Comment différencier la droite de la gauche en politique ? (Zeev Sternhell)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°90, lundi 5 mai 2014

Qui est de droite ? Qui est de gauche ? Ces questions sont permanentes. Ceux qui y répondent le font par rapport à ce qu’ils croient penser, et à ce qu’ils pensent croire, laissant de côté le fait qu’ ils ne croient pas qu’ « ils sont pensés » par l’histoire, une histoire qui est à l’échelle, à la fois de plusieurs siècles, et de leur vie propre,  parce que fondatrice de leur éducation, de leur formation, de leurs rencontres, de leurs expériences.

L’historien Zeev STERNHELL, dans un ouvrage devenu un classique de la pensée politique (1), a montré que la France avait un lien spécial avec les pensées extrêmes, c’est-à-dire avec les conceptions totalitaires. Pour lui, cette pensée joue un rôle dans l’invention de l’idéologie fasciste. Il écrit :

« Pour comprendre un système ou un mouvement politique, il faut chercher ce qu’Alexis de TOCQUEVILLE appelait les « idées mères », et que Max WEBER nommait les « idéaux-types ».

L’idée mère de la gauche, c’est que le monde doit être changé parce qu’il est injuste.

L’idée mère de la droite, c’est que le monde représente – à un moment donné – tout ce que l’on peut avoir. Il n’y a rien de mieux à espérer que ce qui existe : on ne peut procéder qu’à des aménagements de détails.

L’idée mère du fascisme est une troisième voie qui entend changer le monde, opérer une révolution morale et spirituelle, et mettre en marche la nation au moyen de mythes, en gardant intactes les structures économiques. Il ne s’agit pas d’abattre la bourgeoisie, mais de la mettre au service de la nation. » (2)

Cet enchainement de concepts, comme dirait Michel de MONTAIGNE «met en branle» (3) notre réflexion, qui est ici politique, au sens où elle concerne la façon dont chaque individu se situe dans un espace collectif citoyen.

Reprenons dans l’ordre. L’idée-mère,  c’est la filiation qui fait qu’un état vécu de la société n’est jamais le produit d’une naissance spontanée. La justice et l’injustice sociale ressenties, ont pour conséquence de légitimer l’acceptation ou le refus, la possibilité même de l’existence d’une autre organisation de la société, l’affirmation qu’il faut maintenir des décisions présentes ou bien envisager des changements à venir.  On change tout, ou bien on passe juste un coup de peinture ? La totalité ou la partie ? Le central ou la périphérie ?

Se pose alors la question : Y a-t-il  deux voies ou bien trois voies ? Ici et maintenant, dans la France de 2014 : UMP et PS ? Ou bien UMP et PS et FN ? Doit-on envisager la  possibilité que le monde soit changé par une révolution morale et spirituelle, par une «mise en marche de la nation», par l’activation de mythes ? Toute réforme des structures économiques nécessite de préciser quel doit être le rôle de la bourgeoisie. Doit-il toujours, consister à tirer profit du pouvoir en place, quel qu’il soit ? Et en quelles circonstances – et dans quelles fonctions –  est-il au  « service de la nation » ?

Autant de questions d’actualité. Rupture ou alliance ? Sociale-démocratie ou  virage à droite ? Autant de questions nationales, qui sont aussi posées à chaque échelon territorial.

RÉFÉRENCES
1. STERNHELL Zeev,
Ni droite, ni gauche. L’idéologie fasciste en France, Folio Histoire, 1983.
STERNHELL Zeev et WEILL Nicolas,
Histoire et Lumières. Changer le monde par la raison, Albin Michel.
2. STERNHELL Zeev,
« Pour les fascistes, les mythes valent mieux que la raison », Philosophie magazine, n°79, mai 2014, p.44. Propos recueillis par  Alexandre LACROIX.
3. MONTAIGNE Michel de, Les Essais, III, 2 (Chapitre Du repentir)
« Le monde n’est qu’une branloire
perenne : toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Ægypte : et du branle public, et du leur. La constance mesme n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis asseurer mon object : il va trouble et chancelant, d’une yvresse naturelle. Je le prens en ce poinct, comme il est, en l’instant que je m’amuse à luy. »

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°90, lundi 5 mai 2014

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2014

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