Un mauvais général inspire-t-il confiance ? (Machiavel)

Machiavel à Savigny-sur-Orge

La vie politique contemporaine use – et abuse – de métaphores militaires. Celles-ci s’inscrivent dans la continuité des historiens romains et de leurs commentateurs. Il n’y a pas d’histoire de Rome sans histoire militaire : liste de combats et de batailles, portraits de chefs militaires, récits de victoires et de défaites des armées romaines. Nicolas MACHIAVEL (1469-1527), dans ses « Discours sur la première décade de Tite-Live » (1) propose, à partir d’exemples empruntés à l’histoire romaine, un certain nombre de réflexions décisives sur l’exercice du pouvoir. C’est ainsi qu’il pose gravement cette question impertinente : « Qui doit inspirer le plus de confiance : un bon général qui a une mauvaise armée, ou une bonne armée commandée par un mauvais général ? (2).

L’AUTORITÉ DU CHEF EST-ELLE ABSOLUE ?

On est en droit de se demander tout d’abord si l’autorité absolue que le chef exerce est indispensable à l’existence du commandement militaire. MACHIAVEL ne le pense pas car il constate qu’ « on voit dans plusieurs endroits de l’histoire romaine des soldats privés de général donner des preuves étonnantes de bravoure et montrer (…) plus d’ordre et d’intrépidité qu’auparavant ». (3)

Un chef, quelles que soient ses qualités, ne peut seul remporter aucune victoire : il doit compter avec ses soldats, leur accordant sa confiance, leur déléguant des responsabilités. On pressent déjà la réponse réaliste, fondée sur la formation des hommes que MACHIAVEL apporte à la question qu’il a posée : « Il est plus facile à beaucoup d’hommes qui ont du mérite d’en rencontrer ou d’en former un qui leur ressemble, qu’il ne l’est à un seul d’en former plusieurs de ce genre. » (4)

LA FORMATION DES CHEFS

MACHIAVEL prend le pari qu’un mauvais général peut être transformé par la pratique du commandement d’une bonne armée. Il croit à l’amélioration des chefs au contact des réalités concrètes. La formation des chefs de l’armée romaine, tout comme celle des responsables de n’importe quelle collectivité humaine, est posée : tout être humain est perfectible à la condition, d’une part, de reconnaître ne pas détenir seul la vérité, et d’autre part, d’accepter d’apprendre au contact des autres. Avec humilité.

LA POLITIQUE DOIT INSPIRER CONFIANCE

MACHIAVEL propose une idée qu’il est intéressant de rappeler à tous ceux qui exercent un pouvoir : la politique doit inspirer confiance. Pas seulement au moment des élections, mais pendant tout l’exercice des mandats, qu’ils soient municipaux, départementaux, régionaux, législatifs, sénatoriaux, présidentiels, européens. C’est à l’épreuve quotidienne de l’exercice du pouvoir que ceux qui l’exercent sont jugés comme étant dignes – dans la durée – de la confiance accordée par les élections. Que ce soit la confiance directe des électeurs pour l’élection d’un conseil municipal. Que ce soit la confiance des membres d’un conseil municipal pour l’élection d’un maire. Par exemple.

LE MÉRITE ET LE DEVOIR DE FORMER

Lorsque l’on consulte les jeunes générations en âge de voter, on constate que l’opinion qu’ils ont – globalement – de la politique, et des hommes politiques, n’est pas favorable à ces derniers. MACHIAVEL écrivait qu’ « il appartient aux hommes qui ont du mérite de former des hommes qui leur ressemblent ». (5) Dans le cas contraire, on se trouve dans la situation du mauvais général et de la mauvaise armée. A ceux qui ont le mérite de la fidélité à leurs convictions, il incombe de contribuer à former de façon responsable des hommes et des femmes qui doivent exercer des responsabilités politiques. C’est-à-dire former des hommes et des femmes qui ne défendent pas un programme au moment des élections, et qui, une fois au pouvoir, soit l’oublient subitement, soit font exactement le contraire.

Voilà quelques idées édifiantes, fondatrices d’une éthique politique à laquelle nous  souscrivons pleinement. Elles sont autant de raisons pour espérer. Comme le souligne MACHIAVEL, « Les hommes, quoique sujets à se tromper sur le général, ne se trompent pas sur le particulier. » (6).

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES
1. MACHIAVEL Nicolas, Discours sur la première décade de Tite-Live, Berger-Levrault, 1980, Collection Stratégies. Préface de Claude LEFORT. Traduit de l’italien par Toussaint GUIRAUDET, Édition établie et annotée par Annick PÉLISSIER.
2. Titre du chapitre du Livre III, Chapitre XIII, p.285-287.
3. La phrase est de Tite-Live. p.286
4. p.186.
5. p.287
6. Titre du chapitre du Livre I, Chapitre 47, p. 124-127.

BIBLIOGRAPHIE
LEFORT, Claude, Le Travail de l’oeuvre Machiavel, Livre de poche, 1986.
BEC, Christian, Machiavel, une vie, une oeuvre, une époque, Balland, 1985, 411 p. Sur les « Discours sur la première décade de Tite-Live », voir p. 225-262.
BORSELLINO, Machiavelli, Bari, Laterza, 1973, p.131. Il note que pour Machiavel, « la corruption des organismes politiques est une donnée inévitable, comme le cycle biologiquement non modifiable de la vie et de la mort. »

© Bernard MÉRIGOT (2011) – Le Journal des indépendants, Édition Essonne (1986)

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