Les mutations sorcières dans le bassin du Congo (Patrice Yengo)

Il faut rappeler qu’étudier et poursuivre des recherches sur les sociétés africaines contemporaines présente un double intérêt. D’abord, celui d’essayer d’entrer dans la connaissance d’autres sociétés (langue, culture, vie quotidienne, pratiques politiques…), en appréhendant leurs mots et leurs  formes d’organisation sociale, en analysant ce qu’elles font et ce qu’elles disent, en dépassant tout ce qui est implicite, et en interrogeant ce qu’elles taisent. Ensuite chacun « plein d’usage et de raison », à la suite de ses expériences et de ses connaissances africaines acquises, sera mieux à-même de regarder et d’étudier avec une compréhension « enrichie » sa propre propre société, celle dans laquelle il vit, étudie, enseigne, cherche, et publie.

Monique SELIM, Patrice YENGO, Julie PEGHINI, Olivier DOUVILLE. Séminaire Anthropologie, psychanalyse et politique. Regard sur les terrains. Subjectivisation et globalisation. Séance du 7 février 2017, Fondation Maison des sciences de l’homme et Association Française des Anthropologues, 16 rue Suger, Paris VIe. © Photo CAD/BM 2017

Monique SELIM, Julie PEGHINI et Olivier DOUVILLE ont reçu le 7 février 2017 Patrice YENGO pour présenter et débattre de son livre Les mutations sorcières dans le bassin du Congo. Du ventre et de sa politique (1) dans le cadre du Séminaire Anthropologie, Psychanalyse et politique. Regard sur les terrains. Subjectivation et globalisation, qui s’est tenu à la Fondation Maison des sciences de l’homme, 16 rue Suger, à Paris (VIe ). (2)

Monique SELIM et Patrice YENGO. Séance du séminaire Anthropologie, Psychanalyse et politique. Regard sur les terrains. Subjectivisation et globalisation. Séance du 7 février 2017. « Les mutations sorcières dans le bassin du Congo. Du Ventre et de sa politique». © Photo CAD/BM 2017

RÉFÉRENCES

1. YENGO Patrice, Les mutations sorcières dans le bassin du Congo. Du ventre et de sa politique, Paris Éditions Karthala, 2016.

Patrice YENGO est un anthropologue francophone né en 1949. Après une formation en pharmacologie à la faculté de médecine de Brazzaville, il s’est orienté vers l’anthropologie médicale et l’anthropologie politique. Il a soutenu une thèse en anthropologie politique et est titulaire d’une habilitation à diriger des recherches. Il est l’auteur de nombreuses publications.

  • Le venin dans l’encrier, Les conflits du Congo-Brazzaville au miroir de l’écrit. Paris, Paari, 2009. ISBN 2-84220-030-6
  • La guerre civile du Congo-Brazzaville, 1993-2002 Chacun aura sa part. Paris, Editions Karthala, 2006. ISBN 978-2-84586-815-1

2. Le séminaire Anthropologie, psychanalyse et politique regards sur les terrains. Subjectivation et globalisation propose de repenser les dialogues et les mises à l’épreuve réciproques entre anthropologie et psychanalyse. Il s’efforce d’articuler trois lignes de questionnement :
● Clinique du terrain et terrains cliniques : des anthropologues s’interrogent sur la nature des relations interpersonnelles développées durant leurs enquêtes, le sens et les modalités de leur écoute, et, corollairement, les mobiles intimes de la parole des acteurs.
● Folie et État : une réflexion croisée, d’un côté sur les élaborations identitaires des nouvelles représentations du bien-être psychique, de l’autre, sur les instances de légitimation sur ce que serait une bonne santé psychique en termes de prévention, de diagnostic, de traitement et de leur évaluation.
● Ouvrir le débat entre anthropologie et psychanalyse de l’ordre épistémique et épistémologique.

FONDATION MAISON DES SCIENCES DE L’HOMME (MSH) et ASSOCIATION FRANÇAISE DES ANTHROPOLOGUES (AFA), Séminaire Anthropologie, psychanalyse et politique regards sur les terrains. Subjectivation et globalisation (Année 2016-2017),  Maison Suger, 16 rue Suger, Paris 6e. Le séminaire est coordonné par Olivier Douville, psychanalyste, Laboratoire CRPMS Université Paris 7, Delphine Lacombe, sociologue, chargée de recherche CNRS,CESPRA, Julie Peghini, anthropologue, MCF Université Paris 8, Monique Selim, anthropologue, directrice de recherche à l’IRD.
http://www.afa.msh-paris.fr/?page_id=66

La Maison Suger est un centre international de recherche, d’accueil et de coopération pour chercheurs étrangers de haut niveau. Située dans le Quartier Latin, centre historique de Paris, la Maison Suger a été créée en 1990 par la Fondation Maison des Sciences de l’Homme afin d’offrir aux chercheurs étrangers en sciences humaines et sociales devant séjourner à Paris et pendant des durées prolongées, dans le cadre de collaborations avec des équipes et des chercheurs français et étrangers, un environnement de travail et de vie adapté à leurs besoins. Elle a également pour mission de favoriser les échanges entre chercheurs de toutes disciplines et nationalités, afin de susciter et révéler de nouvelles perspectives et de nouveaux projets ou programmes de coopération scientifique.

