Savigny-sur-Orge. Doit-on croire l’association Elan – Savigny Environnement lorsqu’elle dit qu’elle ne fait pas de politique ? (Programme de recherche « Gouvernance des associations environnementales locales et démocratie »)

Comment les « associations environnementales et du cadre de vie » se situent-elles par rapport au pouvoir politique, que ce soit par leurs actes ou par leurs discours ? Elles peuvent revendiquer un engagement politique. Ou bien elles peuvent nier tout engagement politique. Laquelle de ces deux postures est conforme à leur pratique réelle ?

Telle est l’une des questions que la recherche-action « Territoires et démocratie numérique locale » pose dans le cadre de son programme « Gouvernance des associations environnementales locales et démocratie » (1). Elle examine ici le tract intitulé « Un message aux habitants » édité par l’association « Élan – Savigny Environnement » de Savigny-sur-Orge (37 000 habitants) publié et diffusé à l’occasion du « Forum des associations » de la commune du samedi 6 septembre 2014.

Quels mots emploie-t-elle ? Quels arguments utilise-t-elle ? Quels  enchaînements logiques utilise-t-elle ? Quels sont ses « dits » ? Quels sont ses « non-dits » ?

 

 « Un message aux habitant(e)s de Savigny-sur-Orge ».
Tract de l’association Élan – Savigny Environnement
distribué au « Forum des Assos’s », 6 septembre 2014, p. 1.
Archives de Mieux Aborder L’Avenir / CAD

Les caractéristiques de cette production discursive ne sauraient échapper : un « tract d’adhésion » constitue un genre littéraire particulier, et un « forum », qui rassemble les stands des associations d’une commune, constitue un rite-annuel-type qui est décliné, dans toute la France, au début du mois de septembre.

Le propos de toute association est d’affirmer ce à quoi elle croit, et donc ce à quoi elle entend que ses adhérents, présents et futurs, croient. Il s’agit d’un credo associatif.

Forum des asso’s 2014
Commune de Savigny-sur-Orge
6 septembre 2014
Affiche

L’ASSOCIATION ELAN
A LA RECHERCHE D’UNE LÉGITIMITÉ POLITIQUE

« Adhérer à une association de défense de l’environnement et du cadre de vie telle qu’Elan – Savigny Environnement, très ancienne association de Savigny, dont la réputation de sérieux n’est plus à faire, est une démarche citoyenne et un engagement qui permet de participer à la vie de la ville, et de peser sur les décisions qui mettent en jeu des changements risquant de dégrader notre qualité de vie. » (2)

Cette première phrase est longue. Elle est paradoxale, à la fois confuse et claire, enchaînant des évidences non-évidentes. Relisons-la.

« Adhérer à une association de défense de l’environnement et du cadre de vie (…) est une démarche citoyenne ». La question doit être discutée. Deux niveaux se télescopent dans cet énoncé. Il faut distinguer d’une part, l’existence et l’action d’une association de défense de l’environnement et d’autre part, le fait d’adhérer à cette association. Autant le premier niveau, celui de l’existence d’une association, constitue l’illustration d’une « démarche citoyenne » évidente, autant le second niveau, celui de l’adhésion, relève d’une démarche citoyenne qui n’est pas de même nature. La citoyenneté réside t-elle de la même façon dans les deux ? On ne peut pas assimiler le devoir d’adhérer comme constitutif d’un impératif citoyen.

Élan – Savigny Environnement est une « très ancienne association de Savigny ». Étonnante mention appartenant au registre de l’institutionnalisation et de l’auto-légitimation. Hier justifie aujourd’hui : nous sommes anciens, donc nous sommes sérieux. Nous renvoyons à une étude sur les associations. « L’absence de renouvellement et de rajeunissement des instances dirigeantes des associations tient en partie  aux difficultés  objectives pour trouver des dirigeants pour des fonctions bénévoles impliquant des responsabilités parfois lourdes, requérant des qualifications en droit, gestion, animation, communication. Ces dirigeants doivent aussi disposer d’un réseau de relations et pouvoir consacrer un temps important à leurs tâches. Mais le renouvellement est également parfois rendu difficile par des résistances au changement. » (3)

… « dont la réputation n’est plus à faire ». La réputation est une denrée soumise à de nombreux aléas. Elle est sans cesse « à faire et à refaire ». Si elle est un acquis du passé, elle n’est pas une rente.
A la fin du tract, il est écrit « Nous vous demandons (…) de faire confiance à l’équipe qui a su depuis vingt-cinq ans… ». Vingt-cinq ans, c’était en 1989 ! D’autres associations saviniennes environnementales sont plus anciennes : Culture Arts Découverte/CAD (1981), Agir pour Savigny/APS (1982), NaturEssonne (1982), etc.

