L’exercice des responsabilités politiques (Baltazar Gracian)

Quelles sont les qualités dont un élu doit faire preuve ? Voila une question qui se pose aussi bien à l’approche des différentes échéances électorales (municipale, cantonale, régionale, législative, sénatoriale, présidentielle, européenne), qu’à chaque étape de l’exercice quotidien du pouvoir comme de celui de l’action politique. D’une part, tous ceux qui détiennent un mandat doivent – en conscience – s’interroger pour eux-mêmes. D’autre part, ils doivent la poser aussi bien au sein des formations politiques auxquelles il appartiennent ainsi qu’aux divers partenaires de la vie publique qu’ils rencontrent.

ÉLIMINER « LE PUR MAUVAIS »

Comment trouver le « bon dans chaque chose » ? Baltazar GRACIAN répond qu’il suffit d’éliminer ceux qui ne cherchent que le « mauvais dans chaque chose », « qui ramassent le mauvais parmi beaucoup de bon; ils le séparent avec soin afin de n’avoir que du pur mauvais à mettre en oeuvre contre tout le genre humain » (p. 177).
Il dénonce ceux qui mettent en oeuvre le « pur mauvais ». « Vipères qui ne respirent et n’exhalent que le fiel ! Pestes publiques qu’aucune ville du monde ne devrait connaître dans ses enceintes sans les vomir à l’instant. J’oppose à ces esprits ulcérés des hommes critiques sans aigreur et sans passion. Voilà les dépositaires du bon et du vrai. C’est à ces juges équitables d’en connaître et de nous en imposer la loi » (p. 177).

L’HOMME JUDICIEUX ET CRITIQUE

L’esprit critique est une des qualités indispensables à l’exercice du pouvoir qui est « une qualité essentielle pour ceux qui sont établis pour gouverner » (p. 178). Il est tout à la fois « glorieux à la raison, nécessaire à la conduite et utile aux belles lettres », remplissant quatre fonctions représentées par quatre objets :

  • le flambeau qui éclaire ceux qui gouvernent sur les hommes aptes à remplir divers emplois,
  • la règle sur laquelle on mesure l’étendue des talents,
  • la balance où l’on pèse les services,
  • la pierre de touche qui sert à éprouver, en des circonstances délicates, la fidélité et l’attachement.

QU’EST-CE QUE LE CARACTÈRE JUDICIEUX ?

Le caractère judicieux attaché à toute critique, pour s’exercer, doit se défendre de trois défauts :

  • « le raffinement dans la compréhension »,
  • « la légèreté dans le jugement »,
  • « l’instabilité dans les principes ».

Pour éviter ces défauts, Baltazar GRACIAN formule trois règles :

  • on ne peut comprendre une chose qu’en proportion de la lumière qu’elle fournit à l’intelligence,
  • on ne doit juger qu’après avoir pesé le pour et le contre,
  • on ne doit point varier dans ses principes.

« Ainsi seront évitées les chimères, les faux jugements fondés sur l’apparence, les infidélités qui rendent esclaves, soit de la complaisance, soit du préjugé » (p. 176).

LES DEUX ÉCUEILS DU POUVOIR

Le point d’aboutissement des qualités manifestées par un homme judicieux et critique est d’éviter « ces deux écueils du gouvernement politique qui sont la passion et la surprise » (p. 178).

« Être surpris, c’est être trompé par autrui.
Agir par passion, c’est se tromper soi-même. »

Baltazar GRACIAN juge durement l’homme qui succombe : la surprise révèle un manque de prévoyance, la passion démontre la faiblesse.

LE FOND, LES REPLIS, L’ÉTENDUE

Les phrases de Baltazar GRACIAN, écrites il y a plus de quatre siècles, en brossant le portrait de « l’homme judicieux et critique », dessinent un propos étonnamment pertinent pour notre époque. A l’égard de ceux qui prônent la relativité des systèmes de pensée, des idées et des oeuvres, on oppose la hiérarchie des valeurs : « un critique n’a d’autre but que la connaissance du vrai et du faux ».
Vis à vis de ceux qui évoquent les impératifs, et réclament un silence approbateur, Baltazar GRACIAN rappelle cette description de l’homme judicieux et critique en action :

« Attentif, il sonde d’abord le fond,
Éclairé, il en développe peu à peu les replis,
Judicieux, il en mesure avec équité l’étendue.
Critique de bonne foi, il décide sans préjugé, soit l’approbation, soit le blâme ».

Voilà quelques idées édifiantes, fondatrices d’une éthique politique à laquelle nous souscrivons.

Comme Baltazar GRACIAN le souligne, « le suffrage d ‘un seul homme judicieux et critique prévaudra tôt ou tard sur toutes les acclamations » (p. 175).

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES
Baltazar GRACIAN (1601-1658).
GRACIAN Baltazar, El discreto de Lorenço Gracian.
GRACIAN Baltazar, L’Homme universel, 1723, Traduction de Joseph de COUBERVILLE.
GRACIAN Baltazar, L’Hommme universel, Editions Plasma, Collection Les Feuilles vives, 1986.

© Bernard MÉRIGOT (2011) – Le Journal des indépendants, Édition de l’Essonne (1986)

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