Savigny-sur-Orge. Les commissions municipales sont-elles incompétentes ? (Pierre-Joseph Salazar)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°46, lundi 8 juillet 2013

CHRONIQUE SUR L’HYPERPOLITIQUE MUNICIPALE

Les séances des conseils municipaux sont publiques. Mais qu’est-ce qui est intelligible pour le citoyen lorsqu’il est spectateur de l’exercice quotidien du pouvoir municipal ? Répondre à la question suppose d’analyser la rhétorique que la pratique du pouvoir imposée dans son opposition au désir démocratique espéré.

DÉCODAGE

CONTEXTE. La communauté d’agglomération Les Portes de l’Essonne comprend 102 000 habitants. Elle est composée de cinq communes (Athis-Mons, Juvisy-sur-Orge, Morangis, Paray-Vieille-Poste, Savigny-sur-Orge). Son conseil de communauté est composé d’un certain nombre de délégués (les conseillers communautaires) représentant chaque commune. Ce nombre est modifié pour l’année 2014. Un premier vote a eu lieu lors du conseil de communauté le 24 juin 2013. (1) Chaque commune doit ensuite délibérer pour approuver cette nouvelle répartition. C’était le cas le vendredi 5 juillet 2013 pour le conseil municipal de Savigny-sur-Orge.
ENJEUX.
Accord des communes ou désaccord des communes entre elles ? Le choix est stratégique. Il conditionne les rapports de force entre les communes au sein de la communauté durant le prochain mandat 2014-2020. Mais les formes légales sont-elles complétement respectées?

 

Mairie de Savigny-sur-Orge. Salle du conseil municipal. Vendredi 5 juillet 2013, 8 heures 30 (du matin). La convocation a été adressée à 39 conseillers municipaux. Il y a de nombreux absents… Laurence SPICHER-BERNIER, maire, ouvre la séance. La délibération est intitulée « Nombre et répartition des sièges du conseil de communauté de la Communauté d’agglomération « Les Portes de l’Essonne ». C’est la seule délibération figurant à l’ordre du jour (2). Le maire lit la brève note de synthèse (3).

UNE QUESTION, DES RÉPONSES…

Le conseiller municipal minoritaire Jean-Marc DEFRÉMONT (PS) pose une question au maire. Le maire, Laurence SPICHER-BERNIER (UMP/PR/UDI, CNI…), ne lui répond pas. Elle donne la parole à un fonctionnaire territorial, Jean ARNAUD-GODDET, directeur général des services de la mairie. Voici le dialogue.

« Jean-Marc DEFRÉMONT. Nous n’avons pas d’observation sur le fond de cette délibération. En revanche, il y a une chose qui me surprend, c’est qu’elle n’ait pas fait l’objet préalablement à ce conseil d’une réunion de commission. Vous savez que pour traiter un point à l’ordre du jour, il doit y avoir une inscription. Vous rappelez souvent la loi. La loi existe. Pourquoi n’y a t-il pas eu de commission d’administration générale, dans la mesure où il n’y avait aucune urgence ?
Laurence SPICHER-BERNIER
. Monsieur le Directeur des services.
Jean ARNAUD-GODDET.
Merci, Madame le Maire. On a déjà répondu en son temps à ce type d’observation. Il se trouve qu’aucune commission n’a compétence en la matière. Par ailleurs, la délibération de la CALPE aurait dû nous être notifiée, ce qui à ce jour n’est pas le cas. Et j’ajoute encore que le conseil communautaire de la CALPE aurait dû faire l’objet d’une publicité dans les huit jours francs comme c’est le cas pour le conseil municipal. Nous n’avons toujours pas reçu le compte rendu.
Laurence SPICHER-BERNIER.
Nous passons au vote. »

LA QUESTION

Au sein d’une assemblée délibérante publique, comme un conseil municipal, la question de fond qui doit être posée à propos de ses débats est de se demander si les arguments utilisés par le pouvoir exécutif en place répondent aux questions posées par ses membres.

Larticulation rhétorique de la question posée est la suivante :

1. Les textes en vigueur prescrivent que toute délibération doit avoir été soumise à une commission municipale préalablement à son vote par le conseil municipal.
2. Or, la délibération qui fixe le nombre des délégués des cinq communes, présentée au conseil municipal du 5 juillet 2013, ne respecte pas cette obligation.
3. Donc, le pouvoir exécutif municipal ne respecte pas les règles qu’il a lui même fixées.

LA RÉPONSE

1. NON RESPECT DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR DU CONSEIL MUNICIPAL. Il est étonnant d’entendre que  le règlement intérieur du conseil municipal de la commune de Savigny-sur-Orge n’est pas respecté. L’article n° 3 du Règlement intérieur du conseil municipal, voté au cours de la séance du conseil municipal du 20 octobre 2008, est formel. Il établit que « Les délibérations inscrites à l’ordre du jour sont préalablement soumises pour instruction aux commissions compétentes ». Dans le cas présent, il n’y a pas eu ni instruction, ni avis.

2. INCOMPÉTENCES DES COMMISSIONS MUNICIPALES. Il est étonnant d’entendre affirmer qu’aucune commission municipale n’est compétente pour émettre un avis sur le nombre des conseillers communautaires. Rappelons que toutes les commissions municipales sont crées par le conseil municipal. Leurs membres sont élus par le conseil municipal.
On peut lire que la délibération en cause figure sur l’ordre du jour de la séance du conseil municipal de Savigny-sur-Orge datée du 28 juin 2013 sous la rubrique « Administration générale ». Or, il existe précisément dans la commune une commission municipale de l’administration générale qui est donc parfaitement compétente – elle porte le même nom que la rubrique figurant sur l’ordre du jour – pour émettre un avis sur la délibération.

