Concertation, conciliation, médiation. Quelles synergies ? (CNDP)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°223, lundi 21 novembre 2016

« On n’a pas l’habitude de faire l’histoire du débat public » remarquait Jacques ARCHIMBAUD, vice-président de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) dans sa conclusion au carrefour-débat organisé au Centre national des Arts et métiers (CNAM) organisé le mardi 8 novembre 2016. (1) Il poursuivait en relevant la «perte en ligne» qui existe entre tout ce qui se dit lors des réunions publiques sur les projets d’aménagement et ce qui en est retenu. Le paradoxe est que  les habitants,  eux, conservent la mémoire des projets successifs : ils retiennent lorsqu’une réunion « ne s’est pas bien passée », lorsque le maire ou une administration a présenté un projet qui a suscité une opposition massive. Ces réflexions sont venues clore une journée consacrée à un quadruple sujet : débat public, concertation, conciliation, médiation.

Jacques ARCHIMBAUD, vice-président de la Commission nationale du débat public, concluant le carrefour-débat Débat public, concertation, conciliation, médiation : quelles synergies ? organisé le 8 novembre 2016 au Conservatoire national des arts et métiers à Paris. A la tribune, de gauche à droite : Julie TALDIR, Philippe BARRET et Claude CHARDONNET.  ©  Photo CAD / BM 2016
Débat public, concertation, conciliation, médiation : quelles synergies ?
Carrefour-débat organisé le 8 novembre 2016 au Conservatoire national des arts et métiers à Paris.

©  Photo CAD / BM 2016

 

DOCUMENT

DÉBAT PUBLIC, CONCERTATION, CONCILIATION, MÉDIATION :
QUELLES SYNERGIES ?

