L’anthropologie politique doit avoir sa place dans l’espace public. Voeux pour l’année 2019 de Bernard Mérigot.

TERRITOIRES ET DÉMOCRATIE NUMÉRIQUE LOCALE

Les mois de novembre et de décembre de l’année 2018, avec leurs manifestations hebdomadaires des « gilets jaunes » chaque samedi, dans toute la France, constituent des symptômes de l’état de santé de la démocratie française. Ils nous obligent à faire un constat réaliste : la communication sociale et politique entre les citoyens et l’État ne répond pas ce que la société française attend de la démocratie dont l’organisation générale est aujourd’hui vieille d’un peu plus de deux siècles. (1)

Aimé CÉSAIRE (1913-2008). Street Art. Portrait peint sur une armoire électrique, 77 rue Saint-Jacques, Paris 5e, « Illustres C215 Autour du Panthéon », 3 décembre 2018. © Photographie Bernard Mérigot.

LA PERTE DE CRÉDIT
DE LA PAROLE DE L’ÉTAT

L’année 2018 demeurera celle d’un moment de décrochage : une majorité de citoyens a manifesté sa perte de confiance à l’égard de la parole de l’État, du gouvernement, de son administration, de ses juges. Le mythe de l’État bienveillant, impartial et protecteur, ce fantasme qu’une majorité de médias en place rappellent d’une façon compulsive, s’est soudain fissuré.

Des hommes, des femmes, des familles ont été lacrimogènéisés, arrosés, frappés, flashballés, interpellés, fouillés, gardés à vue, jugés en comparution immédiate… La simple présence dans la rue s’est transformée en une « participation à une manifestation interdite », la possession d’un masque en papier ou d’un flacon de collyre ophtalmique est devenue une preuve. Un tournevis, trouvé dans une poche, s’est transformé en une arme par destination. Au cours de ces journées, nombre de citoyens ont été atteints dans leur dignité et dans leur corps.

Les policiers, envoyés dans la rue pour contenir une situation que les instances politiques n’ont ni voulue, ni sue résoudre – quand elles ne l’ont provoquée par des déclarations – ont été des cibles de substitution. Obéissant aux ordres donnés, leur simple présence ainsi que leurs interventions ont souvent créé des situations d’affrontement qui auraient pu être évitées. Ils ont été les objets d’une violence qui s’adressait en fait aux responsables de l’État : Emmanuel MACRON, président de la République, Édouard PHILIPPE, Premier ministre, aux ministres, aux députés et sénateurs de la majorité gouvernementale, aux fonctionnaires…

LES TENDANCES NÉGATIVES DE LA COMMUNICATION PUBLIQUE

Personne ne peut réfléchir seul, avec ses expériences et ses propres connaissances, à ce type de situation. Nous avons besoin de ceux dont la fonction est précisément de chercher, d’enseigner, et de réfléchir à l’état de nos sociétés. Nous devons les interroger. Que disent-ils ?

« Les formes de communication actuelles aboutissent à des conflits rituels marqués par la brutalité et la simplification des messages » constate le sociologue polonaise Maciej GDULA dans un article intitulé « Perspective de la sociologie dans le nouvel espace public » (« Prospect for Sociology in the New Public Sphere »). Il poursuit en soulignant que des « tendances négatives hantent notre communication publique ». (« negative tendencies haunting our public communication »). (1)

 DONNER UNE VOIX AUX CLASSES POPULAIRES

Maciej GDULA propose une solution simple pour remédier à cette situation : que les disciplines universitaires et scientifiques comme la sociologie, l’anthropologie ainsi que les autres sciences humaines et sociales, par leurs travaux de recherche, occupent une place nouvelle dans l’espace public. Pourquoi ? Parce qu’elles ont une tâche importante à accomplir : « donner une voix réelle au peuple pour qu’il ait une place dans la sphère publique. Pour moi, il est particulièrement important de créer un espace pour les classes populaires et de montrer leurs perspectives et leurs expériences. » (An important task of sociology is to give a real voice to people for whom there is little room in the public sphere. For me it is particularly important to create a space for the popular classes and show their perspectives and experiences »).

PRENDRE POSITION

Les sciences sociales doivent « se positionner », c’est-à-dire se situer par rapport aux autres acteurs de la sphère publique. Comme les deux forces manifestantes le font, les gilets jaunes d’une part, et les forces de l’ordre d’autre part, lorsqu’elles prennent position sur les Champs-Élysées à Paris, dans les rues de Toulouse, de Nantes, de Bordeaux, de Colmar…, sur un rond-point, ou  à un péage d’autoroute.

RÉSISTER AUX PRESSIONS

Pour Maciej GDULA, la démarche des chercheurs en sciences sociales, par sa nature, est distincte et en opposition radicale à celle des journalistes et à celle des politiciens. « La sociologie est différente en raison de sa sensibilité, de ses connaissances, et de son autonomie par rapport aux rivalités pour capter l’attention sociale », ce qui traduit par une « distance par rapport aux pressions des conflits politiques ».

POUR UN DROIT À LA DÉFINITION
DE LA RÉALITÉ SOCIALE ET POLITIQUE

Alors, quels voeux ? Nous reprendrons pour le compte de l’anthropologie politique la conclusion que Maciej GDULA propose comme mission pour la sociologie, qui consiste à « constituer un contrepoids aux autres acteurs de la sphère publique en limitant leur pouvoir ».

