Une sortie paisible de l’euro est-elle possible ?

DÉCODAGE

CONTEXTE. L’euro a été institué le 1er janvier 2002. Dès l’origine, des experts et des hommes politiques, ont fait part de leurs inquiétudes à l’égard des conditions nécessaires à sa mise en place et à sa durabilité. Dix ans après, la crise prouve les effets négatifs de la monnaie unique. Les premiers experts, ainsi que les hommes politiques, qui ont émis l’idée d’une « sortie de l’euro » ont été durement critiqués. Aujourd’hui, de plus en plus nombreux sont ceux qui soutiennent cette idée.
ENJEUX.
Peut-on sortir paisiblement de l’euro ? Des économistes français et allemands travaillent sur ce sujet. Réunis à Düsseldorf le 27 avril 2012, ils ont lancé un « Appel aux gouvernements » pour mettre fin à ce système.

1. Qu’est-ce que l’euro ?
2. Le « passer outre » de Maastricht
3. L’appel des experts économiques français et allemands du 27 avril 2012

I. QU’EST-CE QUE L’EURO ?

L’euro est la monnaie de l’Union économique et monétaire formée au sein de l’Union européenne. Elle a été mis en circulation le 1er janvier 2002 (après avoir été en usage en 1999 uniquement pour les transactions financières). L’euro est en usage dans dix-sept États membres de l’Union européenne formant « la zone euro ».

La décision de créer l’euro a été prise par le Traité de Maastricht (Pays Bas) signé par l’ensemble des états membres de la Communauté économique européenne (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Espagne, Portugal), le 7 février 1992, après un accord conclu lors du Conseil européen à Maastricht, en décembre 1991, entré en vigueur le 1er novembre 1993.

 II. LE « PASSER OUTRE » DE MAASTRICHT

1. Aucune des trois conditions n’était remplie.

Lorsque les négociations se sont engagées pour la création d’une monnaie unique, les responsables politiques et économiques savaient que la constitution de la zone euro était un défi complexe. Robert MUNDELL (prix Nobel d’économie en 1999) est souvent présenté comme un défenseur de l’unification monétaire européenne, voire comme un des « pères de l’euro». Il ne faut pas oublier qu’il  a clairement établi, dès 1961, avec sa théorie de la « zone monétaire optimale », les trois conditions qui devaient être remplies impérativement pour que des pays aient un intérêt à avoir une même monnaie :

  • 1. être intégrés économiquement,
  • 2. ne pas avoir des économies qui réagissent différemment aux chocs économiques,
  • 3. disposer des mécanismes permettant de remédier aux divergences existantes ou pouvant apparaître.

Aucune des trois conditions n’était remplie, pourtant les douze états ont données leur accord.

2.     Des déséquilibres entre états qui ne peuvent aller qu’en croissant

Paul KRUGMAN (professeur à l’université de Princeton, prix Nobel d’économie en 2008), a souligné dès les années 1980, que l’établissement d’une monnaie unique réalisée dans de telles conditions aurait pour conséquences :

  • de favoriser le regroupement des industries dans les mêmes régions économiques,
  • d’augmenter les oppositions entre les pays au lieu de les réduire.

Pourquoi la monnaie unique a-t-elle été décidée, alors que tout le monde savait  que les conditions pour l’instaurer n’étaient pas réunies ?

Pourquoi la monnaie unique a-t-elle été décidée, alors que tout le monde savait qu’elle allait produire des effets à l’égard desquels on ne pourrait pas agir ?

Il est urgent de sortir de l’euro.

 

III. L’APPEL DES EXPERTS ÉCONOMIQUES
FRANÇAIS ET ALLEMANDS DU 27 AVRIL 2012

DOCUMENT

SORTIR DE L’EURO

 APPEL AUX GOUVERNEMENTS
PAR UN GROUPE D’EXPERTS ÉCONOMIQUES FRANÇAIS ET ALLEMANDS
RÉUNIS À DÜSSELDORF LE 27 AVRIL 2012

« Was die Stunde hat geschlagen, sollst du deinem Volke sagen »
Quand l’heure a sonné, tu dois avoir le courage de  le dire à ton peuple.