DOCUMENT

SUR LA SORCELLERIE EN AFRIQUE

Un important colloque international s’est tenu à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) à Paris les 13, 14 et 15 juin 2016. On lira ci-dessous son argumentaire. Les intertitres, qui soulignent quelques concepts ouvrant la réflexion, sont de la rédaction.
DIABOLISATION DE L’AUTRE
ET NÉGATION DES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE
Soupçons, rumeurs, accusations, lynchages, meurtres…
Dans certaines régions d’Afrique, les « affaires de sorcellerie » et la chaîne de violences qui conduit du soupçon, ou de la rumeur, à l’accusation publique jusqu’au passage à l’acte (meurtre, lynchage), prennent aujourd’hui une dimension alarmante. Les accusations peuvent cependant être portées devant les institutions légales car dans les systèmes judiciaires de ces pays africains, la « pratique de sorcellerie », associée à la « magie » et au « charlatanisme », est définie et sanctionnée en tant que délit ou crime par des articles des Codes pénaux introduits par l’autorité coloniale au milieu du XXe siècle et conservés, renforcés par les systèmes judiciaires postcoloniaux.
Médiations sociales et passages à l’acte
Face aux politiques d’exorcisme d’une « justice populaire » souvent exercée par les jeunes des villages ou des quartiers, les institutions et leurs dispositifs judiciaires, policiers et sanitaires font appel aux diagnostics et aux recours des thérapies religieuses. De la criminalisation des sorciers à la victimisation des ensorcelés en souffrance, les enjeux sont toujours les mêmes qu’il s’agisse de la qualification des « faits », de l’identité des accusateurs et des accusés, ou de la réversibilité des places occupées (ensorcelé/sorcier). Le fait que les accusations visent les plus vulnérables (femmes, jeunes déscolarisés ou au chômage, malades du sida, «enfants sorciers », migrants) confirme le processus de « déparentalisation » et de « dévillagisation » des affaires de sorcellerie, ce qui explique les passages à l’acte qui font l’évènement médiatique, court-circuitant les procédures de recours et de médiation sociale.
Purification de l’espace public
La récurrence des affaires de sorcellerie va de pair avec l’émergence de nouveaux acteurs et de nouvelles formes de sorcellerie. Les « tradipraticiens » représentent un nouveau type de médiateurs proches des élites lettrées et des cercles du pouvoir, et ne sont pas très éloignés, malgré leur référence aux ressources de la tradition, des nouveaux pasteurs guérisseurs qui se proposent de « purifier l’espace public ». Les alternatives entre justice coutumière et justice pénale, entre conjuration familiale et politique du pardon, entre sanction juridique ou guérison divine, se sont quelque peu brouillées.
L’écran des traditions locales
Les travaux menés au sein du programme ANR « L’État et les institutions face à la sorcellerie dans l’Afrique contemporaine. Violence, justice et droits de l’Homme » (EInSA) visent à enrichir le questionnement et les analyses en ouvrant sur d’autres travaux menés dans d’autres régions du monde et d’autres périodes historiques de « procès de sorcellerie » interpelant l’État, la Justice et les acteurs religieux. Les réactions d’indignation des opinions publiques et la mobilisation de l’éthique des droits de l’Homme (ou des Droits de la personne humaine) face à des situations de lynchage ou de suicide de présumés sorciers, ou à la mort d’enfants « délivrés » du mal, aussi bien en Afrique qu’en Europe, ne permet plus de s’en tenir à une lecture « culturaliste » ou au recul des traditions locales.
De l’entre soi familial à l’anthropologie de l’imaginaire global
« Face à … » et plus seulement « pris dedans » pour mieux comprendre. Au-delà des apports d’une ethnologie des tyrannies de l’intimité et de l’emprise de l’entre soi familial ou d’une anthropologie de l’imaginaire global de l’État sorcier, l’anthropologue est invité à faire face aux réponses que les dispositifs judiciaires, thérapeutiques et ecclésiologiques apportent aux individus et aux familles en souffrance aussi bien qu’aux attentes collectives de justice.
Médicalisation, pénalisation, politisation
Les chercheurs « face à la sorcellerie » confrontés à ces affaires ont une responsabilité d’acteurs et sont interpelés comme les juges et les médecins par ces processus de pénalisation et de médicalisation, sinon de politisation de la sorcellerie. L’enjeu n’est pas tant celui de l’irrationalité d’un système de croyances ni seulement celui d’une modernité insécurisée sur le plan spirituel, mais celui de la caution morale apportée à des « procès de sorcellerie » qui passent par la diabolisation de l’autre et la négation des droits de la personne humaine.
RÉFÉRENCE
Face à la sorcellerie (Facing Witchcraft). Colloque de clôture du programme « L’État et les institutions face à la sorcellerie dans l’Afrique contemporaine. Violence, justice et droits de l’Homme » (EInSA 2012-2016), 13-14 et 15 juin 2016, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), 96 boulevard Raspail, Paris 6e.
https://www.ehess.fr/fr/colloque/face-sorcellerie
http://calenda.org/367734

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2017

 

 

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