Au fait, de quelle association parlons-nous ? La question n’est pas secondaire. Dans l’en-tête du tract reproduit, on peut lire : « Élan – Savigny Environnement, Boîte postale n°1, 91600 SAVIGNY-SUR-ORGE, Téléphone 01 84 18 00 92. Association Loi de 1901 n°0913010890 ». Le Journal officiel indique un autre numéro : W913001582. Cela signifierait-il qu’une association « très ancienne » et « dont la réputation de sérieux n’est plus à faire » ne connaîtrait pas son numéro d’identification ? (4)

Élan – Savigny Environnement, peut-on lire, « est une démarche citoyenne et un engagement qui permet de participer à la vie de la ville ». Une association n’est pas « une démarche ». Elle illustre, elle met en œuvre une démarche. Mais son existence ne ne saurait constituer « en soi » un processus.
Et puis l’idée esquissée en début de phrase se précise. Elle comporte soudain un glissement : l’association y est affirmée comme un médiateur politique. Nous retrouvons ici la théorie des corps intermédiaires, chère à Alexis de TOCQUEVILLE. A ceci près que le fait d’appartenir à une association ne saurait constituer la voie unique et obligée de la participation citoyenne aux affaires des collectivités territoriales.

LE POUVOIR POLITIQUE EST MAUVAIS PAR ESSENCE

… « et de peser sur les décisions ». Participer serait peser. Mais peut-on peser sur une décision du pouvoir politique sans exercer un contre-pouvoir politique ? Nous apprenons que les décisions de l’exécutif local (du maire, du conseil municipal…) ne sont pas anodines, elles « mettent en jeu des changements risquant de dégrader notre qualité de vie ». Décider, c’est changer ce qui existe pour le remplacer par autre chose. Une autre chose qui est potentiellement mauvaise, puisqu’elle peut dégrader la qualité de vie collective. Il s’agit d’une importante dénonciation de toute action publique, porteuse de la détérioration de l’état précédent. Le non-dit révèle une critique radicale de la politique qui est, par nature, mauvaise. Pour le conseil d’administration d’Elan – Savigny Environnement, seule l’association ne faisant pas de politique serait, par nature, bonne. Ainsi s’établit sous nos yeux une conception manichéenne de la vie collective locale : on passe du côté obscur de la force au monde enchanté des Bisounours.

A LA RECHERCHE DE L’INDÉPENDANCE PERDUE

« Elan – Savigny Environnement, totalement indépendante… ». Il ne s’agit pas seulement d’une indépendance simple, mais d’une indépendance totale. Peut-on être totalement indépendant ? Non, bien sûr. On peut toujours rêver, ou faire rêver… Et indépendant de quoi ? Des « forces politiques ». Le mot « parti politique » n’est pas employé, mais celui de « forces politiques ». Que sont les forces politiques ? Peut-on échapper aux « forces politiques » comme on échappe aux forces de la gravitation ? Il existerait alors des forces non-politiques ? Ou alors, des non-forces politiques ?

Cette prétention d’échapper aux forces politiques est étonnante lorsque l’on sait que deux administratrices d’Élan – Savigny Environnement ont figuré sur la liste de Pierre GUYARD (PS/PC/EELV) lors de l’élection municipale de mars 2014, et qu’un troisième administrateur a été mandataire financier de ce même candidat, arrivé en seconde position derrière le candidat Éric MEHLHORN (UMP) élu. Plus fort, les trois-quarts du conseil d’administration – au moins – ont eu jadis une activité politique prétendant à une candidature sur une liste municipale ou une activité syndicaliste ou sont dans la mouvance du PS et d’EELV ! Où est l’indépendance totale du conseil d’administration d’Elan – Savigny Environnement ?

