Après l’abandon définitif du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Faut-il croire aux referendums locaux ?

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°284, lundi 22 janvier 2018

Le 17 janvier 2018, le Premier ministre Édouard Philippe annonce l’abandon officiel du projet d’aéroport international de Notre-Dame-des-Landes. Une décision qui produit deux effets.

  • D’une part, elle satisfait des centaines d’agriculteurs, des militants écologistes occupant les terrains de ce qui devenu une « Zone à défendre » (ZAD), d’habitants et d’associations qui étaient opposés à la construction de ce nouvel aéroport.
  • D’autre part elle surprend les 472 575 électeurs de Loire-Atlantique (soit 55,17%) qui ont voté «oui» à la construction de l’aéroport lors du référendum du 26 juin 2016, et qui voient le projet définitivement abandonné.

La décision prise par le président de la République Emmanuel MACRON pose de nombreuses questions sur l’opposition radicale qui existe entre les d’une part les décisions imposées par l’État, et d’autre part les mobilisations, les débats et les consultations citoyennes locales. Qui doit l’emporter ? Et qui l’emporte ?

  • Cette décision met-elle un point final à près d’un demi-siècle de controverses (1978-2018) concernant la construction d’un aéroport ?
  • Quel crédit doit-on accorder au résultat d’un référendum local – organisé par le Gouvernement – et qui a approuvé  cette construction ?
  • Un referendum peut-il être « mauvais » ?
  • Qu’est-ce que l’intérêt général ? Qu’est-ce que l’intérêt local ?

L’aéroport Nantes Atlantique (l’aéroport de Château-Bougon), voit son avenir assuré après l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes le 17 janvier 2018. © Photographie prise le 26 octobre 2014. © Photographie de Bernard Mérigot / CAD.

NOTRE-DAME-DES -LANDES
GRAND PROJET INUTILE IMPOSÉ

L’expression de « grands travaux inutiles » (GTI) est apparu dans les années 1980 pour désigner des réalisations d’infrastructures qui, une fois réalisées, se sont révélées inutiles, soit d’un point de vue économique, soit d’un point de vue écologique. Elle est utilisée pour la première fois par un journaliste belge, Jean-Claude DEFOSSÉ, dans une émission de la Radio télévision belge de francophone (RTBF), puis dans un livre intitulé Le petit guide des Grands travaux inutiles publié en 1990. (1)

Dans les années 2010, une autre expression apparaît à son tour, celle de « grand projet inutile ». Cette expression, désigne de grands chantiers qui ont fait l’objet de couteuses études préalables, et qui soit n’ont jamais été engagés, soit sont demeurés inachevés, soit encore qui une fois terminés n’ont jamais été utilisés. (2) Des exemples existent dans le monde entier.

En France, à partir des années 2010, le projet d’aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des Landes est devenu un symbole des projets jugés par les militants écologistes « inutiles » et « imposés », au même titre que le Barrage de Sivens, la Ferme des Mille vaches ou la ligne ferroviaire Lyon-Turin. Le projet d’Autoroute ferroviaire atlantique (AFA) proposé en 2015 en a été un autre exemple. (3)

RETOUR A LA CASE-DÉPART

L’ « Aéroport de Notre-Dame-des-Landes » ne verra pas le jour. Il demeurera le nom du projet de construction d’un aéroport international situé à 40 kilomètres au nord-ouest de Nantes, dans les cinq communes de Notre-Dame-des-Landes, Vigneux-de-Bretagne, Fay-de-Bretagne, Grandchamps-des-Fontaines et Treillères en Loire-Atlantique. Apparu dans les années 1960 dans la perspective d’accueillir les vols commerciaux de l’aéroport de Nantes-Atlantique il devait à terme de le remplacer. Ce dossier demeurera dans l’histoire comme un exemple de grand projet imposé inutile .

Quand à l’aéroport de Nantes-Atlantique, précédemment nommé aéroport de Nantes-Château Bougon, situé au sud-ouest de Nantes sur le territoire des communes de Bouguenais et Saint-Aignan-Granlieu il demeure. C’est aujourd’hui le deuxième aéroport le plus important de l’ouest de la France. Il génère environ 2 200 emplois directs. En 2017, l’aéroport de Nantes-Atlantique a accueilli 5 490 000 voyageurs.

