La mémoire collective : partages et conflits (Joël Candau)

IL Y A DEUX MÉMOIRES COLLECTIVES

Joël CANDAU considère que « la mémoire socialement partagée est une hypothèse conjecturale » (1).

La notion de mémoire collective est marquée par des ambiguïtés. Elle peut en effet prendre deux sens :

  • soit celle d’une entité extérieure aux individus, qui en quelque sorte les « surplombe »,
  • soit celle d’une reproduction autonome du passé, qui émerge d’un ensemble de mémoires individuelles fonctionnant de façon parallèles.

LA MÉMOIRE COLLECTIVE SE PARTAGE-T-ELLE ?

La dimension sociale de la mémoire réside dans « un caractère empathique de sociabilité ». L’empathie, est la faculté de s’identifier à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent. Il existe une faculté pour chacun d’associer ses souvenirs à ceux des autres. La construction élaborée par Maurice HALBWACHS (2) établit que tout individu possède une mémoire individuelle socialement orientée.

La mémoire collective peut-elle être partagée ? Comment ? Roger BASTIDE y répond en partie. La mémoire collective est « un système d’interrelation de mémoires individuelles », le groupe ne conservant que « la structure des connexions entre les diverses mémoires individuelles ». Joël CANDAU voit dans ces connexions des éléments structurants qui jouent finalement le rôle de socio-transmetteurs. Il propose deux formes de mémoire qui sont susceptibles d’être partagées :

  • la protomémoire, qui est une mémoire procédurale,
  • la métamémoire, qui est une mémoire revendiquée.

PAS DE MÉMOIRE(S) COLLECTIVE(S) SANS CONFLIT(S)

Comment arriver à une représentation du passé qui soit acceptable par toutes les composantes d’une société ? La réponse ne va pas de soi, compte tenu de la diversité des caractères, des sentiments, des formations, des expériences, des modes de vie, des opinions, des engagements… Toutes les collectivités ont recours à des artifices pour tenter de fédérer leur groupe autour d’un consensus. Aussi, la mémoire s’emploie-t-elle constamment à organiser et à réorganiser le passé et à en remanier ses composantes.

Une multitude de stratégies sont à l’oeuvre : stratégies d’individus, stratégies des groupes, stratégies des courants d’opinion… Nous sommes loin d’un partage spontané d’une expérience unique vécue et transmise. La mémoire collective obéit à des déterminismes de solidarité et de mobilisation d’individus et de groupes. Ce sont ces déterminismes collectifs qui opèrent les tris incessants, les censures, les éliminations, les mises en valeur, les refoulements, les constructions d’idées politiquement correctes, l’élaboration des états successifs de la pensée unique…

Les conflits de mémoires sont révélateurs de crises profondes : « les distorsions de la mémoire provoquées par les différents conflits du passé apprennent plus sur une société donnée qu’une mémoire fidèle ».

RÉFÉRENCES

1. CANDAU Joël, Anthropologie de la mémoire, PUF, 1996.
CANDAU Joël, Anthropologie de la mémoire, Armand Colin, 2006.
Joël CANDAU, docteur en ethnologie, est professeur au département de Sociologie-Ethnologie de l’Université de Nice-Sophia Antipolis. Il est membre élu au Conseil national des Universités, membre de la section « Anthropologie sociale, ethnologie et langues régionales » du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (CTHS), membre de la Société d’Ethnologie Française, membre du Comité de rédaction de la revue Le monde alpin et rhodanien, expert pour l’AERES et directeur du Laboratoire d’Anthropologie et de Sociologie « Mémoire, Identité et Cognition sociale ».
2. HALBWACHS Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire.

© La Lettre de Bernard Mérigot, 2011

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