La théorie de l’enquête citoyenne chez John Dewey

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR

Nous poursuivons notre réflexion sur un dispositif essentiel de la démocratie expérimentale développée par John DEWEY et qui répond à ce que l’on nommerait aujourd’hui une « exigence citoyenne ».

Dans « Logique, la théorie de l’enquête » (1938), John DEWEY n’utilise pas le terme de « logique » au sens moderne, mais comme l’indique expressément le sous-titre, dans le sens de « théorie de l’enquête », de « recherche » au sens large, c’est-à-dire celui de la recherche scientifique. (1)

L’EXPÉRIENCE ET L’ENQUÊTE

L’expérience, selon John DEWEY, est une liberté, une jouissance : elle est continue. Lorsque survient l’interdit, l’acte autoritaire, la censure, le refus, le trouble, le désordre, le doute… une discontinuité se crée. Ce qui nécessite une reconstruction par l’expérience pour rétablir une nouvelle continuité, c’est « l’enquête » qui répond à la transformation contrôlée (ou dirigée) pour convertir les éléments disséminés, qu’ils soient connus ou inconnus, en un nouveau tout unifié. (p.169).

Gérard DELEDALLE remarque que la théorie de l’enquête, comme logique de la reconstruction de l’expérience, apparaît chez John DEWEY dans les Studies in Logic (1903), dans How We Think et dans The Quest for Certainty (1929). Elle est le versant instrumentaliste de l’expérience dont Nature and Experience et Art as Experience constituent le versant naturaliste. (2)

MATRICE ET STRUCTURE

La première partie décrit la matrice existentielle de l’enquête, à la fois biologique et culturelle, matrice de toute enquête, que ce soit celle du sens commun ou de la science : elle se définit comme l’art de résoudre des problèmes.

La deuxième partie traite de la structure de l’enquête et de la construction des jugements.

LES CINQ PHASES DE L’ENQUÊTE

L’enquête comprend cinq phases :

  • 1. Identification du problème : l’antécédent de l’enquête (situation indéterminée)
  • 2. Définition du problème : l’institution,
  • 3. Solutions possibles du problème : la détermination,
  • 4. Résultats envisagés : le raisonnement,
  • 5. Mise à l’épreuve: la conséquence de l’enquête (situation déterminée).

C’est comme le jugement-type qui est rendu, après enquête, par un tribunal. La proposition est à la lettre, une proposition : elle propose une solution, mais ne l’administre pas. Ce qui est « vrai », est la fin de l’enquête, la fin au sens de « fin-visée » qui ne relève pas à proprement parler de la proposition, mais du jugement. Il ne s’arrête pas à l’énoncé, mais dans l’acte qui le suit : la condamnation d’un coupable jugé ne s’achève pas avec l’énoncé de la peine, mais avec l’exécution de la peine.

C’est pourquoi John DEWEY dit que la fin de l’enquête relève de l’ « assertibilité garantie », concept utilisé par la philosophie pragmatique qui signifie qu’une solution a été trouvée à une situation problématique dans le cadre de la « théorie de l’enquête ». Elle est synonyme de satisfaction, d’utilité. C’est « ce qui paie », « ce qui marche ».

L’UNIVERSEL ET LE GÉNÉRIQUE

John DEWEY distingue deux types de propositions générales : les propositions universelles et les propositions génériques.

  • les propositions universelles sont  « des formalisations de modes ou manières possibles d’agir ou d’opérer ». Elles sont de type implicatif, ce qui les met à l’abri de toute contre-épreuve,
  • les propositions génériques s’appuient sur des constatations empiriques qui font qu’elles sont intrinsèquement provisoires et toujours révisables.

Dans la troisième et la quatrième partie, John DEWEY examine, à la lumière de la théorie de l’enquête, des questions qui relèvent de la logique formelle : les propositions et les termes (Troisième partie) et de la logique des sciences : la logique de la méthode scientifique (Quatrième partie). Le dernier chapitre de la quatrième partie est consacré à « la logique de l’enquête et les philosophies de la connaissance ».

John DEWEY formule la conclusion suivante : « Le fait de ne pas instituer une logique fondée inclusivement et exclusivement sur des opérations d’enquête présente des conséquences culturelles énormes. Il encourage l’obscurantisme,  facilite l’acceptation de croyances constituées avant que des méthodes d’enquête n’aient abouties et tend à reléguer les méthodes scientifiques (c’est-à-dire critiques et compétentes) de l’enquête dans un domaine technique spécialisé ». (p. 640).

RÉFÉRENCES
1. DEWEY John, Logique. La théorie de l’enquête, Paris, PUF, 2006. Présentation de Gérard DELEDALLE.
2. DELEDALLE Gérard
« Un modèle de la complexité. De la logique de l’enquête à la théorie et à la pratique de l’éducation démocratique », Forum du conseil scientifique du programme européen MCX/APC, http://www.archive.mcxapc.org.
Voir aussi :
DELEDALLE Gérard,
L’Idée d’expérience dans la philosophie de John Dewey, PUF, Paris, 1967.

La Lettre du lundi de Mieux aborder l’avenir, lundi 4 mars 2013

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info/ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2013

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