Le laboratoire des élections municipales de 2014, n°1

ÉLECTIONS :
FAUX SONDAGE  = VRAIE PROPAGANDE

Question. Les élections municipales ont lieu en mars 2014. A six mois du scrutin, des personnes « bien informées » évoquent des sondages qui annoncent des résultats en faveur de tel ou tel candidat (ou telle candidate), que celui-ci se soit ou non déclaré (ou que celle-ci ne se soit pas déclarée). Que faut-il en penser ? Les jeux sont-ils déjà faits ?
Bernard MÉRIGOT.
La croyance dans les résultats prévus par de prétendus sondages constitue une dérive de la démocratie. Prêtez attention à ce que vous entendez et répondez à ces simples questions : Le sondage a-t-il été publié ? Par qui a-t-il été fait ? A quelle date ? Selon quelle méthodologie ? Et surtout, par qui a-t-il été payé ? Si vous ne pouvez pas répondre, c’est que vous êtes en présence d’une rumeur.
Sur le sujet général des sondages, je recommande la lecture du livre d’Alain GARRIGOU et d’Alain BROUSSE intitulé « Manuel anti-sondages. La démocratie n’est pas à vendre » (Éditions La Ville brûle, 2011). Alain GARRIGOU est professeur de sciences sociales à l’Université de Paris Ouest Nanterre. Il est directeur de l’observatoire des sondages. C’est l’un des rares chercheurs français qui poursuit une recherche critique à l’égard des usages politiques des sondages d’opinion. Il est reconnu comme l’un des principaux spécialistes français du vote et des sondages. Il s’inspire à la fois de la sociologie de Pierre BOURDIEU et de la socio-histoire de Norbert ELIAS. Il contribue à la compréhension des ressorts cachés, exercée par la domination politique sur les citoyens-électeurs. (1)

LA TRIPLE  « CONVOCATIO » ÉLECTORALE

Question. On parle souvent en politique de « posture ». Comment caractériser la posture d’un maire qui se présente à sa propre succession pour un nouveau mandat ?
Bernard MÉRIGOT.
C’est une posture particulière. Il y a deux « convocations ». Le terme de convocation vient du latin « convocatio », c’est-à-dire l’appel, la convocation. Celle-ci est triple.

  • Première « convocatio », la convocation matérielle de l’électeur à se rendre dans un bureau de vote.
  • Deuxième « convocatio », durant les mois qui précèdent, la convocation discursive et argumentaire de ces mêmes électeurs par le candidat (ou la candidate). D’une part, il vante (ou elle vante) les mérites de son bilan (la clairvoyance de sa gestion, le fleurissement de la commune, l’organisation des après-midi pour le troisième âge, sa présence aux manifestations des associations sportives…). D’autre part, il (ou elle) formule des promesses dans un programme. C’est ce que Joseph SCHUMPETER a désigné comme l’ « offre politique » qui fait partie du système qui est celui du marché politique. La question qui se pose est de savoir si cette offre correspond, ou ne correspond pas, à la demande citoyenne.
  • Troisième « convocatio », la votation (« action de donner sa voix pour quelque élection ou autre affaire ») à laquelle se soumet le candidat. Il s’agit d’un concours qui opère un classement des participants et qui désigne un seul gagnant.

ÉLECTEUR = CONSOMMATEUR
ÉLU = PRODUCTEUR

Question. Peut-on pour autant considérer au niveau municipal que l’activité politique est un marché économique?
Bernard MÉRIGOT.
Pourquoi le niveau municipal serait-il différent du niveau national ? C’est un marché économique en raison des effets qu’il produit. Pour Joseph SCHUMPETER, la professionnalisation a transposé la logique économique producteur/consommateur au niveau politique : 1. les électeurs deviennent des consommateurs de politique, 2. les hommes politiques deviennent des producteurs de politique. Cela entraîne, comme en économie, une conséquence : l’adaptation du producteur politique à la demande politique.

En d’autres termes : le personnel politique a tendance à privilégier la prise de décisions propres à satisfaire son électorat. On doit s’interroger au passage sur cette idée qu’un électorat puisse être un objet de possession. Elle doit être examinée dans son rapport de compatibilité avec la théorie démocratique. Parce qu’observons-nous ? L’électorat, peu à peu, se segmente. Ses composantes deviennent doublement captives : captive d’avantages acquis et captive d’avantages promis. Les élus et les électeurs deviennent de plus en plus conditionnés par des relations catégorielles. (2) Ces questions ont déjà été abordées, depuis plusieurs années, dans des articles publiés sur le présent site www.savigny-avenir.info (3).

