Savigny-sur-Orge. Blocage de l’entrée du Lycée Jean-Baptiste Corot contre ParcourSup et la sélection

« Non à la sélection » peut-on lire sur les tracts distribués ce mardi 22 mai 2018 devant l’entrée du Lycée Jean-Baptiste Corot, à Savigny-sur-Orge. On ne rentre pas. Les élèves des classes de terminale protestent contre la procédure par Internet de « ParcourSup » mise en place – dans l’urgence – par le ministère de l’Éducation nationale pour la rentrée de l’année universitaire 2018-2019. Banderoles, pétards et mégaphone.

« Non à la sélection à l’université ». Manifestation d’élèves de classes terminales contre ParcourSup, bloquant l’entrée du Lycée Jean-Baptiste Corot à Savigny-sur-Orge (Essonne) le mardi 22 mai 2018. © Photographie CAD/BM, 2018.

LIBRE CHOIX OU CHOIX IMPOSÉ ?

« ParcourSup réduit à dix le nombre de voeux formulés par les élèves de terminale pour la prochaine rentrée »,  précise un lycéen. « Cela permet aux universités de nous sélectionner sur dossier à partir de critères précis : lycée fréquenté, filière, notes, avis du conseil de classe, lettre de motivation, activités extra-scolaires… ». Une forme de discrimination redoutée par les élèves et par leurs parents, aggravée par la crainte que, du fait du nombre de places insuffisantes, des élèves ne soient acceptés nulle part dans l’enseignement public.

La manifestation de protestation des lycéens ne déroge pas à la règle des manifestations : elle occupe un espace public qui est lui-même toujours occupé par des « objets urbains », par des mobiliers, par des matériaux. Peut-on alors s’étonner qu’ils servent à ériger d’éphémères barricades ? Ici des barrières ont été déplacées et empilées sur la chaussée.

Barricade éphémère, érigée Place Davout à Savigny-sur-Orge (Essonne). Manifestation d’élèves de classes terminales du Lycée Jean-Baptiste Corot, mardi 22 mai 2018 contre la sélection à l’université. © Photographie CAD/BM, 2018.

Qu’est-ce qu’une « manifestation » ? Noëlle GÉRÔME en donne la définition suivante : une manifestation est une « subversion de l’espace public » (1), le plus souvent urbain, par un groupe, qui s’en sert comme un théâtre, un lieu de discours, de mise en scène, voire de chorégraphie, imposé au public, aux habitants, aux passants. Ceux-ci en deviennent à la fois les témoins et les acteurs d’un évènement auquel ils participent, même à leur insu, même marginalement, du simple fait de leur « être-là ».

« La force d’imposition du discours réside dans la démonstration de l’ampleur, de la force, et de la cohésion des manifestants ». Les médias, dont la présence est à la fois désirée (« il ne sont pas là », « ils n’en parleront pas ») et redoutée (« ils ne seront pas objectifs », « ils déformeront ce qui se passe »), en sont des spectateurs privilégiés. Évidemment, ils ne prennent pas de photos, ou bien ils ne filment pas. Qu’est-ce qu’ils vont faire des photos ? Paradoxalement, la question du « on va me reconnaître » est toujours d’actualité, bien que l’on soit à une époque où un nombre d’images, sans en augmentation, circulent sur les réseaux du monde entier du Facebook et de Snapchat et Instagram, avec tous les algorithmes de reconnaissance faciale (mais aussi vocale) imaginables…

Une manifestation constitue toujours à un état paroxystique d’un groupe ou d’une partie de la société. Elle prend parti, elle est toujours « contre quelque chose ou quelqu’un », ou bien « pour le soutien d’une cause ou de quelqu’un ». Elle se distingue d’un simple défilé d’autocélébration : elle proteste contre une décision autoritaire, une situation ou un problème social qui est insupportable.

LE SECRET  ET L’ANGOISSE DEMEURENT

« ParcourSup » est nouvelle procédure d’inscription des élèves des classes terminales des lycées, au lendemain de leur obtention du baccalauréat. Elle est mise en place pour la première fois en ce printemps 2018. C’est un mécanisme complexe dont l’algorithme était jalousement jusqu’à présent gardé secret. Tout naturellement il a suscité – et continue de susciter – les légitimes inquiétudes des élèves, des parents et des enseignants.