Que souhaitons-nous pour l’année nouvelle ainsi que les suivantes ? Tout simplement que le discours pris en considération pour décrire la réalité sociale ne soit jamais – d’une façon unilatérale et verticale – celui des pouvoirs en place. Ni celui du pouvoir d’État, ni celui des moyens de communication institutionnels. Et voir la démocratie, de façon permanente, « remettre en cause la réalité », comme le formule Luc BOLTANSKI, lorsqu’il pose cette question : « Comment maintenir la singularité de chaque expérience tout en favorisant la mise en place d’équivalences permettant des transmissions, des accords, et ce que l’on appelle couramment des mobilisations ? » (3)

Tous les articles de notre site http://savigny-avenir.fr sont librement consultables. Leur publication est supportée par une structure associative et collaborative, le Groupe Mieux Aborder L’Avenir (MALA). A l’occasion de la nouvelle année, son Conseil d’orientation adresse ses remerciements à l’intention de tous ses lecteurs et de toutes ses lectrices qui suivent ses publications depuis sa création en 2010 et qui lui apportent leur soutien par leurs dons.

Pour le Groupe Mieux Aborder L’Avenir (MALA)
Bernard MÉRIGOT
Rédacteur en chef

RÉFÉRENCES

1. L’agenda des manifestations des « gilets jaunes » s’énonce, chaque samedi, en terme d’ « actes ». On en compte sept au 31 décembre 2018 : 17 novembre 2018 (Acte I), 24 novembre 2018 (Acte II), 1er décembre 2018 (Acte III), 8 décembre 2018 (Acte IV), 15 décembre 2018 (Acte V), 22 décembre 2018 (Acte VI), 29 décembre 2018 (Acte VII).

2. GDULA Maciej, « Prospect for Sociology in the New Public Sphere », Dialogue, International, Sociological Association (ISA), décembre 2018, n°3, p. 51. (Édition anglaise).
Maciej GDULA est professeur de Sociologie à l’Université de Warsovie (Warsaw), Pologne. « Counterbalance current forms of communication that have a tendency to end in ritual conflicts, in which the brutalization and simplification of the message reign supreme.» 

3. BOLTANSKI Luc, « Remettre en cause la réalité. Un entretien avec le sociologue Luc Boltanski », Global Dialogue, Magazine of the International Sociological Association (ISA), janvier 2017, (Édition française). Entretien avec Laura Chartain et Marine Jeanne Boisson, http://isa-global-dialogue.net/remettre-en-cause-la-realite-un-entretien-avec-le-sociologue-francais-luc-boltanski/

« Écouter la voix des citoyens » est le voeu que le Conseil d’orientation de notre média numérique Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL), mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info adresse à tous ses lecteurs pour l’année 2019. Il les remercie de leur fidélité et de leur soutien.

Aimé CÉSAIRE (1913-2008). Street Art. Portrait peint sur une armoire électrique, 77 rue Saint-Jacques, près du carrefour avec la rue des Écoles, Paris 5e, 3 décembre 2018. © Photographie Bernard Mérigot

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

  • Aimé CÉSAIRE (1913-2008). Street Art. Portrait peint sur une armoire électrique, 77 rue Saint-Jacques, Paris 5e, « Illustres C215 Autour du Panthéon », 3 décembre 2018. © Photographie Bernard Mérigot.
  • Aimé CÉSAIRE (1913-2008). Street-Art. Portrait peint sur une armoire électrique, 77 rue Saint-Jacques, près de l’angle avec la rue des Écoles, Paris 5e, 3 décembre 2018. © Photographie Bernard Mérigot.

Thèmes des vœux de nouvelle année présentés par Bernard MÉRIGOT, rédacteur en chef de de Territoires et démocratie numérique locale (TDNL)de 2010 à 2018.

  • 2019.  «L’anthropologie politique doit avoir sa place dans l’espace public
  • 2018.  « Contre la fin du monde »  (Paul Valéry et Jean-Claude Schmitt).
  • 2017. « Qui s’y frotte, s’y pique » (Ne toquès mi, je poins)
  • 2016. « L ‘événement n’est pas ce qu’on peut voir, mais ce qu’il devient ».
  • 2015. « Paix, solidarités et espérances durables ».
  • 2014. « Les nouvelles exigences du bonheur citoyen »(John Dewey)
  • 2013. « La démocratie, c’est partout, et tout le temps » (Pierre Mendès-France)
  • 2012. « Que nos pratiques correspondent à nos idéaux »
  • 2011. « En finir avec l’exploitation des peurs et des humiliations »
  • 2010. « Regarder l’année passée aussi bien que celle à venir »

Vœux de nouvelle année en ligne sur http://savigny-avenir.info

Territoires et Démocratie numérique locale (TDNL) est un media numérique mis en ligne sur le site http://savigny-avenir.info. ISSN 2261-1819 BNF. Dépôt légal du numérique, 2018 Le site est supporté par une structure associative et collaborative, indépendante, sans publicités et sans but lucratif, le Groupe Mieux Aborder L’Avenir (MALA). Vous pouvez nous aider par vos dons. Tous les articles en ligne sont consultables gratuitement dans leur totalité. Un article peut être reproduit à la condition de citer sa provenance et en faisant figurer son lien http://
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