La question sur le « bon » ou « mauvais » fonctionnement d’une mairie est-elle légitime ?

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°54, lundi 26 août 2013

DÉCODAGE

CONTEXTE. L’augmentation considérable depuis les années 2000 des budgets de communication des collectivités territoriales (communes, communautés, syndicats intercommunaux, conseils généraux…) a eu pour effet de transformer les citoyens en cibles d’une propagande permanente (luxueux bulletins municipaux, journaux de collectivités, plaquettes diverses, sites Internet, Twitter, Facebook…).
ENJEUX.
Le discours d’auto glorification que les pouvoirs en place tiennent sur leur action est devenu un discours territorialement dominant. On est en droit de se demander si une expression pluraliste et une appréciation critique ont encore une place. Est-elle encore tout simplement légitime ?

UNE MUNICIPALISATION DE LA PROPAGANDE ?

Les dispositifs sont connus. Les maires et les présidents des assemblées exécutives territoriales disposent de moyens considérables pour diffuser les informations qu’ils souhaitent, et cela sans aucun contrôle, si ce n’est de leur propre majorité. Les citoyens et les élus minoritaires se demandent si une pensée différente du discours dominant est tout simplement possible.

L’idée s’est lentement et discrètement imposée aux esprits des citoyens : le bulletin municipal (et les sites Internet officiels, abonnements automatiques aux Lettres, News et autres comptes Twitter…) sont le seul moyen qui s’impose à eux pour être  informés de ce qui se passe dans leur commune ou leur communauté. Il s’agit d’une source qui présente trois caractéristiques : institutionnelle, unique et non-contradictoire. Le maire, comme le président de la communauté, sont des directeurs de publications entièrement financées par des fonds publics. Ils disposent de collaborateurs pour rédiger, d’un service de communication pour « communiquer », de photographes pour illustrer, de maquettistes pour présenter, d’imprimeurs pour éditer, de distributeurs pour déposer dans toutes les boîtes à lettres bulletins, guides, lettres du maire…, de webmasters pour mettre en ligne 24 heure sur 24…

DISCRÉDITER LA MINORITÉ

C’est ainsi que l’on peut voir durant toute la durée d’un mandat (6 ans, ce qui est long…), un maire et sa petite majorité du conseil municipal, représentant 53% du conseil municipal, disposer de tous les moyens pour imposer une vision unique de la politique locale. Le problème commence à partir du moment où la ligne éditoriale ne consiste pas seulement à présenter la vie de la commune, mais à la justifier de façon manichéenne :

  • la majorité, c’est le bien,
  • la minorité, c’est le mal.

On a alors droit à toute une série de variations sous-tendues par des propositions comme :

  • Tout ce que fait la majorité est génial. Elle n’arrête pas de travailler pour le bien des habitants. Elle seule sait ce qu’il faut faire.
  • Tous les fonctionnaires territoriaux sont extraordinaires.
  • La mairie fonctionne d’une façon admirable…

Un pas supplémentaire est souvent franchi lorsque la majorité discrédite les membres de la minorité (ou des minorités) :

  • ils ne savent rien,
  • ils ne font rien,
  • ils ne pensent qu’a critiquer,
  • s’ils étaient au pouvoir, ce serait une catastrophe.

UNE MAIRIE PEUT MAL FONCTIONNER

Une mairie peut-elle mal fonctionner ? Oui, répond le sociologue Paul CHOMBART DE LAUWE. Il est intéressant de lire dans son livre Pour comprendre la France, au chapitre qu’il consacre au « Guide Aide-mémoire » de l’enquête sociale, cette phrase « La mairie, maison commune. Son organisation et son bon ou mauvais fonctionnement ». (1) Ainsi, l’enquêteur de terrain doit envisager qu’une mairie peut mal fonctionner. La question est donc légitime.

LE DROIT D’INVENTAIRE

Paul CHOMBART DE LAUWE a proposé cette démarche dans le cadre de l’École des cadres d’Uriage en 1947. Une étude critique de terrain concernant une institution publique est toujours légitime. Aujourd’hui, on écrirait que « l’inventaire de la gouvernance locale est un préalable de toute sociologie urbaine ». Il y a une différence entre deux attitudes. On voit certains membres de la classe politique s’interroger sur le « droit d’inventaire » concernant des actions politiques passées. On voit la recherche universitaire reconnaître le principe de l’examen critique («bon / mauvais») du fonctionnement des institutions publiques. Cette dernière position est conforme au principe d’égalité d’accès aux connaissances, à l’idéal démocratique et au fondement de la liberté citoyenne.

RÉFÉRENCES

CHOMBART DE LAUWE Paul, Pour comprendre la France, Les Presses de l’Ile-de-France, 1947, p.73

Paul-Henry Chombart de Lauwe (1913-1998). Sociologue, précurseur de la sociologie urbaine en France. Après avoir étudié l’anthropologie avec Marcel MAUSS, il effectue une recherche de terrain au Cameroun. Après la défaite de 1940, il participe à l’École des cadre d’Uriage puis rejoint la Résistance, quitte la France et s’engage dans l’armée française en Afrique du Nord en 1942. Pilote dans un groupe de chasse, il fait les campagnes d’Italie, des Vosges et d’Allemagne. Il reçoit à ce titre la Légion d’honneur et la Croix de guerre.

En 1945, il conduit ses premiers travaux au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur la sociologie urbaine.  En 1949, il fonde le Groupe d’ethnologie sociale et s’intéresse au milieu ouvrier. En 1952, le groupe publie un ouvrage sur Paris et son agglomération. De nombreuses enquêtes sociologiques aboutissent à la publication en 1956 de la Vie quotidienne des familles ouvrières. En 1959, le groupe devient le Centre d’ethnologie sociale. Entré à l’École pratique des hautes études, il y dirige, en tant que directeur d’études, un séminaire sur les transformations de la vie sociale et les processus d’interaction entre les individus, les groupes, la société. Après mai 1968, il oriente ses recherches vers les mouvements sociaux et le rôle des intellectuels.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°54, lundi 26 août 2013

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info/ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2013

This entry was posted in Action publique, Anthropologie politique, Citoyenneté active, Conseil municipal, Culture politique, Démocratie locale, Démocratie participative, Discrimination politique, Études du politique, Évaluation des politiques publiques, Expertise citoyenne, Expertise territoriale, Fonctionnaires territoriaux, Gouvernance locale, Idées politiques, Intelligence territoriale, Intercommunalité, Liberté d'expression municipale, Maires (Pouvoirs des), Majorité municipale, Maladies de la démocratie, Maltraitance démocratique, Minorité municipale, Pouvoir local, Services publics locaux, Territoires et démocratie locale. Bookmark the permalink.

Comments are closed.