Un espace public de discussion est nécessaire à la démocratie (Emmanuel Kant, Plínio Walder Prado)

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR, n°25, lundi 4 février 2013

Nous poursuivons notre réflexion sur « Les pratiques des pouvoirs en place répondent-elles à l’idéal démocratique des territoires ? ». Pour qu’une réponse positive soit apportée, une condition première doit être apportée : un espace public de discussion est indispensable, aussi bien au niveau national qu’au niveau local. De quoi s’agit-il ? Emmanuel KANT nous aide à le définir.

UN PUBLIC DE CITOYENS
UNE CULTURE DE DISCUSSION

Emmanuel KANT, dans deux publications de 1784 (Réponse à la question : « Qu’est-ce que les Lumières » ? et Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique), esquisse l’exigence d’un espace public. Il s’agit d’un espace « où la critique, l’usage libre de la raison, doit pouvoir se déployer, rencontrer d’autres critiques et progresser ainsi indéfiniment, aussi loin que possible », comme le note Plínio Walder PRADO (1).

La raison, dans son usage public, est le seul tribunal auquel tout doit pouvoir être soumis, que cela concerne la société civile, le prince, la Constitution… C’est à cette condition que peut se former un public de citoyens cosmopolites, cultivés et éclairés par une culture de discussion.

On doit relever la modernité de la réflexion d’Emmanuel KANT sur le cosmopolitisme. Cosmopolite, c’est ce qui s’accommode de tous, ce qui comprend des personnes de tous les pays, ce qui subit l’influence de nombreux pays… Le cosmopolitisme est l’anticipation de l’ouverture moderne sur un monde qui reconnaît la diversité comme valeur. (2)

L’ESPACE PUBLIC EST UN DROIT SACRÉ

L’exigence d’un espace public est inconditionnelle et absolue. Emmanuel KANT écrit qu’elle relève des « droits sacrés » de l’humanité. Il réfute, d’une façon catégorique et définitive, toute censure. Puisque nul ne saurait être certain d’agir par pur respect à l’égard de la loi morale, personne n’a le droit de prétendre se mettre à la place de la raison (ou de la loi) pour interdire l’humanité de progresser, c’est-à-dire de méconnaître ne serait-ce qu’un seul argument.

TOUTE CENSURE DOIT ÊTRE CONDAMNÉE

Plínio Walder PRADO exprime cette pensée forte : « La censure, c’est-à-dire l’interdiction de rendre publique, de publier une pensée, apparaît dès lors comme un crime contre l’humanité. »

LA CAPACITÉ DE JUGER PUBLIQUEMENT

Quel est l’état de l’espace public aujourd’hui, deux cents ans après son élaboration par KANT ? Plínio Walder PRADO répond : « A l’époque où l’information devient la donnée stratégique de nos sociétés, où l’on procède à la « socialisation des nouvelles technologies », l’espace public contemporain est investi de long en large par les médias de production et de télédiffusion d’informations, y compris « culturelles ». Ceux-ci, indissociables du développement technologique, sont placés sous la régulation totale de la loi de l’échange économique. Or ce complexe techno-économico-médiatique, issu des conquêtes de la rationalité technique et scientifique, a en retour un impact considérable sur l’aptitude à user publiquement et librement de la raison, sur la capacité de juger, et pour tout dire, sur les promesses d’un progrès dans la culture de la liberté, incarnées originairement par l’idée d’espace public. »

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES
1. PRADO Plínio Walder,
« Le partage de la sensibilité. Essai sur les limites de l’argumentation», Hermès, n°10, 1992, CNRS. Version révisée par l’auteur.
2.
Le cosmopolitisme est un concept créé par DIOGÈNE, à partir des mots grecs cosmos (univers) et politês (citoyen). Il exprime l’idée que l’origine et l’attachement aux particularités d’un territoire, ou d’une communauté, n’empêche pas de toucher à l’universalité. Il vise un idéal d’unification mondiale des institutions économiques, politiques, linguistiques, juridiques, religieuses… Les penseurs du cosmopolitisme proposent des politiques cosmopolitiques qui vont d’une vision unificatrice et universaliste à celle d’une multiplicité, d’une multi-dimensionnalité, recouvrant l’espace des systèmes politiques.
« Cosmopolitique »
apparaît en français comme adjectif lors de la traduction de l’ouvrage d’Emmanuel KANT Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolitique. Il devient substantif, remplaçant le mot « cosmopolisme » devenu  péjoratif. Aujourd’hui, « cosmopolitique » est un concept de la philosophie de l’histoire universelle selon lequel le point de vue universel s’impose aux contingences particulières. 

La Lettre du Lundi de Mieux Aborder L’Avenir,
n°25, lundi 4 février 2013

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info/ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2013

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