Carrefour-débat du 8 novembre 2016

Contexte, objectif et enjeux
Caractérisé par de nombreuses procédures, une gouvernance partagée et une forte conflictualité, les domaines de l’environnement et de l’aménagement a fait l’objet de différents dispositifs réglementaires et institutionnels destinés à favoriser la participation, au sens large, des citoyens et des acteurs de la société civile aux décisions susceptibles de les concerner.
La conflictualité a elle-même évolué : à sa dimension « classique » de contestation et conflits d’usage autour de grands projets s’est ajoutée une dimension de remise en cause plus globale du modèle de développement et de gouvernance qui a prévalu jusque-là. Les conflits actuels sont des conflits de valeurs autant que des conflits d’intérêts.
L’importance prise ces dernières années par quelques dossiers emblématiques témoigne de la difficulté à trouver des réponses à ces situations et traduit l’ampleur des attentes et des besoins dans ce domaine. En se donnant pour objectif de renouveler le dialogue environnemental, avec notamment les dispositions de l’Ordonnance du 3 août 2016, les pouvoirs publics ont acté le besoin d’aller plus loin.
Explorer le potentiel que représentent les modes alternatifs de règlement des différends, et en particulier la médiation et la conciliation, est une piste à mettre en débat. Encore peu présents dans le champ de l’environnement en France, peuvent-ils compléter et élargir l’éventail des réponses possibles ? Et comment se distinguent-ils des pratiques qui relèvent plutôt d’une approche axée sur la démocratie participative : le débat public et la concertation ?
  • Le débat public vise à permettre aux citoyens d’exprimer en opportunité leurs points de vue sur une politique, un projet, un programme ou un sujet d’intérêt public, dans un souci d’inclusivité et d’égalité d’accès à la délibération publique. Il s’est institutionnalisé en France avec la création de la CNDP. Centré sur l’objectif de garantir les conditions d’une authentique participation au débat des citoyens et acteurs de la société civile, dans toute leur diversité (accès à l’information, expression de tous les acteurs et intérêts, y compris les plus « faibles », etc.), le débat public est désormais ancré dans le paysage français de la démocratie participative.
  • La concertation est plus diverse dans ses acceptions et ses représentations, entre une définition large englobant l’ensemble des pratiques participatives, et une définition plus étroite, centrée sur les dispositifs permettant une véritable co-construction entre les acteurs. Sous ses différentes formes, elle s’est développée au niveau des projets de territoires depuis les années 1990, selon des degrés d’institutionnalisation et des méthodologies variables selon les domaines (eau, espaces naturels, etc). La réglementation prévoit ainsi de plus en plus souvent une concertation en amont de décisions publiques locales. La toute récente Ordonnance du 3 août 2016 va conduire à généraliser les « concertations garanties », menées par les maîtres d’ouvrage selon un dispositif défini par la CNDP et faisant intervenir un « tiers-garant ». De nombreuses concertations territoriales sont par ailleurs lancées en dehors de toute prescription réglementaire.
Ces approches se sont développées parallèlement à l’émergence d’initiatives visant à proposer des modes « alternatifs » de résolution des conflits, en réponse à un certain nombre d’aspirations et de besoins nouveaux, entraînés notamment par l’affaiblissement des différentes structures traditionnelles de régulation. La médiation et à la conciliation désignent un processus dans lequel des parties conviennent d’avoir recours à un tiers, neutre et indépendant, pour les aider à trouver une solution à leur conflit. Dans la réflexion engagée ici, il a été convenu d’utiliser le terme de médiation pour désigner ces deux pratiques, la différence entre médiation et conciliation tenant pour l’essentiel à la place plus ou moins active du tiers dans la recherche de solutions. Cette définition se distingue de la médiation institutionnelle, mieux connue en France depuis la création du Médiateur de la République et, plus récemment, la mise en place de médiateurs chargés par leur institution de trouver des solutions amiables aux réclamations des usagers ou des clients.
Si ces pratiques faisant appel à un tiers neutre et indépendant sont encore peu développées dans le champ de l’environnement, elles ne sont pas sans rapport avec certaines approches de démocratie participative, qui mobilisent un « tiers », comme une Commission Particulière dans un débat public ou un garant dans une concertation. Il en résulte que les pratiques de médiation et les pratiques de débat se rencontrent, se croisent ou, selon les cas, cheminent de façon parallèle. Les professionnels du débat se forment à la médiation et des médiateurs participent à des processus de concertation. La question de leurs complémentarités et de leurs spécificités se trouve donc interrogée en permanence et traduit un besoin d’éclaircissement de leurs objets communs et respectifs. Dans un contexte d’élargissement du « marché de la participation », cette clarification permettrait notamment d’encourager le développement d’une offre de compétences adaptées aux moments, aux objets et aux territoires concernés par des conflits.
L’enjeu de cette réflexion, initiée par la CNDP, est de questionner l’adéquation de ces différentes pratiques aux différents types de situation, objets et territoires concernés par des conflits, et d’explorer leurs apports respectifs et réciproques. Dans quelle mesure les pratiques de médiation et de conciliation peuvent-elles enrichir et compléter les pratiques de débat public et de concertation ? Comment assurer une plus grande synergie et une complémentarité entre ces différentes approches, tout en conservant leurs spécificités ? Quels sont les liens entre les postures et les rôles de garant, de médiateur, d’animateur de concertations ?
Ces questions sont parmi celles que vise à explorer ce Carrefour-débat, dans un contexte de modernisation du droit à la participation et du dialogue environnemental et de l’élargissement des missions et des activités de la CNDP. Elles seront mises en débat à partir de quelques axes de réflexion issus des travaux de deux ateliers préparatoires.
Travaux préparatoires
Un groupe de travail d’une trentaine de personnes a été constitué pour alimenter la réflexion préalable à ce Carrefour-débat. Il associe des chercheurs et des praticiens de la participation et de la médiation, des maîtres d’ouvrages, des représentants de la société civile et des institutions publiques nationales et locales impliquées dans ces sujets. Il s’est réuni en atelier à deux reprises, les 9 juin et le 11 octobre 2016.
Une équipe de cinq médiateurs issus de Médiations Plurielles a appuyé la CNDP dans ce processus.
En amont des ateliers, des entretiens individuels ont été conduits avec chacun des membres du groupe. Ils ont permis de nourrir la réflexion préalable et de clarifier les attentes et les propositions de chacun.