AGRESSIVITÉ ET POLÉMIQUE MONTENT DANS UN BATEAU…

… « agit sans agressivité inutile et sans polémique ». Deux formules s’enchaînent. « Agressivité inutile ». Il existerait donc une agressivité utile ? « Sans polémique ». Rappelons que l’association se situe dans le contexte, indiqué précédemment, d’un pouvoir politique mauvais, puisque générateur de nuisances et de détérioration du cadre de vie des habitants.
Dans le cas présent, le pouvoir exécutif local a été lui-même agressif à l’égard de l’association. Il a été lui-même polémique à l’égard de l’association et de ses responsables. Les mandats successifs des deux maires précédents Jean MARSAUDON (1983-2008) et de Laurence SPICHER-BERNIER (2008-2014) en ont offert de nombreux exemples officiels (lettres, articles, tracts, déclarations lors de séances du conseil municipal, etc). « Les documents existent », comme écrit CHAMFORT.
http://www.savigny-avenir.fr/2011/05/09/le-comportement-public-du-pouvoir-nicolas-chamfort/

UNE « COMMUNAUTÉ DE COMMUNES » QUI N’EXISTE PAS…

« Elan – Savigny Environnement a su créer un Collectif avec les associations des villes voisines, agissant dans le cadre de la Communauté de communes ». Il est question ici d’un« collectif », notion floue, au contenu variable, à la gouvernance insaisissable, qui ne relève pas de celle des associations Loi de 1901.
La phrase contient une erreur révélatrice d’une prise en compte approximative des dossiers par les administrateurs de cette association. Il est question d’une « communauté de communes » qui n’existe pas ! Il s’agit des Portes de l’Essonne. C’est une communauté d’agglomération. Ce n’est pas la même chose. Où se situe le sérieux des dirigeants de cette association ne faisant pas la différence entre « communes » et « agglomération » ?

Y A LES PROBLÈMES QUI REMONTENT…

« Le rôle des associations de défense de l’environnement et du cadre de vie est primordial pour « faire remonter » les problèmes vers les décideurs, et assurer ainsi un relais entre le citoyen et les élus ». Arrêtons-nous un instant sur la formulation de ce qui constitue un projet associatif implicite : « faire remonter ». Il n’est pas sûr qu’il s’agisse là d’une mission normale d’une association. La fonction du « ce qui ne va pas », quelle que soit son utilité lorsqu’elle est remplie, est singulièrement limitée. C’est plutôt celle d’un militant de quartier qui informe son responsable politique. L’ambition d’une association doit se situer à un autre niveau : celui de l’exercice d’un contre-pouvoir et de la formulation de projets assortis de propositions pour la collectivité..

AVIONS ET IMMOBILIER

« Nous disons pour notre ville : pas d’avions sur Savigny ». La préoccupation est ancienne (1981). Un « collectif » (10 000 ballons) s’est mobilisé en son temps sur ce sujet, organisant réunions et manifestations. Cette menace de survol de la commune par les avions est pour le moment tenue à distance. Mais, comme dit l’autre, demeurons vigilants.
On constate l’apparition, en fin de paragraphe, d’un argument nouveau : « (…) la valeur de nos biens : maisons et appartements. Très dévalués si les avions traversent notre ciel ». Est-ce le lieu de formuler une telle préoccupation qui ne relève pas des intérêts collectifs, mais d’intérêts individuels, financiers et patrimoniaux ? L’association défendrait-elle des intérêts économiques au lieu d’intérêts environnementaux ? N’y a-t-il pas un glissement d’objet associatif environnemental, qui est général, vers un objet particulier, non-dit ?

L’ARGUMENT DU
« PAS LE TEMPS À CONSACRER À LA VIE ASSOCIATIVE »

« Vous n’avez pas le temps à consacrer à la vie associative ? Nous le comprenons fort bien. Nous vous demandons seulement de réfléchir à votre adhésion et de faire confiance à l’équipe qui a su depuis vingt-cinq ans obtenir des avancées dans les domaines nombreux et variés touchant la qualité de vie des saviniens ». Le constat du « vous n’avez pas le temps à consacrer à la vie associative » est étonnant ainsi que l’appel au « faites-nous confiance ». C’est méchamment mobilisateur. Une association peut-elle vivre avec des adhérents qui n’ont pas le temps ? Chaîne paradoxale qui lie ensemble trois termes : non-disponibilité/acte d’adhésion /confiance.
Les conditions d’une vie associative citoyenne sont-elles réunies ? A moins qu’il ne s’agisse des conditions de sa survie « depuis vingt-cinq ans » ?