Faisons un retour dans le passé.

LE REFERENDUM LOCAL

Le dimanche 26 juin 2016 un référendum local a été organisé auprès des 966 016 électeurs des 212 communes du département de Loire-Atlantique. La question posée est la suivante : « Êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? »

Les résultats sont les suivants :

  • Inscrits : 966 016
  • Votants : 493 481 (%)
  • Vote blancs : 3 112
  • Votes nuls : 2 851
  • Oui : 55,17 %
  • Non : 44,83 %
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Pour ou contre le transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? Résultats du referendum du 26 juin 2016. « Les communes qui ont le plus voté «Oui» (En bleu). Les communes qui ont le plus voté «Non» (En rouge) ». Carte publiée dans Ouest-France, 27 juin 2016, page 7.

UN VERDICT DES URNES…
QUI DEMEURE AUX MAINS DE L’ÉTAT

Manuel VALLS, Premier ministre déclare au soir du référendum approuvant l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le 26 juin 2016 : « La démocratie a parlé. Elle a validé le projet de transfert d’aéroport déclaré d’utilité publique en 2008 tranchant définitivement le débat sur l’opportunité de ce transfert ».

Il fixe également le calendrier de ce transfert. « Le gouvernement fera appliquer le verdict des urnes. Les travaux préparatoires à la réalisation du nouvel aéroport s’engageront dès l’automne prochain, dans le plein respect des réglementations nationale et européenne. »

Enfin, il s’adresse aux Zadistes, qui occupent les terrains et qui ont fait savoir qu’ils n’avaient pas l’intention de libérer les lieux, « Les personnes qui occupent illégalement le site du nouvel aéroport devront partir d’ici le début des travaux. L’autorité de l’État et les lois de la République s’appliqueront à Notre-Dame-des-Landes comme partout ailleurs dans le pays. »

Manuel VALLS (PS) demeure Premier ministre jusqu’en décembre 2016. Bernard CAZENEUVE (PS) lui succède. Ni Manuel VALLS (PS), ni Bernard CAZENEUVE (PS), ni François HOLLANDE (PS), qui demeure président de la République jusqu’en mai 2017, ne feront appliquer « le verdict des urnes ».

Emmanuel MACRON est élu président de la République en mai 2017. Le 17 janvier 2018, il prend la décision d’annuler le projet d’aéroport de Notre-Dame-des Landes. TRois questions se posent :

  • sur les referendums locaux et sur leur nature particulière,
  • sur les territoires imaginaires d’opinion qu’ils créent,
  • sur les opinions territorialisées qui s’y expriment.

Enfin sur le destin improbable du « verdict des urnes », partagé entre deux états, « l’État qui dit qu’il va faire » et « l’État qui fait », entre le citoyen qui vote et le citoyen qui manifeste. En l’occurrence, c’est le zadiste qui a emporté la décision.

TERRITOIRES D’OPINION
ET OPINION TERRITORIALISÉE

L’opinion sur le sujet d’un scrutin s’exprime par le biais des votes enregistrés dans des bureaux de vote (une école, une salle municipale…) qui sont tous territorialisés. Il est à noter que cette situation peut changer à l’avenir : on peut imaginer aujourd’hui, par des moyens numériques (des « télévotes »), d’autres procédures d’enregistrement des votes qui échappent à cette localisation.

Un referendum est un mode de vote particulier. Il n’a pas pour objet avoué de désigner un candidat parmi plusieurs. Il a pour objet ici de permettre à l’électeur de dire s’il approuve ou désapprouve un équipement localisé. L’opinion manifestée par les électeurs au moment où ils votent

  • un referendum général a pour fonction de créer un espace global, le plus vaste possible, au sein duquel se manifeste un consensus majoritaire. C’est une production territoriale de nature symbolique.
  • un référendum local a pour fonction de créer un espace atomisé prenant en compte des particularismes. Il morcelle l’espace global en une série d’unités qui s’opposent. C’est une production territoriale de nature imaginaire.