Un rapide recensement de ce qui constitue pour le groupe de travail les causes essentielles de la conflictualité environnementale a ainsi pu être réalisé. Parmi ces causes : une prise en compte trop tardive des préoccupations des acteurs locaux ; l’impression de ces derniers de ne pas avoir été entendus ; un sentiment que les intérêts en cause sont trop inégaux ; des dispositifs de concertation conçus sur des projets, au détriment d’une approche plus globale par territoire ; une durée de processus souvent très longue, avec des moments « forts » de concertation entrecoupés de périodes « vides », altérant la dynamique de concertation et la confiance entre des acteurs qui se renouvellent au cours du processus ; une culture et des compétences de dialogue souvent insuffisantes parmi les acteurs impliqués dans les démarches de concertation.
Ces entretiens ont permis aussi de recenser quelles étaient, pour les membres du groupe de travail, les
forces et les faiblesses des différents processus de concertation et de débat : si l’institutionnalisation du débat public est considérée par beaucoup comme un acquis précieux pour la démocratie participative, certains regrettent que les pratiques du débat se résument trop à une confrontation entre postures et positions et ne favorisent pas suffisamment l’écoute, l’échange, le dialogue, et la compréhension mutuelle. Les dispositifs de concertation sont, eux, jugés souvent insuffisamment pris en compte dans le processus de décision. Beaucoup regrettent des concertations qui se juxtaposent parfois dans le temps et dans l’espace, sans cohérence d’ensemble, et soulignent la discontinuité du processus dans le temps.
S’agissant de la médiation, ces entretiens confirment qu’elle est encore mal connue, voire méconnue.
Pour certains notamment, elle risque, en remettant en cause les modes de confrontation habituels, de détourner le processus vers un rapport de forces entre acteurs au détriment de la participation du public et des acteurs les plus faibles. Son potentiel dans le domaine de l’environnement est cependant reconnu, en réponse à la difficulté actuelle à répondre aux attentes de la société civile comme à celles des maîtres d’ouvrage.
Le premier atelier, réuni le 9 juin 2016, s’est attaché en priorité à clarifier les objectifs, les spécificités et les synergies possibles entre débat public et médiation d’une part, et entre médiation et concertation garantie d’autre part.
Le débat public et la médiation ont des finalités différentes et reposent donc sur des dispositifs bien différenciés. Les pratiques et les compétences de médiation peuvent cependant contribuer à développer davantage de dialogue et d’« humanité » dans le débat public, et ont leur place en amont et en aval du débat.
Dans le cadre de concertations garanties, la place de la médiation diffère selon qu’on s’attache au processus, aux pratiques ou aux compétences en médiation. A été évoquée en particulier la question des « phases» de la concertation qui peuvent conduire à proposer une médiation. La question des rôles respectifs du garant et du médiateur dans ces situations a été débattue, esquissant une première orientation vers une formation des garants à la médiation mais sans dégager de propositions consensuelles à ce stade.
Le second atelier, réuni le 11 octobre 2016, s’est attaché à mieux appréhender, en partant de quatre cas concrets de débat public ou de concertation, à quels moments, dans quel cadre et à quelles conditions un processus ou des compétences spécifiques de médiation auraient pu être mobilisées. Différentes questions ont émergé :
  • Faut-il et comment surmonter la tentation pour les différents acteurs d’éviter le conflit ?
  • Quelle place pour un processus moins axé sur les positions et plus proche des besoins des acteurs dans un contexte où ils peuvent craindre que leurs propos soient instrumentalisés ou utilisés dans des procédures administratives (DUP) ou contentieuses ?
  • De manière plus générale, comment la médiation peut-elle irriguer le débat public et la concertation, leur apporter plus de souplesse notamment ?
Chercher à répondre à ces questions conduit à s’intéresser aux différentes formes d’ « hybridation » ou d’interaction : selon les uns ou les autres, la médiation peut être, au regard des processus de débat public et de concertation, un temps particulier, une alternative, ou une source d’inspiration.
Cette initiative est organisée par la CNDP (Commission nationale du débat public), le Cnam (Cnam Développement) et Médiations Plurielles (association des médiateurs formés au Cnam), en association avec l’Institut de la concertation, le GIS démocratie et participation et Décider ensemble.
Membres du groupe de travail qui ont participé à l’un et/ou l’autre des deux ateliers :
  • Chercheurs et universitaires : Sophie Allain, Jean Pierre Bonafé-Schmitt, Karim Berthomé, Jean-Marc Dziedzicki, Jean Michel Fourniau, Jacques Salzer, Arnaud Stimec.
  • Praticiens : Etienne Ballan (spécialiste concertation), Philippe Barret (médiateur), Christophe Beurois (spécialiste concertation), Paul Carriot (garant), Pierre Yves Guihéneuf (médiateur), Michel Gaillard (garant), Emmanuel Gradt (médiateur), Jean-Louis Laure (garant), Pierre-Gérard Merlette (garant), Jean-Paul Puyfaucher (commissaire-enquêteur, garant), Dominique Simon (médiatrice), Laure Veirier (médiatrice), Aline Guérin (médiatrice, Institut de la Concertation)
  • Elus et collectivités : Pascale Ceron (Arene Île-de-France), Damien Mouchague (Communauté urbaine de Bordeaux) ainsi que Luc Picot (directeur de Décider Ensemble).
  • Maîtres d’ouvrage : Julie Taldir et Meven Bouvet (SNCF Réseau), Brigitte Fargevieille (EDF), Jean- Louis Carlier (RTE), Alain Monteil (VNF).
  • Société civile : Monique Sené (ANCCLI), Marylise Léon et Barbara Serrano (CFDT), Michel Dubromel (FNE).
  • Institutions : CNDP (Christian Leyrit, président, Jacques Archimbaud et Ilaria Casillo, viceprésidents)
  • MEEM (Marie Christine Bagnati, service de la Recherche, Joana Janiw, CGDD).
Isabelle Boutefoy, Catherine Garreta, Stéphanie Joumard, François Poux et Thierry Renaud, médiateurs, étaient chargés par Médiations Plurielles d’appuyer la CNDP pour la préparation et l’organisation de cette initiative. Ont également apporté leur concours : Françoise Lavarde, Alexandra Moreau, Stéphanie Antoine
RÉFÉRENCE
COMMISSION NATIONALE DU DÉBAT PUBLIC (CNDP), CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET MÉTIERS (CNAM),
MÉDIATIONS PLURIELLES, « Débat public, concertation, conciliation, médiation : quelles synergies ? », Carrefour-débat du 8 novembre 2016, 4 p. (Document préparatoire)
Conservatoire national des Arts et métiers (CNAM)
292, rue Saint-Martin, Paris
©  Photo CAD / BM 2016

RÉFÉRENCES

1. « Débat public, concertation, conciliation, médiation : quelles synergies ? », Carrefour-débat organisé le 8 novembre 2016.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°223, lundi 21 novembre 2016

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2016

 

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