 

« Un message aux habitant(e)s de Savigny-sur-Orge ».
Tract de l’association Élan-Savigny Environnement,
6 septembre 2014, p. 2.
Archives de Mieux Aborder L’Avenir / CAD

DOCUMENT

GOUVERNANCE DES ASSOCIATIONS ENVIRONNEMENTALES LOCALES
ET DÉMOCRATIE

Les associations locales de protection de l’environnement et du cadre de vie sont des objets singuliers. Appartenant à la société civile, elles se créent pour lutter contre les atteintes portées à l’environnement et au cadre de vie des habitants. Elles prospèrent en exerçant un contre pouvoir face aux maires, aux municipalités, et aux administrations. C’est ce qui constitue leur « cœur de métier ».
Une question se pose : les gouvernances qu’elles mettent en œuvre, appliquent-t elles en interne, pour elles (réunions de conseil d’administration, assemblée générale annuelle…), et pour leurs adhérents, la démocratie participative qu’elles revendiquent en externe, pour la vie locale ?
Une réponse négative signifierait qu’elles ont quitté la sphère de la société civile pour rejoindre celle de la société politique qu’elles côtoient, adaptant la conception classique du pouvoir représentatif qui s’exerce du haut vers la bas : le président décide, le conseil d’administration approuve, les adhérents suivent, les opposants sont exclus, et ceux à qui ça ne plait pas sont poussés à la démission.
Associations et municipalités constituent un binôme. A ceci près que la temporalité des associations de protection de l’environnement et du cadre de vie n’est pas la même que celles des maires, des municipalités, des communautés qui eux, sont soumis à un renouvellement périodique (tous les six ans). Dans certaines associations, les responsables (présidents, membres du conseil d’administration) y siègent pendant, dix ans, vingt ans, trente ans… Cela est conforme aux règles du bénévolat, mais interroge à la fois l’investissement personnel, l’individualisation d’une construction collective, et l’institutionnalisation d’une société privée. Cela interroge aussi la reconnaissance sociale et son appropriation.
Nous sommes particulièrement attentifs à différents thèmes : mode de recrutement et de renouvellement des membres des conseils d’administration associatifs, leurs « profils », la durée de leur mandat ; l’intégration du « poids du passé local » qui consiste à rendre implicites des informations publiques ; les appropriations symboliques ; les débats internes (implicites ou explicites ?) ; les exclusions ; les démissions…
L’évolution des demandes citoyennes et celle des nouveaux paysages de l’innovation sociale constituent une réalité « incontournable », comme on dit. Les associations – qu’elles l’acceptent ou bien s’en défendent – occupent une place dans une concurrence institutionnelle qui oppose la société politique à la société civile. Aucune association n’est destinée à durer un temps infini. L’expertise citoyenne évolue. Comment un objet social associatif évolue-t-il ? Ce qui constituait un objectif en 1980, l’est-il toujours en 1990, en 2000, en 2010 ? En un mot : comment l’offre associative évolue-t-elle ?
© Bernard MÉRIGOT et Mieux Aborder L’Avenir, 2014
contact@mieuxaborderlavenir.fr
Recherche-action «Territoires et démocratie numérique locale»
ISSN 2261-1819. Dépôt légal du numérique, BNF

RÉFÉRENCES

1. MÉRIGOT Bernard, « Gouvernance des associations environnementales locales et démocratie », http://www.savigny-avenir.fr/plan-du-site/programmes-en-cours/gouvernance-des-associations-environnementales-locales-et-democratie/.

2. ÉLAN SAVIGNY ENVIRONNEMENT, « Un message aux habitant(e)s de Savigny-sur-Orge », Tract pour le Forum des associations, 6 septembre 2014, A4, 2 p.

3. ARCHAMBAULT Édith et TCHERNONOG Viviane, « Quelques repères sur les associations en France aujourd’hui », Centre de l’économie de la Sorbonne, CNRS Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, www.associathèque.fr.

4. http:/:www.journal-officiel.gouv.

Elan – Savigny Environnement
http://www.journal-officiel.gouv.fr

Articles en ligne sur le site http://www.savigny-avenit.info

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819 Dépôt légal du numérique, BNF 2014

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