 Heinrich HEINE 



Treize ans après le lancement de l’euro, il est patent que l’expérience de l’euro comme monnaie unique n’a tenu aucune de ses promesses, et que sa poursuite risque de déboucher sur le chaos.

  • Au lieu de la prospérité, un ralentissement de la croissance dans tous les pays de la zone, avec un important volant de chômage. 
  • Au lieu de la rigueur, dix années d’augmentation irresponsable des dépenses publiques et des dettes souveraines, qu’une génération de sacrifices ne suffirait pas à apurer. 
  • Au lieu d’une meilleure intégration économique, des déséquilibres entre les pays qui s’aggravent chaque jour. Les pays d’Europe du Sud, Grèce, mais aussi Portugal, Espagne, Italie, et même France voient  leur  compétitivité se dégrader depuis dix ans de manière continue. Asséchant le pouvoir d’achat des uns, cette situation fait obstacle à la croissance des autres et donc au développement du marché unique. 
  • Au lieu d’un rapprochement des peuples, une animosité croissante entre créanciers et débiteurs.
  • Au lieu d’un progrès de la démocratie, des décisions venues de haut imposées à des peuples qui les refusent. 

IL N’EST PAS POSSIBLE DE « SAUVER L’EURO »

Les plans successifs destinés à « sauver l ‘euro » sont vains car ils ne s’attaquent, d’ailleurs avec peu d’effet, qu’aux seuls déficits publics et non à ce qui est racine du mal : la propension différente des pays à l’inflation. La seule solution serait la déflation des prix dans les pays déficitaires : or une telle opération n’a jamais réussi nulle part (ni l’Allemagne de 1930, ni la France de 1934). 

 UNE SPIRALE RÉCESSION /INFLATION

Poursuivant un objectif qu’elle n’atteindra de toutes façons pas, l’Europe est entraînée dans une spirale de récession qui, s’agissant du premier marché mondial, inquiète la planète toute entière.

À cette récession  s’ajoute le risque d’inflation, d’autant qu’en violation  de ses statuts,  la Banque Centrale Européenne ne voit d’autre issue, pour prolonger l’euro, qu’un recours massif à la création monétaire au bénéfice des banques, trop heureuses de l’aubaine.

« L’EUROPE DES TRANSFERTS »
EST IMPOSSIBLE

Il est tout aussi illusoire d’espérer organiser une « Europe des transferts », qui exigerait le transfert durable de centaines de milliards d’euros vers les pays en difficulté, revenant à une collectivisation des déficits publics. Solution refusée par les peuples que l’on voudrait mettre à contribution tout en n’offrant aucun espoir de redressement aux plus mal en point.

Cet acharnement thérapeutique, qui ne vise que le court terme, ne pourra éviter l’accélération des secousses qui touchent non seulement la sphère financière mais aussi l’économie réelle.

LES PAYS D’EUROPE
SONT DEVENUS INGOUVERNABLES

S’il n’y est pas rapidement mis fin, l’expérience de la monnaie unique se terminera de la manière la plus dramatique :

  • détérioration de la situation économique,
  • explosion du chômage,
  • désordres sociaux,
  • montée des extrémismes,
  • résurgence d’anciens conflits,
  • destruction de l’État de droit.

 Les pays de l’Europe vont devenir ingouvernables. 

ROMPRE L’UNION MONÉTAIRE

L’Union européenne ne saurait demeurer la marionnette des oligarchies financières qui visent la destruction de la base même de nos existences. N’est-il pas honteux de les voir soumettre les pouvoirs politiques et économiques au gré de leurs intérêts ?

Il est clair que seules des dévaluations et réévaluations réelles, adaptées à la situation de chaque pays, pourront mettre fin aux déséquilibres entre eux et, par-là, rétablir la croissance. L’histoire nous offre de nombreux  exemples de ruptures d’unions monétaires : il en ressort que non seulement il est possible de les gérer de manière ordonnée sur les plans politique et économique, mais aussi qu’elles se sont révélées bénéfiques, et cela au bout de quelques mois seulement. 