Le référendum local concernant Notre-Dame-des-Landes avait une mission impossible à remplir. Comment des différences peuvent-elles se fondre dans une similitude ? Il a concerné les seuls citoyens du département de Loire-Atlantique. Pourquoi eux seuls ? Le projet d’aéroport concernait aussi les citoyens du département de la Vendée : ils ont été exclus de ce scrutin.

Les votes une fois comptabilisés, permettent diverses représentations des résultats, notamment de produire une cartographie des votes « oui » et des votes « non ». Dans le cas du referendum local nous sommes en présence d’une situation paradoxale. Le vote qui est toujours localisé, portant sur une question localisée, ne vise pas à créer un espace total. Tout au contraire, il morcelle cet espace en une série d’unités qui s’opposent.

  • Plus les citoyens sont proches du lieu de construction de l’aéroport (plus-value de la valeur des terrains, créations d’emplois, recettes nouvelles pour les collectivités…) plus ils sont favorables au projet.
  • Plus les citoyens-électeurs sont éloignés du lieu, plus ils sont réservés à l’égard de cette construction.

Le referendum n’a rien réglé parce qu’il a été instrumentalisé dès l’origine par le pouvoir politique. On dit que François HOLLANDE, président de la République espérait une majorité de non. La majorité de « oui » une fois acquise, celle-ci est devenue embarrassante. Pour lui, et pour son successeur Emmanuel MACRON.

LE REFERENDUM N’EST PAS UN OBJET DÉMOCRATIQUE
C’EST UN OBJET POLITIQUE

Le referendum est un mode de vote qui consiste à répondre à une question par « Oui » ou par « Non ». Censé exprimer l’opinion majoritaire des électeurs, il s’avère être un outil démocratique complexe : Quelle question est posée ? Qui vote ? Tient-on compte des abstentions ? Et enfin, que fait-on du résultat ?

L’ABSENCE DE SOLUTION
EST-ELLE UNE SOLUTION AUX PROBLÈMES ?

François HOLLANDE a une proximité territoriale avec l’ancien président du Conseil Henri QUEUILLE (1844-1970), l’un et l’autre ayant été tous les deux députés et présidents du conseil général de Corrèze. On prête à Henri QUEUILLE la phrase fameuse « Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre ».

Il y a dans le dossier d’État de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes – comme dans tous les dossiers des grands projets inutiles – une difficulté à lier temporellement décision/absence de solution et solution/absence de solution. Les solutions sont-elle des effets algorithmiques de  décisions ?

La question interroge au plus profond l’acte politique dans l’utilité qui le légitime.

RÉFÉRENCES

1. DEFOSSÉ Jean-Claude, Le petit guide des Grands travaux inutiles, Bruxelles, Paul Legrain et RTBF Éditeurs, 1990, 346 p.

2. CAMILLE (Collectif de rédaction), Le Petit Livre noir des grands projets inutiles, Éditions Le Passager clandestin, 2013. ISBN 978-2-36935-002-6. Réédition 2015. ISBN 978-2-36935-002-6.

3. Sur le projet d’Autoroute ferroviaire atlantique (AFA), voir l’article en ligne :

LÉGENDE DES ILLUSTRATIONS

  • L’aéroport Nantes Atlantique (l’aéroport de Château-Bougon) voit son avenir assuré après l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes le 17 janvier 2018. © Photographie prise le 26 octobre 2014. © Photographie de Bernard Mérigot / CAD.
  • Pour ou contre le transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ?  Résultats du referendum du 26 juin 2016. « Les communes qui ont le plus voté «Oui» (En bleu). Les communes qui ont le plus voté «Non» (En rouge) ». Carte publiée dans Ouest-France, 27 juin 2016, page 7.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°284, lundi 22 janvier 2018

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Référence du présent article : http://www.savigny-avenir.fr/2018/01/22/apres-labandon-definitif-du-projet-daeroport-de-notre-dame-des-landes-faut-il-croire-aux-referendums-locaux/

 

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