Sécurité et prévention. Faut-il avoir peur des dispositifs de participation citoyenne et de « surveillance de voisinage » et de « voisins vigilants » ?

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°256, lundi 10 juillet 2017

Les politiques publiques de sécurité et de prévention peuvent-elles être conduites sans les citoyens ? La question doit être posée en interrogeant les critiques qui sont périodiquement adressées aux dispositifs de participation citoyenne dans le domaine de la surveillance de voisinage, et de ce que l’on nomme les « voisins vigilants ».
Pourquoi des démarches citoyennes, qui existent dans des pays étrangers, sont-elles reçues en France de deux façons extrêmes et diamétralement opposées : soit comme des réponses de nature à résoudre de façon définitive toutes les insécurités, les incivilités et les dégradations portées contre le « vivre ensemble » ; soit comme de graves atteintes aux libertés, annonciatrices d’une société totalitaire ? Certains y voient même une « remise en cause du contrat social, de la confiance dans les services publics, et finalement de l’état de droit ».
(1) 

« Pour un engagement solidaire. Participation citoyenne. »,
Dépliant de la Gendarmerie nationale, 2015, p.2.

UN DISPOSITIF DE PARTICIPATION CITOYENNE

Comme la Police nationale, la Gendarmerie nationale a développé des dispositifs de participation citoyenne. On peut lire le texte de présentation suivante :

« Instaurer pour la première fois en 206, la démarche de participation citoyenne consiste à sensibiliser les habitants d’une commune ou d’un quartier en les associant à la protection de leur environnement.
Mise en place dans les secteurs touchés par les cambriolages et les incivilités, ce dispositif encourage la population à adopter une attitude vigilante et solidaire ainsi qu’a informer les forces de l’ordre de tout fait particulier.
Il n’a pas vocation à se substituer à l’action de la gendarmerie.
Il complète les autres actions de prévention de la délinquance susceptibles d’être conduites au sein de la commune (opération tranquillité séniors, réunions de sensibilisation, développement de la vidéoprotection…). (2)

QUE LA LOI SOIT APPLIQUÉE

Le programme national de surveillance du voisinage (National Neighborhood Watch Program) est un programme de surveillance de quartier créé aux États-Unis en 1972 qui a succédé à USA on Watch développé dans les années 1960. Il consiste à aider les citoyens et les forces de l’ordre pour la prévention des crimes dans les zones résidentielles. En 2002, ses missions se sont élargies pour aider et préparer les quartiers pour les catastrophes et les interventions d’urgence.

Il s’est constitué à partir d’un double fondement :

  • la conviction – enracinée – que ce sont les citoyens qui ont construit la nation américaine, et
  • la certitude que cette construction collective ne peut perdurer sans que cette participation active se poursuive.

« Chaque jour, nous rencontrons des situations qui attendent de nous d’être « des yeux et des oreilles » pour que la loi soit appliquée ». Pour ses responsables une pratique de veille dans un quartier apporte deux choses aux citoyens :

  • d’une part, une aide pour lutter contre le crime, et
  • d’autre part, une aide pour se lier par des échanges réciproques de services.

« Le programme de surveillance de quartier s’appuie sur la compassion des citoyens en leur demandant de prêter attention à leurs voisins ». Un portail (https://www.nnw.org/) apporte à ses membres assistances techniques, documents, réseaux et interventions sur le terrain.

Ces dispositifs locaux doivent être replacés dans un cadre territorial général.

QUELLE STRATÉGIE TERRITORIALE DE SÉCURITÉ ?

Qu’est-ce qu’une stratégie territoriale de sécurité ? C’est une démarche d’étude, d’enquête et d’expertise qui a pour objectif de structurer et de valoriser l’action locale en matière de prévention de la délinquance. Les administrations et les exécutifs peuvent anticiper les évolutions sécuritaires d’un territoire en utilisant plusieurs instruments, dont : le Diagnostic local de sécurité (DLS), la Stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance (STSPD). Ceux-ci permettent de définir les politiques publiques, les axes de travail, les conventions de coordination, et les instances de concertation… Ils comprennent plusieurs étapes. Nous en retiendrons cinq, à titre d’illustration. (3)

  • 1. Connaissance de l’administration territoriale (acteurs politiques, acteurs de la sécurité, acteurs sociaux)
  • 2. Maîtrise du fonctionnement des instances locales (Conseils, CLSPD, CISPD, etc.)
  • 3. L’expérience des dynamiques relationnelles avec les acteurs compétents
  • 4. Le recours à une méthodologie innovante
  • 5. Utilisation de d’outils de cartographiques

EXCÈS D’INSÉCURITÉ OU EXCÈS DE SÉCURITÉ ?

Qu’est-ce qui doit faire débat : l’excès d’insécurité ou l’excès de sécurité ? La crainte des infractions à la loi, les crimes et les délits, les incivilités, les atteintes à la tranquillité publique ? Ou bien la crainte de ceux qui veulent ne pas se conformer aux lois et aux règlements ?

