La vielle en Vendée. L’enquête de Laurent Texier sur un instrument de musique traditionnel (Bernard Mérigot)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°126, lundi 12 janvier 2015

L’interruption d’une pratique efface-t-elle la mémoire collective ? La majorité de nos connaissances sont constituées par des faits culturels que nous recevons comme étant évidents. On oublie de se méfier de ce qui est unanimement reconnu. La pratique ou la non pratique d’un instrument de musique – ou d’une danse – dans une région donnée, à une époque donnée, constitue l’un de ces faits d’évidence. On croit savoir de façon certaine ce qui a été et ce qui n’a pas été. C’est sans compter avec le regard nouveau que produisent les recherches et les enquêtes de terrain.

C’est ainsi que la question de l’inexistence d’une histoire de la pratique de la vielle dans le département de la Vendée, lorsqu’on l’évoquait dans les années 1970-1980, faisait l’unanimité : tout le monde s’accordait pour reconnaitre qu’il n’y avait jamais eu de pratique de la vielle en Vendée à la fin du XIXe siècle. En fait le souvenir de cet instrument s’était effacé lentement, au point de disparaître presque complètement de la mémoire. Il a fallu attendre les travaux de recherche de Jean-Loïc LE QUELLEC (1) et de Laurent TIXIER (2) pour pour que soit démontré que la vielle possédait une tradition en Vendée.

Bernard MÉRIGOT

On lira ci-dessous la préface que Bernard MÉRIGOT a écrite pour le livre La vielle en Vendée. Enquête sur un instrument de musique traditionnelle de Laurent TIXIER, publié en 1988 (3)
 La vielle en Vendée Enquête sur un instrument de musique traditionnel (1988) ISBN 2-9502991-0-5 Archives du Groupe de recherche sur le marais Breton-vendéen / CAD

DOCUMENT

RECONSTRUIRE L’HISTOIRE DE LA VIELLE EN VENDÉE

Faire l’histoire des musiques et des danses traditionnelles pendant la période des années 1880-1950 semble, à première vue, constituer une entreprise impossible. En effet, rien ne paraît plus difficile que saisir des pratiques qui reposent, par nature, sur des modes de transmission oraux ne produisant pas de traces archivables. Les quelques photographies et les quelques renseignements sonores (disques, bandes magnétiques…), lorsqu’ils existent, sont de bien pauvres documents. L’essentiel manque.

  • Que savons-nous sur ceux qui jouaient ?
  • Quel était leur répertoire ?
  • Comment a-t-il évolué ?
  • Comment ont-ils appris à jouer ?
  • De quels instruments se sont-ils servis ?
  • Quels musiciens ont-ils formés ?

Le cas de la pratique de la vieille dans le département de la Vendée est particulier car son souvenir s’est effacé lentement, au point de disparaître presque complétement. Laurent TIXIER, grâce à ses recherches conduites avec l’appuit du Groupe de recherche sur le Marais Breton Vendéen (GRMBV), est parvenu à montrer que la vielle possédait une tradition en Vendée. Sa démarche d’enquête ethnologique a consisté à partir à la rencontre des joueurs de vieille en s’entretenant avec leurs descendants. L’histoire qu’il a reconstruite est chaque fois composée d’au moins trois sortes d’histoires : histoire d’un homme, l’histoire d’un instrument de musique, et l’histoire d’une famille, lieu de transmission des traditions et des objets se transmettent.

 Laurent TIXIER Concert de vielle La Barre-de-Monts (Vendée), le 18 août 1988 © Groupe de recherche sur le marais Breton-vendéen / CAD / Photo Bernard Mérigot

HISTOIRE D’HOMMES

Histoires d’hommes. C’est Auguste MANDIN, né à La Chapelle-Achard en 1868  qui, après avoir acheté une vielle à Saint-Mathurin, anime bals et fêtes de la région de 1888 à 1908. C’est Aimé GUILLEBEAU, dit « Pierrit »  mène une noce au son de sa vielle, sans doute le 2 mai 1899 à Martinet comme en témoigne une photo. C’est Jean-Marie VIAUD dit « l’ Ebrasté », né à Soullans en 1867 et décédé en 1943, qui sonne de la vielle dans les noces de 1910 à 1930.  C’est Célestin BUDAIL né en 1866 à Vairé, qui anime les noces à la fin du siècle.

HISTOIRES D’INSTRUMENTS

Histoires d’instruments, ensuite. Instruments fabriqués, achetés, cassés, réparés, perdus, brûlés…  C’est Henri BOURCEREAU, né à la Mothe-Achard en 1911, qui achète la vielle du père VIOLLEAU de Saint-Julien-des-Landes en 1926.  C’est Henry ROGER, né à Saint-Vincent-sur-Graon en 1875, qui après avoir construit une vielle en 1895, la transmet à son fils Pierre ROGER Après le décès de ce dernier, ses enfants brûlent l’instrument pendant l’hiver 1985-1986, avec de vieux morceaux de bois…

HISTOIRES DE FAMILLE

Histoires de familles, enfin. Vielles prêtées, données, léguées ou reçues en héritage… Monsieur BUDAIL, dit « Tonton la Bête », né à Vairé vers 1850, qui y anime les noces. Il donne sa vielle à son neveu, Célestin BUDAIL, qui poursuit la tradition. Lui-même la transmet, vers 1930 à son petit-fils, Robert SOUZEAU actuel possesseur de l’instrument. C’est la dynastie MANDIN, à Grosbreuil, qui comprend une suite de trois générations de joueurs de vielle.

