La mémoire en politique

LA LETTRE DU LUNDI DE MIEUX ABORDER L’AVENIR

Que retenons nous du passé ? Qu’en racontons-nous ? Quelles promesses en tirons-nous ? Peut-on s’appuyer sur lui pour ne plus répéter les erreurs anciennes ?
La mémoire sert-elle à définir ce que nous sommes ? Ce que nous voulons faire ensemble ? Ou bien sert-elle à imposer une vision en dépréciant toute autre pensée ?

Existe-t-il des débats publics sans l’utilisation inévitable, comme argument, d’une référence au passé politique ?

ABUS DE MÉMOIRE
ABUS D’OUBLI

Notre époque se caractérise à la fois par un abus de mémoire et un abus d’oubli.

D’un côté, nous avons la prolifération des commémorations, la manipulation idéologique des identités, la patrimonialisation des lieux de mémoire, le rêve insensé de musées où le passé serait stocké et sauvegardé dans son intégralité, pour l’éternité.

De l’autre côté, nous assistons à la disparition, à un rythme accéléré, des mémoires marginales, celles des vaincus, celles des minorités; à l’amnésie généralisée apportée par tous ceux qui prétendent abolir le passé. Comme le relève l’historien Olivier ABEL, «les modes de vie nous amène à jeter ce qui nous alourdit, sans plus rien chercher à réparer».

Alors, plus on échange dans une société de vitesse, d’instantanéité des communications, d’ouverture généralise des données et des réseaux, et plus on a besoin d’avoir de l’inéchangeable, et donc de clôturer les mémoires.

LA POLITIQUE INSTITUE
LES CONFLITS

Peut-on accepter l’idée que «la politique consiste à instituer les conflits» ? Une communauté n’existe qu’à partir du moment où elle détermine ce qu’elle garde en mémoire. Les institutions politiques sont-elles capables d’introduire une distance, les obligeant à cohabiter avec d’autres, dans un espace de civilité ? Et cette fonction n’ouvre-t-elle pas la voie à de dangereuses manipulations des fausses  mémoires et de l’oubli fabriqué ?

FAUSSES MÉMOIRES

D’un côté nous trouvons la démagogie du populisme identitaire, qui joue sur les peurs et les ressentiments, en fabriquant des fausses mémoires qui peuvent enfler jusqu’à éclater, comme des bulles imaginaires et dangereuses. Mais même les politiques les plus démocratiques, qui s’abritent sous le désir légitime de transmettre aux jeunes générations un langage commun, courent le risque de n’investir que dans la pédagogie des moyens de communication, en évacuant le débat sur le contenu de ce qui est transmis. Comme si on prenait les gens pour des enfants, comme s’il fallait à tout prix surtout écarter les conflits.

OUBLIS FABRIQUÉS

De l’autre côté, nous trouvons la démagogie des politiques de l’amnésie, quand on efface d’un territoire toutes les traces de l’existence de ce qu’on veut oublier, en nettoyant toutes les couches archéologiques contaminées par ce qui devrait n’avoir jamais existé, et en bétonnant un paysage tout neuf, méconnaissable, d’où le passé réel est à jamais banni. Nombreuses sont les figures récentes de ces recommencements à zéro, de ces amnisties ou de ces prescriptions.

N’oublions pas que l’on ne se souvient jamais tout seul. Et que la mémoire vive se constitue toujours dans le dissensus. Sans cela, on est dans un « politiquement correct » qui refoule les mémoires réelles indésirables.

RÉFÉRENCES
ABEL Olivier, « La mémoire en politique », Atelier international de recherche sur les usages publics du passé, www.ehess.dynamiques.fr, 20 avril 2010.

La Lettre du lundi, 17 décembre 2012

Mention du présent article : http//www.savigny-avenir.info/ISSN 2261-1819
BNF. Dépôt légal du numérique, 2012

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