Le lieu du texte et le lien des auteurs. Introduction (Sigmund Freud, Jacques Lacan)

En mars 1974, la revue Europe consacre un numéro spécial à Sigmund FREUD (1856-1939). La critique littéraire du fondateur de la psychanalyse fait apparaître la notion de « lieu du texte » étudiée par Bernard MÉRIGOT. Extraits. (1)

« Le lieu du texte serait le lieu même du texte : celui de son écriture reconnue. Mais, c’est là sans compter avec cette bizarre opération qui a nom lecture et dont dépend tout un discours critique qui s’occupe précisément de la littérature ». (2)

« La question du lieu du texte pose celle de la matérialité. C’est l’occasion d’effectuer un passage du lieu du texte à ce qui constitue pour Jacques Lacan, le lieu de la lettre. Indiquons seulement ici, en ce qui concerne la lettre, cette phrase extraite de L’instance de la lettre dans l’inconscient : « Nous désignons par lettre ce support matériel que le discours concret empreinte au langage ». (3)

LE LIEU DE LA LETTRE

Le texte de Jacques Lacan où il est question, de façon la plus manifeste du lieu de la lettre, est évidemment Le séminaire sur « La Lettre volée » qui prend son nom à la nouvelle d’Edgar Poe. On sait qu’il y est question d’une lettre que des policiers cherchent sans parvenir à la trouver. Ils explorent les fonds des tiroirs, défont les garnitures des sièges, sondent l’épaisseur de la reliure des livres. Les policiers ayant cherché partout, on est en droit de se demander comment il se fait que la lettre n’ait été trouvée nulle part. Jacques Lacan demande s’il faut que la lettre, entre tous ces objets, ait été douée de la propriété de nullibiété. L’exemple montre les rapports que la lettre entretient avec le lieu. Ces rapports sont singuliers « car ce sont ceux-là mêmes qu’avec le lieu entretient le signifiant ». (4)

JE SAIS BIEN…

Je sais bien mais quand même… On connaît cette formule devenue fameuse qui constitue sous la plume d’O. Mannoni l’en-tête de ses Clefs pour l’Imaginaire. (5) L’ouverture à la question de la croyance qu’elle introduit bien rappeler, si besoin est, que la pratique psychanalytique est amenée à s’interroger sur la croyance. La moindre expérience que l’on ait en la matière, suffit pour situer la place de la croyance dans des cas de névrose obsessionnelle ou de psychose paranoïaque.

LA CROYANCE, LES CROYANCES

Déjà en 1897, Freud établissait ce qu’il nommait la « transposition de la croyance » (Glaubensversetzubg). Pour lui, la croyance (Glauben), tout comme le doute, est un phénomène qui appartient totalement au système du moi conscient. Elle n’a pas de pendant dans l’inconscient. « Dans les névroses, la croyance se trouve déplacée ; toutes créances est refusée aux matériaux refoulés quand ceux-ci tentent de resurgir alors qu’elle se trouve accordée – par punition, pourrait-on dire – aux matériaux de la défense. » (6) En ce qui concerne la paranoïa, Freud écrivait que le refoulement (Verdrängun) se réalise après un processus mental complexe dans lequel intervient tantôt le rejet de la croyance (Ablehnung des Glauben) tantôt son retrait (Versagen des Glaubens). (7)

Jacques Lacan évoque également la question de la croyance dans la paranoïa. Il parle de la solidité de la prise en masse de la chaîne signifiante (c’est-à-dire que S1 et S2 ne sont séparés par aucun intervalle) qui interdit précisément l’ouverture dialectique se manifestant dans le phénomène de la croyance. « Au fond de la paranoïa elle-même, qui nous paraît pourtant tout animée de croyance, règne ce phénomène de l’Unglauben. Ce n’est pas le n’y pas croire, mais l’absence d’un des termes de la croyance, du terme où se désigne la division du sujet. S’il n’est pas, en effet, de croyance qui soit pleine et entière, c’est qu’il n’est pas de croyance qui ne suppose dans son fond que la dimension dernière qu’elle a à révéler est strictement corrélative au moment où son sens va s’évanouir. » (8)

À quelle croyance le texte littéraire donne-t-il lieu ? Une telle question n’est pas sans enjeu pour la théorie psychanalytique car elle intéresse au premier chef le rôle historique que la littérature y joue. Les références à la névrose et à la psychose que nous avons faites ne doivent pas amener à conclure que toute croyance littéraire procède du délire mais plutôt que tout texte littéraire se trouve pris par la croyance. Les modernes pèlerins de la chapelle d’Innsbruck le prouve en ce qui concerne le roman de Conrad-ferdinand Meyer, Le Page de Gustav-Adolf. Quant à l’exemple de l’histoire–cadre des Mille et une nuits, il montre que la croyance n’est pas seulement extérieure et qu’elle s’établit, au lieu du texte, selon une logique.

Le lieu du texte, éclairé par la croyance à laquelle il donne lieu, n’est en définitive rien d’autre – précisément – que le lieu de l’autre dont il importerait d’indiquer la place dans le fonctionnement de quelques textes (…)

Ce sur quoi on ne laisse pas de s’interroger c’est sur ce qui est lisible. Qu’est-ce que la lisibilité au regard de la psychanalyse ? Elle se définirait, comme Jacques Lacan le remarque dans son séminaire à partir de l’introduction du signifiant maître. (9) Ce qui est lisible, c’est ce qui se répand dans le langage comme une traînée de poudre, ce qui accroche, ce qui fait discours. C’est cette lecture-là qui importe à la psychanalyse. » (10)

Revue Europe, Freud, n° 539, mars 1974.

Qu’est-ce qui a changé entre 1974 et 2014 ? Les deux mêmes interrogations demeurent « au droit du texte » : la reconnaissance sociale, et l’appropriation symbolique. Qui est propriétaire du texte ? (11)

RÉFÉRENCES
1.
MÉRIGOT Bernard, « Freud et la critique littéraire. Le lieu du texte», Europe. Revue littéraire mensuelle, n° 539, Freud, mars 1974, pp. 189-199.
2. MÉRIGOT Bernard
, « Freud et la critique littéraire. Le lieu du texte», Europe. Revue littéraire mensuelle, n° 539, Freud, mars 1974, p. 189.
3. LACAN Jacques
, Écrits, Seuil, 1966, p. 495.
4. LACAN Jacques
, Écrits, Seuil, 1966, p. 23.
5. MANNONI Octave
, Clefs pour l’Imaginaire ou l’Autre Scène, Seuil, 1969, pp. 9-33.
6. FREUD Sigmund
, Manuscrit N du 31.5.1897, dans La Naissance de la psychanalyse, PUF, 1956, p. 184 ; Aus den Anfängen der Psychoanalyse, S. Fischer Verlag, 1962, p. 180.
7.
En français p. 136 ; en allemand p. 135.
8. LACAN Jacques
, Le Séminaire, Livre XI, Seuil, 1973, pp. 215-216.
9. LACAN Jacques
, Séminaire du 17 juin 1970, suivi par Bernard MÉRIGOT. Cf Lacan, L’envers de la psychanalyse. 1969-1970, leçon n°13, http//www.staferla.free.fr/S17/S17%20L’envers.pdf (Pierre-Alain LECAT).
10. MÉRIGOT Bernard
, « Freud et la critique littéraire. Le lieu du texte», Europe. Revue littéraire mensuelle, n° 539, Freud, mars 1974, pp. 197-199.
11.
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Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2014

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