Le ministère de l’Éducation nationale, contraint et forcé, vient seulement de publier aujourd’hui même le 22 mai 2018 – en urgence – une partie de l’algorithme qui effectue le choix des élèves et décide leur affectation. Il était temps. Mais cela ne règle rien.

« Le code informatique de la plate-forme d’admission Parcoursup a été rendu public, lundi 21 mai 2018, mais les algorithmes locaux élaborés par les universités restent, eux, secrets. » (2)

Nous sommes passés :

  • de 100% secret,
  • à 50% public + 50 % secret.

C’est insuffisant. La démocratie, et les règles existantes en matière de libre accès aux documents publics, exige que les 50% qui demeurent secrets soient rendus publics. le plus rapidement L’argument selon lequel les universités appartiendraient à un autre monde, et que donc elles ne dépendraient pas du ministère de l’Éducation nationale, constitue une violence d’État faite aux citoyens (VEFAC).

« Non à la sélection ». Banderole peinte. Manifestation d’élèves de classes terminales contre ParcourSup, Lycée Jean-Baptiste Corot à Savigny-sur-Orge (Essonne) le mardi 22 mai 2018. © Photographie CAD/BM, 2018.

La sélection est présentée habituellement comme un mal nécessaire qui serait un remède au nombre d’abandons d’étude avant l’obtention d’un diplôme.  Cette argumentation est dangereuse. Ce qui rend la sélection intolérable, c’est son caractère algorithmique secret.

RÉFÉRENCES

1. GÉRÔME Noëlle, « Une ethnographie des manifestations ou une anthropologie culturelle du politique ? », L’ethnologie et les manifestations. Congrès de l’Association Française de Sciences Politiques, 1988, Bordeaux. Association Française de Sciences Politiques. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00470028

2. LE NEVÉ Soazig, « Le ministère de l’enseignement supérieur dévoile l’algorithme principal de Parcoursup », Le Monde, 22 mai 2018.  http://mobile.lemonde.fr/campus/article/2018/05/21/le-ministere-de-l-enseignement-superieur-devoile-l-algorithme-principal-de-parcoursup_5302387_4401467.html?xtref=

LÉGENDES DES PHOTOGRAPHIES

  • « Non à la sélection à l’université ». Manifestation d’élèves de classes terminales contre ParcourSup, bloquant l’entrée du Lycée Jean-Baptiste Corot à Savigny-sur-Orge (Essonne) le mardi 22 mai 2018. © Photographie CAD/BM, 2018.
  • Barricade éphémère érigée Place Davout à Savigny-sur-Orge (Essonne).  Manifestation d’élèves de classes terminales du Lycée Jean-Baptiste Corot à Savigny-sur-Orge (Essonne) le mardi 22 mai 2018 contre la sélection à l’université. © Photographie CAD/BM, 2018.
  • « Non à la sélection ». Banderole peinte. Manifestation d’élèves de classes terminales contre ParcourSup, Lycée Jean-Baptiste Corot à Savigny-sur-Orge (Essonne) le mardi 22 mai 2018. © Photographie CAD/BM, 2018.

