L’actualité nous étonne : la «poéthique» de Philippe Tancelin

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°241, lundi 27 mars 2017

L’information moderne, celle des médias, des chaînes de télévision continues, des réseaux sociaux… va plus vite que la réalité des faits. Elle supprime, ipso facto, le temps de la réflexion. L’ère numérique impose comme naturelles et spontanées « de nouvelles techniques d’écriture des évènements » comme l’a rappelé Philippe TANCELIN en présentant son livre Poéthique de l’ombre. (1)

Lecture-signature de Poéthique de l’ombre de Philippe TANCELIN le mercredi 22 mars 2017, à Paris. Accompagnement de Dominique VITAL au piano. © Photographie CAD/BM 2017.

CONTRE LA LAMINATION DES RELIEFS DU RÉEL

Médias et réseaux sociaux apportent de façon permanente ce qu’ils imposent comme l’actualité de « ce qui advient au monde », un monde qu’ils cherchent sans cesse à nous convaincre que c’est celui dans lequel nous vivons.
N’oublions jamais que ce monde est construit et fabriqué par les pouvoirs du langage. Le discours circulant – quels que soient les tours surprenants qu’il puisse prendre – n’est en rien porteur de nouveauté : il est la manifestation d’un vaste récit antérieur, implicite, caché, et refoulé, produit par des machines dont la fonction est de « laminer les reliefs du réel ». Tous les jours nous vivons la présentation de demain.
Alors, sans relâche, nous devons ressentir, exprimer et répéter que « l’actualité nous étonne » : ce ne sont pas les faits qui nous étonnent, mais par le discours tenu, vaste champ de la fausse évidence, de l’impensé, du manipulé, du scénarisé. Peut-on accepter que la prétendue actualité se résume à un reality show permanent ?

POÉSIE ET POLITIQUE

La poésie a partie liée avec la philosophie. A quoi servent les poètes ? On n’en finit pas de commenter le sort que PLATON réservait aux poètes. Lui, si proche de cet évènement majeur qui s’est produit à Athènes en 399 av. J.-C., à savoir l’accusation, l’arrestation, la condamnation et l’exécution à mort de SOCRATE.
Émile FAGUET rappelle que PLATON, dans son dialogue intitulé Ion, considère que le poète est un être passif, inspiré par les dieux, sans rien avoir de spontané et de personnel. « C’est un être aimanté par les dieux, qui aimante à son tour le rapsode, lequel aimante la foule ». En somme, une espèce de fou assez divertissant, à qui il ne faut attribuer aucune importance dans la cité. « Il faut le prendre pour un enfant aimable, gracieux et insignifiant ».
Après avoir souligné qu’il fallait se méfier de l’ironie, du paradoxe, et « des jeux d’une imagination qui s’amuse », Émile FAGUET livre ce qui peut constituer une conclusion : « Platon, le plus grand des poètes grecs après Homère, a détesté les poètes grecs de son époque ». (2)

Philippe TANCELIN. Lecture-signature de Poéthique de l’ombre le mercredi 22 mars 2017, à Paris. © Photographie CAD/BM 2017.

La poésie a partie liée avec un mode d’intervention sociale. Il faut prendre en compte que la notion de poésie n’est pas la même dans le monde grec antique que dans la culture occidentale contemporaine. La poésie (du verbe grec « poiesis » qui signifie « faire, produire, transformer de la matière en avenir ») se confond chez les Grecs avec le pouvoir divin et les origines du monde. Elle se situe dans une tradition inspirée par les muses. Elle est interprétée par des aèdes qui sont à la fois des conteurs et des prêtres, chantant la gloire des dieux et celle des héros. A l’époque classique, ils remplissent un rôle de chanteurs et de conteurs ambulants en s’accompagnant à la cithare et au phorminx, instrument à cordes ancêtre de la lyre.

