Faut-il faire l’éloge de l’hypocrisie en politique ? (David Runciman) – 1ère partie –

CHRONIQUE SUR L’ÉTHIQUE POLITIQUE

La définition de l’hypocrisie est simple : c’est l’attitude qui consiste à déguiser son véritable caractère, à manifester des opinions, des sentiments,  des vertus, des qualités, des compétences… que l’on n’a pas. Elle est synonyme de dissimulation, de duplicité, de fausseté, de fourberie…

Rien d’étonnant à ce que l’on associe l’hypocrisie et la politique. En effet, les hommes – et les femmes politiques – tiennent successivement (et parfois, simultanément) plusieurs discours contradictoires, mènent plusieurs actions opposées au gré des circonstances.

  • un discours (et des actes) avant d’ être élu,
  • un discours (et des actes) différents fois  lorsqu’ils – et elles – sont élus,
  • et plusieurs discours (et des actes) différents – selon les interlocuteurs – pour être réélus.

«Les démocraties médiatiques pressent constamment les hommes et les femmes politiques à mettre leur vie privée en adéquation avec leurs professions de foi en matière de vertu publique. Mais l’action politique est-elle possible sans mensonges ? Et celui qui prétendrait le contraire ne serait il pas le plus dangereux de tous ? » Telles sont les interrogations que pose Jérémy WALDRON (1) à partir des travaux de David RUNCIMAN (2)

RITUELS ET SUPERCHERIES

En 2007, David RUNCIMAN a donné une série de conférences – les « Conférences Carlyle »  – à l’Université d’Oxford, sur le sujet de l’hypocrisie en politique.

Tout le monde sait que la vie publique comprend deux parties :

  • des rituels (avec des cérémonies…),
  • des supercheries (avec des accommodements).

Cela oblige la classe politique à deux choses :

  • à parler de questions complexes comme si elles étaient simples,
  • à dissimuler à l’opinion les arrangements les plus hasardeux,  sous le prétexte de faire avancer des dossiers de la collectivité.

Bernard WILLIAMS (3) a remarqué que, sans dissimulation, la vie politique serait impossible.

Ni l’authenticité pure, ni la sincérité sans tache, n’ont cours en politique. Si l’hypocrisie demeure condamnable, c’est qu’elle renvoie à une réalité plus complexe que le simple fait de dire une chose et d’en faire une autre. De nombreux auteurs ont apporté leur contribution à cette réflexion :  HOBBES, MANDEVILLE, BENTHAM, TROLLOPE, SIDGWICK, ORWELL.

L’INSINCÉRITÉ EST UTILE EN POLITIQUE

George ORWELL (1903-1950) a compris l’utilité de l’insincérité en politique, en particulier dans les régimes démocratiques. Il considérait que l’hypocrisie et l’anti-hypocrisie s’interpénétraient. D’où un paradoxe majeur : n’y a-t-il pas une chose plus effrayante que la tromperie ? Comme par exemple la situation dans laquelle une population n’a plus ni vie, ni sentiments privés, qui se prêtent au mensonge. Alors, quand tout est réduit à des apparences, il n’est nul besoin de masques : « Personne n’a rien à cacher, et c’est le règne de la terreur. » La terreur affirmée comme mode d’exercice du pouvoir.

 

RÉFÉRENCES

1. WALDRON Jeremy, « Éloge de l’hypocrisie politique », Books, n°25, septembre 2011, p. 58-61. Jeremy WALDRON enseigne la philosophie du droit à New York University et la théorie politique à Oxford.
2. RUNCINAN David, The Mask of Power, from Hobbes to Orwell and Beyond, Princeton University Press, 2010. (L’hypocrisie politique. Le masque du pouvoir, de Hobbes à Orwell et au-delà. Non traduit en français à ce jour).
3. Bernard WILLIAMS est professeur de philosophie morale à l’Université de Cambridge.

 

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