L’INSTRUMENTALISATION
DU POUVOIR POLITIQUE

Question. Est-ce que vous n’êtes pas en train de décrire un « univers impitoyable » qui serait davantage celui d’un feuilleton télévisé que celui de la réalité ?
Bernard MÉRIGOT.
Ce que je dis est le résultat de travaux d’universitaires en sciences politique. Pour Daniel GAXIE, la professionnalisation de l’exercice du pouvoir politique le constitue comme une source de revenu. « Lorsque des femmes politiques ou des hommes politiques sont tentés de faire passer les intérêts de leur carrière (communication, cumul des mandats, publicité personnelle, réélection…) avant les intérêts de leurs mandants, on est en présence d’une instrumentalisation du pouvoir politique »(4)

Les travaux de Daniel GAXIE sur la sociologie du vote mettent en évidence deux concepts, l’ « auto-exclusion » et le « cens caché » :

  • « l’auto-exclusion » des profanes en politique. Un profane (le mot signifie « hors du temple ») est celui qui n’est pas initié à un art, à une science, à une technique, à un mode de vie. Ceux qui appartiennent à la « société civile » sont des profanes de la politique.
  • « le cens caché ». Le cens, on le sait, est le terme qui désignait le montant de l’imposition qui était nécessaire pour être électeur ou éligible. La politique est devenue un métier. Elle est pratiquée dans le cadre d’un marché concurrentiel. Il faut se méfier du fait qu’au lieu de rassembler, elle élimine. Elle pratique de fait, et même en s’en gardant, une forme d’exclusion. Il s’agit d’une mauvaise tendance que la démocratie peine à corriger. C’est ce que l’on peut lire sur ce site dans plusieurs articles précédents.

L’INVESTITURE ÉLECTORALE

Question. Qu’est-ce que cela veut dire d’entendre les candidats parler constamment d’investitures ?
Bernard MÉRIGOT.
L’investiture vient du latin médiéval du IXe siècle. Elle signifie « la mise en possession officielle d’un fief ou d’un apanage qui se déroule le plus souvent par une cérémonie symbolique ». Aujourd’hui, elle désigne l’acte par lequel un parti politique ou un syndicat désigne un candidat à une fonction élective. Mais, la démocratie a conservé un sens monarchique au mot : on a toujours l’impression que c’est le pouvoir qui descend du haut en bas, du parti politique vers le candidat. C’est la mise en acte de « l’esprit de parti ». La première condition pour obtenir une éventuelle investiture est bien évidemment d’être candidat. Pour ma part, je n’ai sollicité aucune investiture. Je parle donc en toute liberté.

LA CONDITION DÉCEPTIVE DE LA DÉMOCRATIE

Question. Quelle est, selon vous, la première priorité politique territoriale ?
Bernard MÉRIGOT.
Indéniablement lutter contre ce que Myriam REVAULT D’ALLONNES nomme la condition déceptive de la démocratie. Elle la définit de la façon suivante : « L’expérience démocratique fait de nous des sujets qui ne veulent pas être ainsi gouvernés : « Pas comme ça, pas pour ça, pas par eux ». (5) Tout un programme.

RÉFÉRENCES

1. GARRIGOU Alain et BROUSSE Richard, Manuel anti-sondages. La démocratie n’est pas à vendre, La Ville brûle éditeur, 2011, 176 p.
GARRIGOU Alain,
Les secrets de l’isoloir, Lormont, Éditions Le bord de l’eau, 2012, 76 p.
GARRIGOU Alain,
L’Ivresse des sondages, Paris, La Découverte, 2006, 122 pages.
GARRIGOU Alain,
Histoire sociale du suffrage universel en France, 1848-2000, Paris, Points-Seuil, 2002, 366 pages.
2. SCHUMPETER Joseph,
Capitalisme, socialisme et démocratie (Capitalism, Socialism, and Democracy), 1942.
3.
MÉRIGOT Bernard, « Les effets de la professionnalisation de la politique (Joseph Schumpeter, Daniel Gaxie) », www.savigny-avenir.info, 30 décembre 2011.
4.
GAXIE Daniel, La Démocratie représentative, Montchrestien, 2003, 4e édition, ISBN 978-2-7076-1372-1.
GAXIE Daniel,
Luttes d’institutions : enjeux et contradictions de l’administration territoriale, L’Harmattan, 2000, ISBN 978-2-7384-5892-6.
GAXIE Daniel
, Explication du vote, Presses de Sciences Po, 1989, 2e édition, ISBN 978-2-7246-0566-2.
GAXIE Daniel,
Le cens caché, Seuil, 1978, ISBN 978-2-02-004941-2.
Daniel GAXIE, professeur de Sciences politique à l’Université de Picardie, puis à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. Président du jury de l’agrégation de sciences politiques en 2008-2009.
5. REVAULT D’ALLONNES Myriam,
Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie, Seuil, 2010, 148 p.

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2013

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