Savigny-sur-Orge. Décodage-type d’un tract électoral (Laurence Spicher-Bernier, candidate UDI) – 1ère partie –

OBSERVATOIRE DES ÉLECTIONS MUNICIPALES 2014 (n°10)

DÉCODAGE

CONTEXTE. Il n’existe pas de campagne pour des élections municipales sans que les candidats éditent des tracts, les distribuent dans la rue et les glissent dans les boîtes à lettres des habitants de la commune. Ces tracts sont une composante essentielle de la vie démocratique locale. Ils méritent de faire l’objet d’une lecture critique.
ENJEUX.
Quels sont les mots employés dans ces tracts ? Que disent-t-ils ? Que taisent-ils ? Que révèlent les photographies ? Autant de questions essentielles sur des pratiques qui appartiennent à une discipline dont on parle peu et qui relève de la « technologie de la démocratie ». S’agit-il de pratiques d’amateurs ou de pratiques de professionnels, artisanales ou bien industrielles ? Sont-elles individualisées et sincères ou bien sont-elles collectivisées et fabriquées ?

 Laurence SPICHER-BERNIER
Candidate UDI aux élections municipales de Savigny-sur-Orge
23 et 30 mars 2014
Journal électoral, A3 recto verso, 2 p. Haut de la page 1

L’IMAGE ET LES MOTS

  • La photographie électorale est une lutte de tous les instants entre « le pas assez » et « le trop » : elle se situe dans une tension entre les deux. Ce n’est pas un compromis, mais plutôt un juste milieu, un équilibre sans cesse « rectifié » à la façon dont le funambule se sert de sa perche pour rester sur le fil. Une tension permanente qui ne doit pas apparaître, mais qui est « à l’œuvre » dans l’espace singulier de la figuration. Une photo « carrée ». Ni à l’improviste, ni trop posée. Le juste-ce-qu’il faut.
  • Le portrait. Pas de face et pas de trois-quart, alors, visage presque de face avec les épaules dans un faux trois quart. Le maquillage, ni trop, ni trop peu. Juste ce qu’il faut, pour éviter à tout prix que la peau ne brille. Le rouge à lèvres, ni trop, ni trop peu. Pas de rouge à lèvres, ferait négligé. Trop de rouge à lèvre, ferait chargé. Et puis, la coiffure. Là aussi, ni pas coiffée, ni trop coiffée. Se méfier de la laque qui « cartonne ».
  • Et les vêtements ? Un faux col roulé, ni pas montant, ni trop montant. Attention à la couleur. C’est le noir qui a été choisi. Ça va avec tout, le noir : on ne risque pas de se tromper, et puis la lumière ne prend pas sur le noir. Un peu triste, mais sobre. Et avec ça, une veste. Ni trop décontractée, ni trop habillée. Après le col roulé noir, attention à la couleur de la veste. Ça sera marron. En daim ? Peut-être en peau, c’est à voir, on ne voit pas très bien. Ou alors, de la suédine ? Col avec des pointes dépassantes, grosse piqure en fil plus clair. Style un peu « Annie du Far-West ».
  • Enfin, le fond. Important, la photo étant hyper-posée, pour arriver à cet aspect « naturel », il faut un fond naturel. Sans doute le Parc de Champagne à Savigny-sur-Orge. En tout cas, sur la droite, il y a un chemin en forme de S, il part à gauche, il revient à droite, et il repart à gauche… Un S, comme dans la première lettre du nom de la commune, Savigny-sur-Orge. Comme dans la première lettre de SPICHER-BERNIER. Comme dans la quatrième lettre de MARSAUDON. Et si c’était un signe ? Comme le chemin du Magicien d’Oz (The Wizard of Oz). On pense à la route de briques jaunes («road of yellow brick»).
    Il est évident que le portait a été réalisé en studio et a été incrusté sur le paysage en fond. On est ailleurs, dans un monde à la fois réel et « irréel ». La photographie électorale doit réaliser le périlleux exercice de l’entre deux du sens.
  • Les « mots électoraux ». Le premier slogan est « Agir pour vous ». Il sonne comme la seconde partie d’un « enthymème » dont le première partie, non dite, serait « Voter pour moi ». La formule complète serait « Voter pour moi/ Agir pour vous ». Un enthymème est un syllogisme qui repose sur des prémisses seulement probables qui peuvent rester implicites. Pour ARISTOTE, c’est une déduction « tirées de vraisemblances et d’indices » : si elles sont connues, l’auditeur les supplée. L’enthymème est un syllogisme dont on a supprimé, soit l’une des deux prémisses, soit la conclusion car la réalité de la proposition est incontestable et présente par la pensée. Il serait un syllogisme parfait dans l’esprit, mais imparfait dans l’expression, et constituant donc un « accident de langage ». C’est ainsi que le discours politique, sans le savoir, est parsemé d’accidents de langage.
  • Le second slogan est curieusement écrit. « Continuons ENSEMBLE ». Le premier mot en minuscule, le second mot en majuscule. Pourquoi ? Pour donner plus de poids à « ensemble » ? Est-ce bien utile ? Parce qu’il faut préciser que le document original du texte reproduit ci-dessus occupe toute la surface d’une feuille 21 x 29,7 cm, un A4. Les lettres de « ENSEMBLE » mesurent 1,5 cm de hauteur. Serait-ce une édition pour mal-voyants ? Alors, posons-nous la question : Peut-on ne pas voir ?