DE GÉNÉRATION EN GÉNÉRATION…

Tout le monde – ou presque – se déclare favorable à la préservation et à la conservation du patrimoine culturel. La mise en pratique d’un tel programme suppose la continuité de la chaîne de transmission de génération en génération. Nous savons que, dans le cas de la pratique de la vielle en Vendée, la chaîne de la transmission s’est interrompue approximativement de 1940 à 1980, soit pendant près de trente années, ce qui correspond à la durée moyenne d’une génération.

  Deux réflexions s’imposent. D’une part, les chercheurs d’aujourd’hui doivent s’interroger sur les archives – archives non seulement écrites (photographiques, audiovisuelles) mais aussi archives humaines – que nos générations sont appelées à laisser aux chercheurs qui, dans cinquante ans par exemple, se demanderont quelles musiques étaient jouées, avec quels instruments, dans quelles circonstances, devant quels publics. Le pick-up des années 1960, ou la chaîne Hi-Fi des années 1980, n’existaient pas.

LES MODES DE VIE D’UN LIEU ET D’UNE ÉPOQUE

La tâche ne consiste pas à inventer une mémoire, mais à la réinventer à partir d’un minimum d’archives. Elle est complexe car il ne s’agit pas de transmettre n’importe quelles connaissances, et de les diffuser n’importe comment : il faut rassembler, par un travail de recherche critique les données qui, accompagnant les objets, documents, et témoignages, permettent une compréhension et une interprétation ultérieure. Cela ne concerne pas seulement des pratiques, mais aussi des modes de vie, des rites… d’une époque et d’un lieu donné.

TRANSMETTRE DES SAVOIRS VIVANTS

D’autre part, la reconstitution des pratiques du passé des musiques traditionnelles ne doit pas avoir pour effet de solidifier des savoirs approximatifs. Tout au contraire, elle doit constituer un savoir vivant. Dans notre réflexion sur l’histoire des musiques traditionnelles, l’attention portée au siècle qui nous précède (1880-1980) ne doit pas nous empêcher d’être attentif aux pratiques musicales que nous côtoyons aujourd’hui.

La recherche ethnologique dans le domaine des arts et traditions populaires ne saurait se limiter à porter témoignage d’une mémoire morte : elle ne peut pas refuser de répondre à l’injonction que la « demande sociale » lui adresse : celle d’être acteur de cette mémoire. (3)

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES

1. LE QUELLEC, Jean-Loïc, « Vielle et vielleux de Vendée » Société d’Etudes Folkloriques du Centre-Ouest, Tome XIII, n°1, janvier-février 1979, p.14-22

2. TIXIER,Laurent, La Vielle en Vendée : Enquête sur un instrument de musique traditionnelle, C.A.D., 1988, Saint-Jean-de-Monts, 67 p. ISBN 2-9502991-0-5 Trois productions sonores (disques) de Laurent TIXIER, réalisées à l’époque, doivent être signalées :
•  
  La Marienne, « Un bal en Vendée » Édition Eden Productions, 1996/1998.
•  
  La Marienne, « Chap’ti l’va loin » Édition Eden Productions, 1991/1997.
•  
  La Marienne, « Poitou-Vendée » Édition M.A.D., 1988.

3. MÉRIGOT Bernard, « Préface », in TIXIER, Laurent, La Vielle en Vendée : Enquête sur un instrument de musique traditionnelle, C.A.D., Saint-Jean-de-Monts, p. 5-6. ISBN 2-9502991-0-5.

Publications de Laurent TIXIER

  • Déculture et Déconfiture, Essai, Éditions Charles Corlet, 2016
  • D’Âmes en Lames. Les Grands Duels de l’Histoire, Éditions Charles Corlet, 2016
  • La Tragédie des Acteurs ou Scène de Guerre, Éditions Charles Corlet, 2015. (Label de la Mission Nationale du Centenaire de la Première Guerre Mondiale. Coup de Cœur du Prix Pierre Jakez Hélias de l’Association des Écrivains Bretons, 2016.
  • Dossier Spécial sur la Vielle, Trad Magazine, no 54, p. 30-33, 1997
  • La Vielle en Vendée, Édition CAD, 1988
  • « La Vielle en Pays Vendéen », Tradition Vivante, no 8, p. 51-56, 1986
  • Research and Renaissance of the vielle in the Vendée, Sinfonye, n° 6, 1986. p. 21-26.

«Laurent Tixier», Entretien, in LECOMTE Pauline, Le Paradoxe vendéen, Albin Michel, 2004, p.157-161.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir n°126, lundi 12 janvier 2015

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info ISSN 2261-1819 Dépôt légal du numérique, BNF 2015

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