Réfléchir à la « démondialisation » (Walden Bello, John Maynard Keynes, Arnaud Montebourg)

DÉCODAGE

CONTEXTE. La démondialisation est apparue dans le débat politique français à la veille des élections présidentielles de 2012. Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste, lui a consacré un chapitre entier dans son livre programme (1).
ENJEUX. Nombreux sont les hommes politiques qui ont déclaré – un peu vite, et en ignorant l’histoire de ce concept économique et politique majeur – que « la démondialisation est impossible ». Alors qu’il s’agit d’une notion importante – « incontournable », comme ont dit – qui doit être étudiée dans le contexte de la théorie économique. Elle dépasse les traditionnels politiques clivages gauche/droite.

QU’EST-CE QUE LA DÉMONDIALISATION ?

La démondialisation est une théorie, en construction, qui propose une nouvelle organisation de l’économie mondiale.

  • Elle prend en compte l’augmentation des interdépendances humaines dans le monde.
  • Elle combat la domination de la globalisation financière et du libre-échange.
  • Elle vise à rendre plus juste, plus sociale et plus écologique l’organisation économique mondiale.
  • Elle propose de nouvelles règles pour endiguer les effets néfastes du libre-échange et du néo-libéralisme.
  • Elle tend à mieux articuler la décision prise dans le cadre civique à l’action au niveau international.
  • Elle propose la mise en place de taxes douanières, modulées selon le coût écologique et social des marchandises.
  • Elle recommande la re-territorialisation de la production.

WALDEN BELLO : DANS LA LIGNE DE KEYNES

La paternité du terme de « démondialisation » est attribuée au célèbre penseur philippin Walden BELLO qui développe ce concept dans son ouvrage Deglobalization, ideas for a New World Economy (2). Selon lui, « la mondialisation néolibérale, née dans les années 1980, porte préjudice aux économies des pays du sud qui se basent sur les seules exportations sans développer leur marché intérieur. » Globalement, la démondialisation s’inscrit dans un courant de pensée hostile à une interdépendance trop forte des économies, déjà critiquée par KEYNES.

« LA FINANCE EST UNE PRIORITÉ NATIONALE »

John Maynard KEYNES écrit : « Je sympathise (…) avec ceux qui souhaiteraient réduire au minimum l’interdépendance entre les pays plutôt qu’avec ceux qui souhaiteraient la porter à son maximum. Les idées, la connaissance, l’art, l’hospitalité, les voyages : ce sont là des choses qui, par nature, doivent être internationales. Mais produisons les marchandises chez nous, chaque fois que c’est raisonnablement et pratiquement possible, et surtout, faisons en sorte que la finance soit une priorité nationale » (3).

LA DÉMONDIALISATION EST UN MODÈLE ALTERNATIF

Pour Walden BELLO, la démondialisation n’est pas un retrait de la communauté mondiale mais un modèle alternatif à celui de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). « Il s’agit de réorienter les économies, de la priorité à la production pour l’exportation, à celle pour la production destinée aux marchés locaux ».

La démondialisation serait également favorable aux pays du Nord, en proie au dumping social. En effet, aujourd’hui, la dérèglementation des échanges et de la finance conduisent :

  • à une mise en concurrence des salariés au niveau mondial,
  • à une délocalisation des activités économiques vers les pays émergents (où la main d’œuvre est à bas coût),
  • à une baisse sur les salaires dans les pays industrialisés,
  • à une augmentation du chômage.

La démondialisation, loin des caricatures politiques, est une affaire sérieuse.

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES

1. MONTEBOURG Arnaud, Votez pour la démondialisation, Flammarion, 2011, Préface d’Emmanuel TODD.
Globalement, Arnaud MONTEBOURG se dit en faveur d’un protectionnisme européen assumé, modulé selon des critères sociaux et environnementaux, et d’une mise sous tutelle du système bancaire.

2. BELLO Walden, Deglobalization, ideas for a New World Economy, Londres et New-York, 2002.
2. BELLO Walden, Démondialisation. Idées pour une nouvelle économie mondiale, Éditions du Rocher, 2011.

3. John Maynard KEYNES (1883-1946)
KEYNES John Maynard
, « National Self-Sufficiency », The Yale Review, vol. 22, juin 1933, p. 755-769.
KEYNES John Maynard, « De l’autosuffisance nationale », L’Économie politique, n°31,  juillet 2006. Traduction de Marc Moussli, p. 7-18.

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