Laurence SPICHER-BERNIER
Candidate UDI aux élections municipales de Savigny-sur-Orge
23 et 30 mars 2014
Journal électoral, A3 recto verso, 2 p. Bas de la page 1

« RACONTER DE BELLES HISTOIRES POLITIQUES… »

 « La gauche va briguer vos suffrages en mars 2014 comme François Hollande en mai 2012. Elle va vous raconter de belles histoires en vous promettant des lendemains qui chantent ! Avant de faire votre choix, il vaut mieux connaître les candidats de la Gauche savinienne ». (1) Les électeurs sont ainsi prévenus, par cette annonce, du dévoilement d’une vérité. Le discours politique accomplit un tour : révéler ce qui est ignoré, contribuer à un « mieux connaître ». Ambitieux programme !

C’est par ces deux phrases que Laurence SPICHER-BERNIER introduit son tract, distribué le 2 février 2014, sept semaines avant le premier tour du 23 mars. Un texte composé de quatre parties, chacune annoncée par un titre : « Un candidat socialiste…venu d’ailleurs », « Un candidat indépendant… exclu du PS et des Verts », « Un candidat populiste du Front de gauche », « Une députée écologiste fantôme… jamais à Savigny-sur-Orge ». Le sens de l’expression « belles histoires » relève de l’antiphrase. « Belles histoires » signifie : les histoires que racontent « la gauche » ne sont pas si belles, et les lendemains promis ne chanteront pas. Il convient alors de s’interroger, en appliquant un simple procédé de réciprocité, sur l’adéquation que ces histoires entretiennent avec la vérité, et sur la crédibilité de la dénonciation des lendemains annoncés par « la droite » de la maire en place, candidate à sa réélection. Une vérité critique, une crédibilité critique.

LE THÈME DU « PATHÈME »

Nous appliquons ici la méthode esquissée précédemment, dans un article en date du 11 décembre 2013 (2). Aux deux questions « Comment analyser les textes que la politique inspire ? », et « Comment décoder le discours politique ? », nous répondons en nous référant à la théorie du « pathème » proposée par Patrick CHARAUDEAU. Pour lui « le recours aux effets pathémiques est constitutif du discours politique». (3) Le pathème désigne une entité sémantique qui appartient au domaine passionnel. Comme l’indique Denis BERTRAND, le néologisme est formé à partir de la racine pathos et du suffixe -ème, -émique. Il  désigne l’unité minimale de description d’un phénomène pertinent à l’égard des sciences du langage. C’est ainsi que l’étude pathémique du discours politique est « une dimension qui fait l’objet de la sémiotique des passions et qui est complémentaire de la dimension pragmatique et cognitive appliquées à la transformation des « états de choses » et qui constituent le ressort de la narrativité » (4). Elle concerne la modulation des états du sujet, c’est-à-dire de ses « états d’âme » politiques.

L’ESPRIT DE CONFRONTATION

Dans un article consacré à l’argumentation et à l’analyse du discours, Alicja KACPRZAK reconnait que le discours ordinaire est souvent marqué par l’émotion. Elle note que le discours politique se distingue d’une façon radicale par rapport au discours ordinaire par deux caractéristiques : l’intensité des émotions et de la fréquence des affects exprimés. Pour elle, « la politique constitue un espace où plus qu’ailleurs, l’esprit de confrontation entraîne inévitablement des émotions fortes » (5).

« Si l’argumentation en politique cherche d’une façon générale à émouvoir, un choix est fait par l’auteur politique, orateur ou écrivain, entre les émotions positives et les émotions négatives qu’il veut susciter auprès du public.

  • les systèmes basés sur les valeurs de la démocratie recourent à un langage de conciliation, réunissant les citoyens autour d’objectifs partagés. Et si l’argumentation démocratique aboutit à l’émotivité, celle-ci présente un caractère affirmatif et constructif.
  • les systèmes autoritaires et plus particulièrement totalitaires, développent un tout autre discours fondé sur la confrontation, le refus de l’autre, voire la haine. »

À suivre


RÉFÉRENCES

1. SPICHER-BERNIER Laurence, « Élections municipales des 23 et 30 mars 2014, Agir pour vous. Continuons ensemble avec Laurence Spicher-Bernier, maire UDI de Savigny-sur-Orge », tract A3 recto verso.
2. MÉRIGOT Bernard,
« Savigny-sur-Orge. Décodage type d’un tract électoral (Éric Mehlhorn, candidat UMP) », http://www.savigny-avenir.info, 11 décembre 2013. http://www.savigny-avenir.fr/2013/12/11/savigny-sur-orge-decodage-type-dun-tract-electoral-eric-mehlhorn-candidat-ump/
3. CHARAUDEAU Patrick,
« Le discours politique. Les masques du pouvoir », Vuibert, 2005, 265 p.
4. BERTRAND Denis,
Précis de sémiotique, Paris, Nathan, 2000.
5. KACPRZAK Alicja
, « Le pathos négatif en tant que trait du discours politique totalitaire », Argumentation et Analyse du Discours, 10 | 2013,10 avril 2013, http://aad.revues.org/1427

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2014

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