« L’entre-soi municipal » : recherches ethnographiques sur la politique locale (Association française de science politique)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°68, lundi 2 décembre 2013

Le « local » a été longtemps ignoré par les études de sciences politiques. Lucie BARGEL et Stéphane LATTÉ (1) se sont penchés sur l’ «approche ethnographique de la politique locale». Ils ont relevé, pour la période des trente années 1980-2010, quatre axes de recherche qui ont concerné les objectifs suivants :

  •  tester l’hypothèse de la « nationalisation » de la vie politique et de l’unification des pratiques politiques (GAXIE, LEHIGUE, 1993)
  •  réinscrire l’ordre politique dans l’ordre social,
  • déconstruire les formes objectivées de la vie politique nationale, comme les partis politiques (LAGROYE, 1973 ; Politix, 1994 ; SAWICKI, 1997),
  • importer les méthodes de l’anthropologie exotique en sciences politiques (ABÉLÈS, 1989).

THÈMES DE RECHERCHE
SUR LA POLITIQUE LOCALE

Ils observent qu’à partir des années 2000, la sociologie des espaces politiques locaux s’est nourrie des transformations de son objet : développement de l’intercommunalité et de la régionalisation, professionnalisation des entourages politiques, instauration de la parité homme / femmes. Voici quelques thèmes de recherches :

  • les mobilisations électorales municipales (LAGROYE, LEHINGUE, SAWIKI, 2005),
  • les parachutages (DOLEZ, HASTINGS, 2003),
  • les intercommunalités (LE SAOUT, MADORÉ, 2004 ; DASAGE, 2005),
  • l’action publique territoriale (SMITH, SORBETS, 2003 ; LIONEL, LE BART, PASQUIER, 2006),
  • le recrutement politique (LATTÉ, 2003 ; GODMER, 2009),
  • la mise en oeuvre de la parité (Politix, 2003 ; ACHIN, 2007),
  • les mondes ruraux (Politix, 2008 ; VIGNON, 2009)
  • le clientélisme (MATTINA, 2004).

ÉTUDIER
L’ « ENTRE-SOI » POLITIQUE

La notion d’ « entre-soi politique local » est définie comme l’ensemble des formes de sociabilités, non nécessairement politiques, souvent trans-partisanes, qui sont produites par l’insertion durable dans le métier d’élu local. (SAWICKI, 1997 ; BRIQUET, 1997)

Les réseaux informels et les cercles affinitaires produisent deux effets :

  • en amont, ils nourrissent la mobilisation partisane et la sollicitation électoral,
  • en aval, ils structurent le fonctionnement ordinaire des espaces politiques locaux.

EN ÊTRE ?
OU NE PAS EN ÊTRE ?

L’entre-soi politique municipal présente un enjeu de frontières. Comment ses acteurs les ferment-ils ? Comment les ouvrent-ils ? Cette frontière de l’entre-soi politique local est particulièrement visible lorsqu’un « outsider » s’essaie à la franchir.

LE PRÉSIDENTIALISME MUNICIPAL

Il faut se départir de l’influence prépondérante du « présidentialisme municipal » qui concentre l’attention sur les têtes d’affiche, les « notables », les maires « cumulants » ; au détriment des seconds rôles et des figurants, les conseillers municipaux « de base », les « petits élus » aux fonctions silencieuses, aux carrières discrètes, aux mandats brefs.

Les divers appels au renouvellement et à la diversification du personnel politique amène à s’interroger sur les conditions d’entrée dans l’espace de la sociabilité politique, sur les stratégies et les ressources nécessaires pour participer aux jeux locaux. Ceux-ci sont fondés sur des pratiques qui se donnent une apparence d’amateurisme.

DES ALLÉGEANCES IMPORTÉES ?

Quelle est la spécificité de la sociabilité politique locale ? Quelle est son autonomie ? Existe-t-il une « communauté politique » distincte dans ses pratiques des réseaux sociaux qui la charpente ? Les acteurs politiques locaux forment-ils une population politique ? Un groupe qui possède des coutumes et des rituels, dont les membres entretiennent, au-delà des différences affichées, des relations de sociabilité ? (ABÉLÈS, 1989)

Pour la recherche en sciences politiques, l’entre-soi politique local serait « un décalque», ou bien « ou un point de jonction » qui mêlerait :

  •      solidarités familiales,
  •      connivences associatives,
  •      affinités confessionnelles,
  •      ententes économiques,
  •      proximités professionnelles,
  •      intérêts commerciaux,
  •      liens de voisinage,
  •      encrages territoriaux,
  •      affinités élitaires,
  •      sociabilités racialisées.

Quels enjeux propres les élus locaux importent-ils dans le jeu politique ?
Quelle allégeances construisent-ils ?

RÉFÉRENCES
1. BARGEL Lucie et LATTÉ Stéphane,
« L’Entre-soi politique local : approches ethnographiques », Présentation de la section thématique n°13, Congrès, Association française de science politique, Strasbourg, 2011.

BIBLIOGRAPHIE
établie par Lucie BARGEL (Université de Nice/CESSP) et Stéphane LATTÉ (Université de Haute Alsace/GSPE)

ABÉLÈS M., Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d’un département français, Odile  Jacob, 1988.
ACHIN  A., Sexes, genre et politique,  Economica, 2007.
AUYERO J., JOSEPH L. ET MAHLER  M., New Perspectives in Political  Ethnography, New York, Springer, 2007.
BRIQUET  J.-L., SAWICKI F., « L’analyse localisée du politique », Politix, n°7/8, 1989, p. 6-16.
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DESAGE F., Le « consensus » communautaire contre l’intégration intercommunale.  Séquences et dynamiques d’institutionnalisation de la communauté urbaine de  Lille (1964-2003), thèse pour le doctorat de science politique, Université de Lille 2,  2005.
DOLEZ B., HASTINGS M., Le parachutage politique, L’Harmattan, 2003.
GAXIE D., LEHINGUE P., Enjeux  municipaux : la constitution des enjeux politiques dans une élection municipale,  Paris, PUF, 1984.
GIRARD V., Un territoire périurbain, industriel et  ouvrier. Promotions résidentielles de ménages des classes populaires et  trajectoires d’élus salariés intermédiaires de l’industrie de la Plaine de  l’Ain, Thèse pour le doctorat de sociologie, EHESS, 2009.
GUYON S., Du gouvernement colonial à la  politique racialisée. L’émergence  d’un espace politique local à St Laurent du Maroni (Guyane), Thèse pour le  doctorat de science politique, Université Paris-1, 2010.
LAGROYE J., Société et politique. Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux, Pedone,  1973.
LAGROYE J., LEHINGUE P., SAWICKI F. (dir.), Mobilisations électorales. Le cas des élections  municipales de 2001, Paris, PUF, 2005.
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TRÉPIED B., Politique  et relations coloniales en Nouvelle-Calédonie : ethnographie historique de la  commune de Koné (1946-1988), thèse de doctorat, EHESS, 2007.
VIGNON S., Des maires en  campagne : les dynamiques de (re)construction du rôle de maire des petites  communes, Thèse pour le doctorat de science politique, Université de Picardie, 2009.

La Lettre du lundi de Mieux Aborder l’Avenir
n°68, lundi 2 décembre 2013

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2013

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