Il n’est pas étranger à notre propos de relever qu’en ce moment même l’Institut vient de tenir un colloque international ayant pour thème « Police et populations » dont les thèmes  principaux sont la confiance (ou la méfiance ?) (4)

TOP DOWN ou BOTTOM UP ?

Il y a deux points de vue pour aborder les dispositifs de participation citoyenne. Jean-Marc JAFFRÉ les résume dans un article éclairant intitulé « Proximité et contact au coeur de la sécurité publique ». Il se réfère à deux approches, celle du top-down et celle du bottom-up. (5) Pour notre part, nous rappellerons

  • qu’aucun pouvoir ne peut imposer une gouvernance totale du champ social,
  • que les citoyens ne peuvent attendre d’un État démocratique et des administrations publiques qu’ils interviennent en tous lieux, en tout temps, pour résoudre tous les problèmes touchant la sécurité, les infractions, la tranquillité publique.

Les problèmes du « vivre ensemble » ne viennent pas de ceux qui respectent les lois et les règlements. Ils viennent de deux causes : ceux qui ne les respectent pas, et ceux qui sont indifférents à leur respect effectif. L’initiative citoyenne est un droit constitutionnel qui existe. Elle repose sur une vigilance citoyenne que l’on ne saurait craindre : elle est au coeur de la démocratie.

École militaire, Paris. Travaux de ravalement du bâtiment principal donnant sur la Cour d’Honneur, le 4 juillet 2017. Les bâches peintes apposées sur les échafaudages reproduisent les façades. Elles ont un effet singulier qui juxtapose façade réelle et façade figurée. De quoi est faite la réalité ? D’objets matériels ou de décors de théâtre – réalisés avec un talent indéniable – et d’objets peints qui représentent cette réalité  ? © Photographie CAD/BM 2017.

RÉFÉRENCES

1. Le dispositif de surveillance « Voisins vigilants » Posted on 13 février 2017 by Bernard MÉRIGOT LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°235, lundi 13 février 2017 Le dispositif français « voisins vigilants » appartient à ce que l’on désigne sous le nom de « Surveillance de voisinage » (en anglais Neighbourhood watch). Il désigne une organisation qui … Continue reading → Posted in Prévention de la délinquance, Surveillance de voisinage, Voisins vigilants |
Voir : Commentaire du 11 juillet 2017. Commentaire du 12 juillet 2017.
Bernard MÉRIGOT est ancien auditeur de l’Institut des Hautes Études de la Sécurité Intérieure (IHESI), promotion 1993. Il est membre de l’association des auditeurs de INHESJ.

2. GENDARMERIE NATIONALE, « Pour un engagement solidaire. Participation citoyenne. », Dépliant A4 recto verso, 2015, p.2.

3. FARDE Guillaume, Étude de sûreté et de sécurité publique (ESSP), Mode d’emploi, Éditions Berger-Levrault, 2016. Guillaume FARDE est, maître de conférences à Sciences Po à Paris.

4. INSTITUT NATIONAL DES HAUTES ÉTUDES DE LA SÉCURITÉ ET DE LA JUSTICE (INHESJ), « Polices et populations. Perspectives internationales », Colloque, 4 juillet 2017, École militaire, Amphithéâtre Desvallières.

Interventions d’Hélène CAZAUX-CHARLES, directrice de l’INHESJ ; Jacques de MAILLARD, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines/CESDIP ; René LÉVY, CNRS/CESDIP ; Sébasttien ROCHÉ, CNRS/PACTE Grenoble ; Wesley SKOGAN, Northwestern University (USA), Mathieu ZAGRODSKI, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines/CESDIP ; Jérémie GAUTHIER, IRIS, Sophie BODY-GENDROT, CESDIP ; Carole GAYET-VIAUD, CNRS/CESDIP ; Thierry DELPEUCH, PACTE Grenoble ; Christian MOUHANNA, CNRS/CESDIP ; Cédric MOREAU DE BELLAING, ENS/LIER ; Xavier LATOUR, Université de Nice ; Élodie LEMAIRE, Université de Picardie Jules Verne/CURAPP ; James WILLIS, Univesité George Masson (Etats-Unis), Betsy STANKO, Royal Holloway (Grande Bretagne) ; Éric CORBEAUX, procureur de la République ; Claudine ANGÉLI-TROCCAZ, Services du Défenseur des droits ; Jean-Marc JAFFRÉ, École des officiers de la Gendarmerie nationale ; Jacques RIGON, Commissaire divisionnaire, Commissaire central du 20e arrondissement de Paris ; Henri DUMINY, commissaire divisionnaire, DSCP, Ministère de l’inréieur ; Clément STENGEL, adjoint au maire d’Amiens, Vice-président du Forum pour français pour la sécurité urbaine.

5. JAFFRÉ Jean-Marc, « Proximité et contact au coeur de la sécurité publique », Note du Centre de recherche de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale (CREOGN), n°24, juin 2017, 4 p. Jean-Marc JAFFRÉ est lieutenant-colonel au CREOGN.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°256, lundi 10 juillet 2017

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2017

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