En anglais, « to corporate », signifie « faire corps ». C’est dans ce sens que le mot désigne tout ce qui concerne l’entreprise. La « communication corporate » est la communication qui vise à promouvoir l’image de l’entreprise auprès de ses clients et de ses partenaires, les relations avec la presse, les relations publiques, l’évènementiel… Tout cela transforme, de façon volontaire, la présidence de la République française en agence de publicité dédiée à l’exercice du pouvoir. Est-ce quelque chose de nouveau ?

Le macronisme réinvente un vieux modèle, répond Luc ROUBAN. « Bon nombre de commentateurs ont retenu la dimension technocratique du macronisme en soulignant la verticalité du pouvoir et l’abandon des rêves de participation sur lesquels avait été bâti le parti politique Les Républicains En marche (LREM) auprès de militants souvent très déçus un an après l’élection présidentielle. »

LA POLITIQUE EST UN ROMAN

« Emmanuel MACRON et son épouse Brigitte MACRON sont tous deux des personnages de roman », nous révèle l’écrivain Philippe BESSON dans le livre qu’il consacre à la campagne électorale de l’élection présidentielle de 2017. (2) L’intrusion de la littérature dans  la politique n’a rien d’étonnant. Nous sommes toujours dans une perspective « corporate ». Elle fait partie d’un storytelling, d’une « mise en récit » pour reprendre la notion étudiée par Christian SALMON, dans son livre dont le sous-titre était « La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits » (3).  Un récit  fictionnel présenté aux médias, puis diffusé par eux, pour l’édification des citoyens français.

La nomination par Emmanuel MACRON de Philippe BESSON au poste de Consul général de France à San Francisco, le 30 août 2018, permet de constater la continuité qui existe entre la littérature et la diplomatie. Désormais, on peut dire : « Philippe BESSON est un personnage de la diplomatie, un héros des ambassades,  un missionnaire des Affaires étrangères ».
A partir du moment ou l’on considère que la politique est un roman, et les hommes politique des personnages de roman, on doit s’interroger afin de savoir qui est le romancier qui écrit l’histoire.
Philippe BESSON écrit un livre sur la vie d’Emmanuel MACRON et tant que personnage de roman de l’histoire de la nation française. Dans le même temps, en l’espace de moins d’une année, Emmanuel MACRON écrit la vie de Philippe BESSON en faisant de lui un personnage de la diplomatie de la République française. Si la présidence de la République était une chanson, ce serait Ma petite entreprise, c’est-à-dire une entreprise de création romanesque pour personnages réels. Alain BASHUNG, dans sa chanson de 2014, a tout dit : « Ma petite entreprise, Connaît pas la crise, Épanouie elle exhibe, Des trésors satinés, Dorés à souhait ». (4)

LA POLITIQUE, LE PÉCHÉ DE LA POÉSIE

« Est-il possible de parler de la politique comme d’un « péché de la poésie ? », interrogeait Charles MAURRAS dans l’article qu’il consacre à « Dante et Mistral » en 1941. Il rappelait que tous les grands poètes ont fait de la politique et ont dû détourner la sentence qu’Aristote a rendue en faveur de la philosophie : « S’il faut politiquer, il faut politiquer. Et s’il ne faut pas politiquer, il faut politiquer encore. (5) Politiquer, c’est ici, comme nous l’indique le Trésor de la langue française « s’intéresser à la politique, raisonner à des questions politiques, parler de politique, s’occuper de politique, faire de la politique ».

On savait avec Max WEBER que la politique était un métier qui suppose une vocation. (6) Cela a une conséquence : l’exercice du pouvoir s’exerce dans la politique de la même façon que dans une entreprise. Et tant pis pour la poésie.

RÉFÉRENCES

1. ROUBAN Luc, « Le macronisme, ou la privatisation du politique », The Conversation, 31 août 2018, https://theconversation.com/le-macronisme-ou-la-privatisation-du-politique-102376
ROUBAN Luc
,
Le paradoxe du macronisme, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Nouveaux débats », 2018, 176 p., ISBN : 978-2-7246-2300-0.
Luc ROUBAN est directeur de recherche au CNRS.

2. BESSON Philippe, Un personnage de roman, Julliard, 2017.

3. SALMON Christian, Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2007, 240 p.

4. BASHUNG Alain, « Ma petite entreprise », chanson, 1994.

« Ma petite entreprise
Connaît pas la crise
Épanouie elle exhibe
Des trésors satinés
Dorés à souhait ».

5. MAURRAS Charles, « Dante et Mistral », Nouvelle Revue universelle, 25 octobre 1941.
MAURRAS Charles,
« Dante et Mistral », Poésie et vérité, H. Lardanchet Éditeur, 1944, p. 240. Texte complet de l’article en pdf : http://maurras.net/textes/76.html

6. WEBER, Max, « Politik als Beruf », Conférence prononcée à l’Université de Munich, 1919.
WEBER Max, « Le métier et la vocation d’homme politique » (Politik als Beruf), in Le Savant et le politique, Plon, 1959. Traduction de Julien FREUND. Préface de Raymond ARON.
Voir :
MERIGOT Bernard,  « Le quand même ! » critère de la vocation politique (Max Weber) », 1er août 2011,

LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS

  • En haut à gauche, Alexandre BENALLA veille derrière Emmanuel MACRON. Congrès de l’Association des maires de France (AMF), Porte de Versailles, Paris, 17 novembre 2017. © Photographie de Bernard Mérigot / CAD.
    Le 17 novembre 2017, le grand public ignorait l’existence d’Alexandre BENALLA, chargé de la Sécurité à l’Élysée. Il faudra attendre le mois de juin 2018 et les révélations pour découvrir ses activités : ce sera le point de départ de l’ Affaire Benalla.

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