DOCUMENT

SAVIGNY-SUR-ORGE. AU LYCÉE COROT
ON VISE LA REPRISE EN SEPTEMBRE

Débrayage des lycéens de Corot, le 31 mai 2018 au matin (JM/EI)
Quatrième et ultime débrayage ‎des lycéens de Corot à Savigny-sur-Orge, ce jeudi 31 mai. Malgré l’approche du bac, la colère ne retombe pas chez les opposants à la réforme d’accès à l’enseignement supérieur.
Tam-tam, banderoles, slogans criés sous les grilles d’entrée du lycée : les ingrédients sont une nouvelle fois bien réunis ce jeudi 31 mai à Savigny-sur-Orge. Une partie des lycéens de Corot répondent à l’appel à une journée de colère dans les lycées. Pas de blocus complet de leur établissement en cette matinée, la direction ayant pris les devants. Plusieurs classes ont donc accédé ‎à l’intérieur des lieux, mais une centaine de jeunes gens sont rassemblés sur le parvis du lycée et la place Davout.
Ils sont rejoints ce jour-là par quelques lycéens de Vilgenis à Massy, arrivés en RER. Il faut dire qu’il s’agit de la quatrième action organisée par les lycéens cette année. Le 22 mai, ceux-ci avaient suivi l’appel à la mobilisation, en organisant un blocus le matin avant pour certains, de rejoindre la manifestation parisienne.
Pour l’occasion, plusieurs élèves de Terminale ont édité un tract au titre puissant : « Soulève ta banlieue ! ». Après les premiers résultats donnés par Parcoursup, « de nombreux lycéens et lycéennes la banlieue se retrouvent dans une situation inacceptable » est-il écrit. Entre les refus et l’attente « interminable et angoissante » des postulants à l’enseignement supérieur, ces lycéens sont révoltés face à ce qu’ils appellent « un nouveau moyen utilisé pour renforcer le tri social dont les banlieues sont les premières victimes ». Pas question pour eux d’accepter « un système de sélection à l’université » qui ne sert qu’à combler « le manque de place dans les facs ».
« Vidal (la ministre) nous dit qu’il n’y a pas de problème, mais dans ma classe il y en a encore 13 en listes d’attente » illustre Maya, en Terminale S à Corot. Pour Jossana, en Littéraire, « ces ‘en attente’, c’est des ‘non’ cachés ». Toutes deux regrettent que les pouvoirs publics n’aient pas pris en compte l’augmentation attendue du nombre de jeunes dans les études supérieures : « le gros problème, c’est qu’il n’y a pas de place pour ceux qui arrivent. Il y a eu le baby-boom des années 2000, ils n’ont rien prévu ».
Une jeunesse mobilisée et réprimée
En cette fin d’année scolaire, la manière dont a été traité leur mouvement laisse un goût amer chez ces lycéens. « Macron dit qu’il fait une politique pour les jeunes générations, c’est des paroles en l’air, la seule chose qu’il fait c’est nous gazer » : le ton est donné au fur et à mesure que la discussion embraye sur les semaines de mouvement des lycéens ; dont certains ont participé à des rassemblements voire des occupations parisiennes. Louise, lycéenne à Pagnol (Athis) et présente ce jeudi devant Corot, parle d’une « répression démesurée » subie par ses camarades et elle. Elle n’hésite ainsi pas à faire le lien entre « la violence contre les mouvements sociaux » et « celles dont sont victimes les habitants de banlieue« Sur le sol, un graffiti rappelle la mort tragique d’un jeune de Massy l’an dernier, demandant toujours « Vérité pour Curtis ».
Le cas des 100 lycéens conduits 48 heures en garde-à-vue pour un début d’occupation du lycée Arago à Paris, a également laissé des traces. « C’est une répression de fou, c’est purement scandaleux ce qui leur est arrivé, c’était de vraies humiliations » s’indigne une autre lycéenne. Sa voisine déplore que parmi les lycéens de Corot montés à la manifestation parisienne du 22 mai, « une jeune qui faisait sa première manif s’est pris une grenade dans la jambe et a boité deux jours ». Une succession de témoignages qui fait dire à Maya, en préparation du bac S : « on fait tout pour que les élèves d’ici se sentent inférieurs ».
Cette journée d’action sera néanmoins la dernière de l’année, selon les lycéens mobilisés. « On arrête car le bac commence » expliquent deux Terminales, tout en annonçant la couleur, à côté de leurs camarades : « mais on espère que les Secondes et les Premières vont prendre la relève dès septembre, car il faut continuer à se battre contre cette sélection à la fac ». Certains à coté acquiescent du regard.
RÉFÉRENCE DU DOCUMENT
MONIER Julien, « Savigny-sur-Orge. Au lycée Corot, on vise la reprise du mouvement en septembre », Essonne-Info. 6 juin 2018. https://www.essonneinfo.fr/91-essonne-info/122486/lycee-corot-on-vise-reprise-mouvement-septembre/
Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info.
ISSN 2261-1819 BNF. Dépôt légal du numérique, 2018

Le site est supporté par une structure associative et collaborative, le Groupe Mieux Aborder L’Avenir (MALA). Tous les articles en ligne sont librement consultables dans leur totalité.

Référence du présent document : http://www.savigny-avenir.fr/2018/05/22/savigny-sur-orge-blocage-de-lentree-du-lycee-jean-baptiste-corot-contre-parcoursup-et-la-selection/?preview=true&preview_id=23465&preview_nonce=5b2cce683b
This entry was posted in Élèves de Terminale, Lycée Jean-Baptiste Corot, Manifestation, Savigny-sur-Orge, Sélection à l'entrée de l'université. Bookmark the permalink.

Comments are closed.