La poésie a partie liée avec la citoyenneté, que ce soit comme pratique individuelle ou comme pratique collective. L’écriture poétique, qui est une pratique solitaire dans sa manifestation physique, lorsque le stylet, le stylo ou le clavier trace et enregistre ses lettres, ses mots, et ses phrases, est déjà une pratique dont le destin est d’être collective. La lecture-signature organisée ce mercredi 22 mars 2017 par et autour de Philippe TANCELIN, philosophe poète et acteur,  dans une cave de la rue des Écoles, en plein quartier latin, entre la bibliothèque Sainte-Geneviève, le Collège de France et la Sorbonne, en est un exemple. 

Philippe TANCELIN dédicace son livre Poéthique de l’ombre à l’intention de Jean-Louis TENIER.
Paris, mercredi 22 mars 2017. © Photographie CAD/BM 2017.

LA « POÉTHIQUE » EN QUESTION

« Le poète n’a pas la prétention de sauver le monde mais de faire entrevoir des abîmes ». Contre l’opinion dominante, la poésie, est une chose plus importante qu’elle ne paraît. Pas seulement par rapport aux mots, mais par rapport au pouvoir des mots. La poésie, c’est comme dans la pièce Measure for measure (Mesure pour mesure) de William SHAKESPEARE : Discours pour discours, Mot pour mot, Sens pour sens, Pouvoir pour pouvoir. Une façon de s’opposer à l’indifférence des maîtres, à l’heure du retrait généralisé de la parole citoyenne dans l’espace public.

RÉFÉRENCES

1. TANCELIN Philippe, Poéthique de l’ombre, L’Harmattan, 2017.
2. FAGUET Émile, Pour qu’on lise Platon, 1905. Voir le chapitre IV « Les haines de Platon : les poètes ».
Émile FAGUET (1847-1916). Né à La Roche-sur-Yon. Décédé à Paris. Professeur de Lettres à la Sorbonne. Membre de l’Académie française.


3. Le terme de « poéthique » a été employé par Philippe TANCELIN en 2000 dans son livre Poétique du silence (L’Harmattan, 2000). La différence entre les deux mots poétique et poéthique ne s’entend pas, elle ne peut que se lire. Poéthique dit quelque chose de plus que poétique. Différentes reprises du mot circulent depuis. On trouvera quelques jalons ci-dessous.
  • 2001
    VERDIER Lionel,
    « Dérision, régression et altération : « Poéthique » du sujet lyrique dans la « Chanson du petit hyperthrophique » de Jules Laforgue », L’information grammaticale, 2001, n°1, p. 44-46.
  • 2011
    GAUTHIER Marie Hélène,
    La Poéthique. Paul Gardenne, Henri Thomas, Éditions du Saule, 2011.
  • 2013
    Jean-Claude PINSON dans son livre Poéthique, une autothéorie (2013), définit l’éthique à partir des derniers travaux de Michel FOUCAULT (L’Herméneutique du sujet, Courage de la vérité), à partir de son étymologie (êthos) qui désigne en grec, la « manière d’être ». La poésie est pensée comme une manière d’habiter le monde. Elle a une vertu « étho-poiétique », c’est-à-dire « une capacité à former l’ethos, le séjour d’un sujet » . La poéthique n’est donc pas seulement une tentative de penser une éthique de l’écriture, mais aussi celle de relever la pratique singulière de la poésie, celle de l’élaboration de soi-même.
    PINSON Jean-Claude,
    Poéthique, une autothéorie, Champ Vallon, 2013.
    COST Thibaud,
    « La poésie comme pratique de soi », Nonfiction, 24 mars 2013. http://www.nonfiction.fr/article-6800-la_poesie_comme_pratique_de_soi.htm
  • 2014
    « Poéthique de l’analyste », L’en-je lacanien, Eres éditeur, n°21, 2014. « Lacan s’est dit être un poème, et pas un poète. Mais alors, ce poème qu’on est, de qui est-il ? D’où vient-il ? »

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La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°, 241 lundi 27 mars 2017

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ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2017

 

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