METTRE FIN À LA MONNAIE UNIQUE

C’est pourquoi les économistes allemands et français signataires, réunis à Lyon en octobre 2011 et à Düsseldorf en avril 2012, appellent leurs gouvernements respectifs à convenir et à proposer aux autres États membres de l’Union européenne, de mettre fin à l’expérience de la monnaie unique et, à cet effet, de prendre sans délai les mesures suivantes : 

  • remplacer l’euro par de nouvelles monnaies nationales disposant de l’ensemble de leurs prérogatives dans chacun des États, sachant que certains pays pourront passer des accords bilatéraux ou multilatéraux pour mettre en commun leur monnaie ;
  • créer un nouveau système monétaire européen, comportant une unité de compte européenne, égale à la moyenne pondérée des unités monétaires nationales ;
  • afficher d’emblée les parités souhaitables des monnaies nationales vis-à-vis de cette unité de compte européenne, calculées de façon à limiter la spéculation, restaurer la compétitivité de tous les États, assurer des échanges équilibrés entre eux et résorber du chômage ;
  • veiller, à ce que les taux de change réels des monnaies nationales, soient ensuite stabilisés, à l’intérieur d’une marge de fluctuation à déterminer en s’appuyant sur un Institut monétaire européen ;
  • convertir dans chaque pays l’ensemble des prix et salaires intérieurs ainsi que les avoirs bancaires sur la base de un euro pour chaque unité de monnaie nationale ;
  • convertir les dettes publiques de tous les pays de l’euro, selon la même règle, en leur nouvelle monnaie nationale ;
  • convertir les créances et dettes privées internationales dans l’unité de compte européenne.

RÉUSSIR LA TRANSITION

Le règlement des dettes publiques et privées pourra faire l’objet de négociations bilatérales, entre créanciers et débiteurs, à partir des deux règles de base énoncées dans les deux précédents alinéas.

Dans ce contexte, une même priorité doit être donnée aux politiques nationales, celle de développer et d’adapter toutes les forces productives, afin d’accroître la productivité de l’ensemble de l’Europe.

La coopération des institutions responsables doit permettre de réussir une transition en bon ordre. Cette transition doit être la plus courte possible : elle ne pose pas de problèmes techniques majeurs.

Les nouvelles règles doivent être affichées clairement. Il sera demandé aux États de veiller, en s’appuyant sur leurs Banques centrales nationales, désormais autonomes, à ce que la transition décidée n’entraîne aucune déstabilisation du système financier européen et lui donne même les moyens de contribuer activement au retour de la croissance.

En lançant cet appel, les économistes allemands et français signataires souhaitent ardemment contribuer, par leur expertise et leur engagement, à la relance de la construction européenne sur des bases rénovées et réalistes, en même temps qu’au redressement économique de l’Europe.

le 27 avril 2012.

Bruno Bandulet, Rolf Hasse, Wilhelm Nölling, Karl Albrecht Schachtschneider, Wolf Schäfer, Dieter Spethmann, Joachim Starbatty,

Alain Cotta, Jean-Pierre Gérard, Roland Hureaux, Gérard Lafay, Philippe Murer, Michel Robatel, Jean-Jacques Rosa.


RÉFÉRENCES SUR LA SORTIE DE L’EURO
ROSA Jean-Jacques,
« L’Euro, comment s’en débarrasser ? », www.lecercle.lesechos.fr, 17 septembre 2011.
DÉVOLUY Michel, L’Euro est-il un échec ?, La Documentation française, 2011, 178 p.
SAPIR Jacques, « La sortie de l’euro est inévitable », Économie et société, 30 janvier 2012.
PINSOLLE Laurent, « La sortie de l’euro est soutenue par deux prix Nobel d’économie, mais ignorée des médias, www.marianne2.fr, 7 février 2012.
DUPONT-AIGNAN Nicolas, « Pourquoi faut-il sortir de l’euro ? », www.debout-la-republique.fr, 2012.

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