L’illégalisme est un mode de gouvernement des territoires

PRODUCTION, GESTION ET RÉGULATION DES TERRITOIRES
RAPPORTS AU DROIT /USAGES DU DROIT

Aucun territoire ne connaît une gestion s’inscrivant dans une légalité totale. Les exemples sont innombrables. Dès lors, il est permis de s’interroger sur la relation que les pouvoirs en place entretiennent avec la légalité et avec l’illégalité. Les interrogations sont multiples :

  • sur les rapports entre droit, territoires et pouvoirs,
  • sur les différentes formes de rapport au droit.

Dans les sociétés du Nord comme du Sud, dans la banlieue parisienne comme en zone rurale, une tension permanente existe entre un système de règles formelles (lois, règlements, normes…) et des pratiques et des usages locaux qui obéissent à un système des règles informelles, non codifiées, aussi prégnantes et vivantes que les règles formelles.

Dans bien des cas, les autorités locales ne sont pas étrangères à l’existence du pluralisme juridique : l’application ou la non-application de la loi constitue une modalité de l’action publique à part entière. C’est un mode d’exercice du pouvoir, un mode de gouvernement.

La norme légale, au-delà de sa fonction d’organisation et de codification des relations sociales, représente une ressource entre les mains des dépositaires du pouvoir.

Prenons un seul exemple, celui du droit à construire. Jean-Paul LACAZE note à ce sujet, à propos du droit de l’urbanisme, que les actes d’urbanisme sont profondément inégalitaires. « Tant que des limites précises sépareront les terrains des propriétaires autorisés à s’enrichir de ceux classés en zone interdite à la construction, il en sera ainsi. Toute décision d’urbanisme doit ainsi trancher entre des avantages et des inconvénients à répartir entre deux catégories d’habitants. » (1)

Le pragmatisme institutionnel renvoie à plusieurs cas de figures. Les autorités octroient à leurs populations (leurs administrés, leurs usagers…), des marges de manœuvre qui sont hors des limites fixées par la règle commune. Autant de « variables d’ajustement » pour permettre de vivre ou de survivre, pour acheter la paix sociale, pour pratiquer des échanges « clientélaires », pour empêcher certains comportements, pour contrôler « qui est autorisé à faire quoi », pour établir ceux dont on tolère un agissement, et ceux dont on ne tolère  pas le même agissement.

L’application, ou la non-application de la loi, conduit immanquablement à questionner la capacité à agir des gouvernants. L’une et l’autre doivent être envisagées en fonction des dispositions et des intérêts de ceux qui sont chargés de sa mise en œuvre.

Dans cette perspective, l’illégalité ne peut être réduite à une transgression de la loi de la part de ceux dont elle est censée régir les actes et les comportements. L’illégalité doit se concevoir comme une tolérance, plus ou moins organisée par les pouvoirs publics.

L’illégalité constitue un principe de fonctionnement de l’espace social. C’est Michel Foucault qui a forgé le concept d’illégalisme pour rendre compte du caractère relatif de la norme de droit et du traitement différencié des pratiques illicites en fonction de l’appartenance sociale des individus. Alors, il est permis  comme le fait la recherche universitaire (2),  de poser plusieurs questions.

  • Quels regards doit-on porter sur la relation entre l’illégalité et le pouvoir à partir d’une lecture territoriale ?
  • A quelles formes de combinaison le couple illégalité / légalité donne-t-il naissance dans le registre territorial ?
  • De quelle manière les processus de régulation formels et informels contribuent-ils à la production et à la gestion des territoires au quotidien ?
  • Dans quelles conditions le passage réciproque de la légalité à l’illégalité s’effectue-t-il localement ?
  • Comment le droit se négocie-t-il sur le terrain ?

Il est urgent que les élus, les fonctionnaires, les associations, les citoyens… s’associent à cette réflexion.

Bernard MÉRIGOT

 

RÉFÉRENCES
1. LACAZE Jean-Paul, Les méthodes de l’urbanisme, PUF, 2010, p.13. Jean-Paul Lacaze est professeur honoraire, président de section du Conseil général des Ponts et chaussées, consultant en urbanisme.
2. MACCAGLIA Fabrizio, MELÉ Patrice, GARCIER Romain,
« Illégalismes et gouvernement des territoires », UFR Droit, Économie et Sciences sociales, Université François Rabelais, Tours, 2012.

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