L’engagement du chercheur en sciences sociales (Committments in the humanities and social sciences). Bernard Mérigot à l’École normale supérieure

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°49, 22 juillet 2013

L’intervention de Bernard MÉRIGOT à l’École Normale Supérieure

Bernard MÉRIGOT, responsable de la recherche-action «Territoires et démocratie locale» est intervenu au cours de la journée d’étude organisée à l’École normale supérieure de Cachan le vendredi 21 juin 2013. Cette importante manifestation scientifique, placée sous l’égide du CNRS, était organisée par Julie GARDA et Florent LE BOT. Elle portait sur les engagements du chercheur en sciences humaines et sociales. (1)

Bernard MÉRIGOT. Dans les pratiques ethnologiques et anthropologiques, l’enquête participante constitue aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, un idéal. Le chercheur aspirerait à se trouver « idéalement » dans une sorte de « neutralité bienveillante » à l’égard de son terrain, pour reprendre une formule empruntée à la pratique psychanalytique. Tout « engagement » qui lui ferait quitter cette position, constituerait en quelque sorte une transgression pernicieuse.

LE POUVOIR LOCAL
OBJET DE RECHERCHE

Dans le cas ou l’objet de la recherche porte par exemple sur l’exercice du pouvoir local, l’application de la règle de la neutralité bienveillante conduit le chercheur à exister selon un mode de connivence. Or aucun pouvoir ne pratique une neutralité bienveillante à l’égard d’une enquête de terrain, dès qu’un regard critique est posé. Par exemple lorsqu’on approche le quotidien d’un pouvoir exécutif territorial. Celui-ci peut passer à l’égard de l’enquête de terrain, par différents stades : indifférence, séduction, récupération, censure, irritation, menaces, harcèlement, exclusion… Le pouvoir en place veut exercer autant qu’il peut un pouvoir particulier : celui d’autoriser ou d’interdire le regard que l’on porte sur lui.

 LES POUVOIRS EN PLACE
CONTRE LA RECHERCHE

Comment se fait-il que l’idée selon laquelle l’engagement est nuisible demeure de façon sommes toutes dominante ? Il est toujours difficile de faire accepter, qu’en fait, c’est le non engagement qui impose des limites, qu’il est porteur d’un certain nombre d’effets dont celui de placer le chercheur dans une situation de dépendance. Il n’y a pas un « conflit d’intérêt » entre les trois termes : le terrain, le travail de la recherche qui s’accomplit, et l’image que le terrain et ses acteurs veulent donner. Il s’agirait plutôt d’un « conflit de méthode » qui tiendrait en une question : pourquoi ne reconnaît-on pas davantage le poids des pouvoirs en place sur la recherche ? Des pouvoirs en place, qui eux, ne pratiquent généralement pas la neutralité bienveillante.

 LES TROIS LIMITES OPPOSÉES
AUX RECHERCHES SUR LES POUVOIR LOCAUX
Illégalité. Injustice. Secret

La recherche de terrain est confrontée, de façon ouverte ou bien de façon détournée, à au moins trois limites. La limite de la légalité, c’est-à-dire, la découverte de l’illégalisme comme forme de gouvernance, qui qualifie les « arrangements » avec la loi comme pratique. La limite de la justice, qui laisse la plupart du temps sans sanction l’illégalisme. La limite de l’information, qui rend souvent inaccessibles nombre de documents publics. C’est ce à quoi me font penser les communications de Nicolas JOUNIN, de Delphine CORTEEL. (2)

OPEN DATA CITOYENS

Il y a un double engagement du chercheur. D’une part, il est engagé en tant qu’opérateur de terrain. D’autre part, il est engagé en tant qu’opérateur citoyen. Ces deux engagements constituent, selon la nature de son terrain,  et aux spécificités de sa recherche, à une confrontation avec une communauté, un groupe social, une collectivité, une institution…. Celle-ci comporte des contenus privés et des contenus publics.
Les contenus privés sont soit fermés, soit relativement ouverts, soit encore faussement ouverts, ce qui est compréhensible.
Quant-aux contenus publics, conformément aux lois démocratiques, ils devraient être en libre accès. Ce qui est loin d’être le cas. Nous sommes encore loin d’un esprit d’ouverture général aboutissant à des open data citoyens.

La question que je pose est la suivante. Est-ce qu’un engagement affirmé, en tant que « droit de regard citoyen » de la recherche et du chercheur – au sens le plus fort du terme (social, politique, militant) – n’est pas le seul moyen qui permette de dépasser les trois limites de l’illégalisme, de l’injustice, et du secret, étape d’accomplissement de l’ « objectivation participante » ?

Bernard MÉRIGOT
Recherche action « Territoire et démocratie locale »
Mail : contact@mieuxaborderlavenir.fr

RÉFÉRENCES

1. MÉRIGOT Bernard, « Les trois limites opposées aux recherches sur les pouvoirs locaux : illégalité, injustice, secret », Intervention à la journée d’étude « L’engagement du chercheur en sciences sociales (Committments in the humanities and social sciences) », École normale supérieure de Cachan, 21 juin 2013. Manifestation placée sous l’égide du CNRS, organisée par Julie GARDA et Florent LE BOT. Texte à paraître. Résumé en ligne sur ligne sur http://savigny-avenir.fr, 22 juillet 2013.
GARDA Julie, LE BOT Forent, Pour une cartographie des engagements du chercheur en sciences humaines et sociales, Journée d’études organisée par l’École normale supérieure de Cachan, et l’Institut fédératif en sciences sociales, Cachan, vendredi 21 juin 2013.

2. JOUNIN Nicolas,
« Apprendre en provoquant », Pour une cartographie des engagements du chercheur en sciences humaines et sociales, Journée d’études organisée par l’École normale supérieure de Cachan, et l’Institut fédératif en sciences sociales, Cachan, vendredi 21 juin 2013.
CORTEEL Delphine, «De l’anthropologie ouvrière à une ethnographie de la récupération et des récupérations. Enquête sur un parcours et des pratiques de recherche », Pour une cartographie des engagements du chercheur en sciences humaines et sociales, Journée d’études organisée par l’École normale supérieure de Cachan, et l’Institut fédératif en sciences sociales, Cachan, vendredi 21 juin 2013.

On lira aussi :
BROQUA Christophe,« L’ethnographie comme engagement : enquêter en terrain militant », Genèses, 2009, n°75, p. 109-124.
CEFAÏ Daniel et AMIRAUX Valérie,
« Les risques du métier. Engagements problématiques en sciences sociales », Culture et conflits, n°47, 2002.
HAMEL Jacques,
« Qu’est-ce que l’objectivation participante ? Pierre Bourdieu et les problèmes méthodologiques de l’objectivation en sociologie », Socio-logos. Revue de l’association française de sociologie, 2008.
LASCOUMES Pierre et LE BOURHIS Jean-Pierre
, « Le bien commun comme construit territorial. Identités d’action et procédures », Politix, n°42, 1998, p.37-66.
VESPIEREN Marie-Renée,
« Quand implication se conjugue avec distanciation : le cas de la recherche-action de type stratégique », Études de communication, Langage Information Médiations, n°25, 2002.

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR,
n°49, lundi 22 juillet 2013

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819. Dépôt légal du numérique, BNF 2013

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