Un conseil municipal est un groupe vivant (David Vercauteren)

LUTTER CONTRE TROIS FORCES PERMANENTES

Tous les groupes sont des êtres vivants. Une entreprise est un corps vivant. Une institution est un corps vivant. Une association Loi de 1901 est un corps vivant. Un conseil municipal, tout comme une commune, sont des corps vivants. Or, ils manifestent tous, à un moment de leur existence, des symptômes récurrents. Par-delà la façade des annonces publicitaires, des dépliants, des programmes électoraux, des publications de promotion…, de façon implicite ou explicite, ils s’interrogent – non pas sur ce qui est montré en vitrine – mais sur les produits réels du magasin :

  • Qui sommes-nous ?
  • Que défendons-nous ?
  • Que voulons-nous ?
  • À qui sert-on ?
  • Rendons-nous réellement service à nos clients, à nos usagers, à nos adhérents, à nos administrés, à nos électeurs ?
  • Respectons-nous nos concurrents, nos adversaires, nos mandants ?
  • Exerçons-nous notre activité uniquement pour que d’autres ne l’exercent pas à notre place ?
  • N’instrumentalisons-nous pas les autres ?
  • Sans nous en rendre compte, ne sommes-nous pas des instruments ?

UNE CRISE DU SENS

Autant de symptômes qui révèlent une crise de sens. D’où vient cette crise ?

  • Lorsque le groupe s’est constitué, des forces étaient présentes chez ses membres.
  • À partir du moment où le groupe a duré, d’autres forces se sont emparées de ses membres.

Entre ces deux temps, des mutations se sont opérées au sein du groupe. Celles-ci n’ont pas été pensées par ses membres. David VERCAUTEREN a caractérisé trois forces permanentes (1) qui sont à l’œuvre. Ce sont des forces collectives, inconscientes. Ses acteurs ne savent pas les voir, ne savent pas les nommer. Ils ne savent pas en tenir compte. Ces forces agissent le groupe, malgré lui : elles sont le groupe.

  • 1. La force de conservation
  • 2. La modification entre le dehors et le dedans
  • 3. L’inversion entre les moyens et les fins

ON S’INSTITUTIONNALISE

1. La force de conservation. C’est une force interne. Après la période initiale d’inventivité, de création, et d’accession au pouvoir, durant laquelle le groupe et ses membres ont quelque chose à dire, parce qu’il a quelque chose à faire avec le dehors, une force interne s’empare de lui. C’est l’installation, l’enregistrement, la stabilisation des rapports internes, le maintien des acquis matériels, financiers, de clientèle, de réseaux…

ON FERME LA PORTE

2. La modification du rapport entre le dehors et le dedans. Au départ, le groupe laisse portes et fenêtres ouvertes. Puis, bien vite, il se met à craindre tout ce qui est différent. Il établit une distinction entre le dehors et le dedans. Il a peur du dehors, alors il décide, peu à peu, que celui-ci ne rentrera plus. Ou alors – seules exceptions – à la condition expresse que ce dehors, par nature différent, ait été auparavant, contrôlé, filtré, manipulé, voire tout simplement suscité depuis l’intérieur, par le groupe.
La manifestation de cette force produit des effets : le groupe établit le dedans comme son propre prestataire, qui monopolise tout. Le groupe a toutes les compétences, il sait ce qu’il faut faire, toutes ses idées sont excellentes : il fait tout à la perfection ! Et le le groupe laisse derrière la porte les questions, les critiques, les remises en cause…

ET ON DURE, A TOUT PRIX

3. L’inversion entre les moyens et les fins. Les moyens deviennent les fins. Les objectifs initiaux sont retravaillés par le désir de conservation : préserver et maintenir deviennent les seules priorités réelles. Bien sûr, le groupe annonce des choses nouvelles. Mais il ne change plus rien. Le drame se noue lorsque les membres du groupe n’ont ni la lucidité d’établir un état de leur corps individuel, ni celle d’établir un état du corps collectif dont ils sont membres. Ils ne savent plus ce qui anime leur groupe. Ils sont incapables de tirer la moindre conclusion, sinon que tout le mal vient de l’extérieur. Ils s’enferment. Ils ne peuvent plus imaginer de nouveaux dispositifs pour se connecter avec l’extérieur. Ils craignent que toute nouveauté soit un poison mortel, susceptible de faire disparaître le groupe.

CHANGER DE PEAU ?

Le meilleur moyen pour un groupe d’accélérer cet accomplissement fatal, est de s’engluer dans les conflits, dans les rivalités, dans les éliminations… Alors, il s’installe dans le mesquin, dans le petit, dans la polémique, dans la critique permanente de tous ses opposants. Tout cela, croit-il, pour conserver un petit bout de territoire, et demeurer « entre soi », dans son bon droit et dans sa vérité…

Les groupes, qui sont des corps collectifs, peuvent-ils échapper à un tel destin ? Oui, répond David VERCAUTEREN, à la seule condition d’opérer des mutations, comme le lézard qui change de peau. Faute de quoi, ils sont inéluctablement appelés à disparaître.

Bernard MÉRIGOT

 

RÉFÉRENCES
1. VERCAUTEREN David,
« L ‘écologie des conflits », propos recueillis par Grégory PASCON pour le journal C4, Dossier collectivités, novembre 2010, www.c4.certaine-gaite.org
VERCAUTEREN David, CRABBÉ Olivier, MÜLLER Thierry,
Micropolitiques des groupes. Écologie des pratiques collectives, 2007. www.micropolitiques.collectifgs.net

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