3. AUTO-SAISISSEMENT PAR LE CONSEIL MUNICIPAL. Il est étonnant d’entendre que le conseil municipal délibère… alors que personne ne lui a demandé de le faire. Il s’agit d’un cas d’auto-saisissement par un conseil municipal d’une délibération approuvant celle d’un conseil de communauté, ce qui n’est pas prévu par les textes en vigueur.

4. ABSENCE DE PUBLICITÉ DE LA PART DE LA CALPE. Il est étonnant d’entendre que la communauté d’agglomération n’aurait pas satisfait aux règles de publicité de sa délibération du 24 juin 2013. Il s’agit d’un premier vice de forme de la CALPE. Et le conseil municipal en se prononçant, d’une part sur une délibération viciée, et d’autre part dans des conditions qui ne respectent pas son règlement intérieur, produit deux nouveaux vices de forme. Nous sommes à la fois dans le domaine d’une altération du caractère valable d’une délibération, et dans celui d’une altération de son intelligibilité morale.

L’ADMINISTRATION
DOIT-ELLE REMPLACER LES ÉLUS ?

On remarquera que le maire ne répond pas à une question aussi importante que celle de la représentation de la commune au sein de la communauté dont elle est membre, et laisse ce soin… au directeur général des services de la mairie. Deux observations.
Premièrement, les règles de la démocratie qui s’appliquent aux assemblées délibérantes locales voudraient que lorsqu’un fonctionnaire territorial s’exprime ès-qualité lors d’une séance de conseil municipal, ce soit hors séance. Le maire lève la séance lorsqu’une personne étrangère au conseil municipal s’exprime, et la reprend après qu’il se soit exprimé.
Deuxièmement, un conseil municipal est une assemblée au sein de laquelle ce sont ses membres qui prennent la parole. Pas des personnes qui n’en sont pas membres ! Des élus, et pas des fonctionnaires. Une question sur le budget de la commune ? La parole est au responsable administratif du service des finances ! Et pendant que l’on y est, chaque fois qu’une question est posée sur l’urbanisme, les travaux, le scolaire, le social, le culturel… pourquoi ne pas donner la parole chaque fois aux chefs de service ? Il s’agit d’une dérive qui voit les fonctionnaires municipaux prendre la place des élus.

LA MACHINE ADMINISTRATIVE NOUS FORCE

Le philosophe Philippe-Joseph SALAZAR, rappelant les travaux de Robert HARIMAN, affirme que le style administratif du pouvoir « est fondamentalement une comédie de mœurs : ceux qui sont en position de non-autorité feignent d’avoir du respect ou de la considération pour les détenteurs de position dans l’administration investis d’une mission de service public ou dépositaires de l’autorité publique. » (p. 125). La parole que nous adressons aux administrateurs, et, celle qu’ils nous adressent, « est un mélange incommode d’exigence, de ressentiment, d’hypocrisie et de mauvaise foi, un art public du faux-semblant.»

Philippe-Joseph SALAZAR propose une théorie des technologies morales de l’hyperpolitique, fondée sur quatre scénarios de tension, fondateurs chacun d’une éthique : entre la personne et le rôle, entre l’acte administratif isolé et le système, entre la technique administrative et la parole vive, entre « connaître » et « être au courant ». Sa conclusion est la suivante : « Nous sommes ignorants face à la machine administrative. Sa force est de nous forcer à nous décider, paradoxalement, à la fois « par ignorance et par connaissance de cause. » (p.127) (4)

N’oublions pas que le pouvoir, scénariste de l’idéologie administrative, provient de notre idée même de la rationalité du pouvoir. Or, bien qu’il s’efforce de prouver le contraire, le pouvoir n’est jamais complétement rationnel.


RÉFÉRENCES
1. COMMUNAUTÉ D’AGGLOMÉRATION LES PORTES DE L’ESSONNE (CALPE),
« Nombre et répartition des sièges du conseil de communauté, Délibération n°39, Séance du conseil de communauté du 24 juin 2013.
2. COMMUNE DE SAVIGNY-SUR-ORGE,
Convocation/Ordre du jour du conseil municipal du 5 juillet 2013, 1 p.
3. COMMUNE DE SAVIGNY-SUR-ORGE,
« Nombre et répartition des sièges du conseil de communauté de la Communauté d’agglomération « Les Portes de l’Essonne », Note de synthèse, Conseil municipal du 5 juillet 2013, 1 p.
COMMUNE DE SAVIGNY-SUR-ORGE,
Règlement intérieur du conseil municipal, Délibération du 20 octobre 2008, 18 p.
4. On se reportera aux articles déjà publiés sur www.savigny-avenir.info sur le même sujet et notamment sur les ouvrages suivants :
SALAZAR Philippe-Joseph, L’Hyperpolitique, une passion française, Technologies rhétoriques de la domination, Klincksieck, 2009, 198 p.
SALAZAR Philippe-Joseph,
Décrypter le discours des puissants, Bourin éditeur, 2011.
SALAZAR Philippe-Joseph, De l’art de séduire l’électeur indécis, Paris, Bourin éditeur, 2012.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder L’Avenir, lundi 8 juillet 2013
Territoires et démocratie numérique locale

(Cliquer sur le texte pour l’agrandir)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR,
n°46, lundi 8 juillet 2013

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info/ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2013

This entry was posted in Communauté d'agglomération les Portes Essonne (CALPE), Conseil municipal, Déni de démocratie, Gouvernance locale, Hyperpolitique, Intercommunalité, La lettre du lundi MALA/Savigny-avenir, Maires (Pouvoirs des), Majorité municipale, Maltraitance démocratique, Minorité municipale, Rhétorique politique, Territoires et démocratie locale. Bookmark the permalink.

Comments are closed.