La critique politique de la « démocratie » représentative (Cornelius Castoriadis)

CHRONIQUE SUR CE QUI EMPÊCHE LA DÉMOCRATIE

LA PLUS GRANDE ILLUSION : SE CROIRE LIBRE

Est-il acceptable que la démocratie se résume à la seule action de voter ? Le philosophe Cornelius CASTORIADIS, citant Jean Jacques ROUSSEAU, écrit que « les Anglais croient qu’ils sont libres parce qu’ils élisent des représentants tous les cinq ans mais ils ne sont libres qu’un jour tous les cinq ans : le jour de l’élection » (1).

LA LIBERTÉ, NE DURE QU’UN JOUR…
… OU LA DISSOLUTION ET LA RÉINCARNATION DU POUVOIR

« Une fois tous les quatre, cinq ou sept ans, se produit cette mystérieuse alchimie, moyennant laquelle, pendant un dimanche, le pouvoir « se dissout » et, le soir, se réincarne, redevenant l’hypostase du peuple en la personne de ses représentants » (2).

Mystérieuse alchimie qui voit la fin puis le début de l’exercice du pouvoir : désincarnation, réincarnation. Hypostase. Principe premier (ce qui se trouve dessous), réalité fondamentale, dont l’étude relève de la métaphysique ou de la théologie. Le pouvoir est là, il n’y est plus, il est ailleurs. Le citoyen, l’électeur est perdu face à la structure actuelle du pouvoir qui le contient à distance, le réduit et découpe, l’espace public, le parcellise, l’atomise, l’aliène… Pour Cornelius CASTORIADIS, notre société n’est pas une démocratie mais « une oligarchie dominée par la bureaucratie des partis ». Et ce, pour quatre motifs.

LES 4 MOTIFS QUI EMPÊCHENT LA DÉMOCRATIE

Qu’est-ce qui empêche nos sociétés d’être de véritables démocraties ?

  1. Les élections sont une illusion de choix.
  2. Les représentants élus sont incontrôlables.
  3. Le régime est oligarchique.
  4. La dépolitisation de la population est inévitable.

1. LES ÉLECTIONS SONT UNE ILLUSION DE CHOIX

L’électeur choisit entre des candidats présélectionnés par des partis. Les votes portent sur des « courants politiques » et non sur des décisions précises. Mis à part le référendum, la volonté du peuple n’est jamais consultée sur les véritables décisions politiques. Lorsqu’un candidat propose, lors d’une campagne électorale des mesures, il n’a aucune obligation de tenir ensuite ses promesses.

2. LES REPRÉSENTANTS ÉLUS SONT INCONTRÔLABLES

Élire un député, c’est lui offrir une carte blanche. La population dispose de peu d’information sur l’action de ses représentants. Rien n’oblige un élu à rendre compte de son action. L’électeur n’a connaissance que de ce que les médias veulent bien dire sur l’action des élus.

3. LE RÉGIME EST OLIGARCHIQUE

L’exécutif domine. Les assemblées législatives se transforment de ce fait en simples chambres d’enregistrement de décisions prises ailleurs, et essentiellement par le parti politique majoritaire. On assiste, notamment dans la Ve République française, à une concentration des pouvoirs. Le système représentatif tend à constituer une « caste politicienne », une « noblesse d’État » qui constitue une représentation d’une partie  socio-professionnelle très restreinte de la société. Les députés et sénateurs sont des cadres, des ingénieurs issus de l’administration ou des professions libérales. Ils ont un bon niveau de diplôme et aussi un bon niveau de vie. Ils cumulent les mandats.

4. LA DÉPOLITISATION DE LA POPULATION EST INÉVITABLE

Le refus de s’occuper des affaires publiques constitue une « privatisation » de la démocratie. La politique est vue comme un lieu de démagogie, de combines, de corruption. Elle devient une préoccupation secondaire, comme le montre le fort taux d’abstention aux élections ainsi que le petit nombre de militants politiques ou syndicaux.
La « démocratie » contemporaine est organisée de telle sorte que la participation des citoyens soit, en fait, impossible. « Pour que les gens participent, il faut qu’ils aient la certitude, constamment vérifiée que leur participation ou leur abstention feront une différence » .
Il faut des lieux de participation : entreprises, communes, quartiers, lieux de socialisation, d’associations… Exactement ceux que le capitalisme et la mondialisation contribuent à désorganiser, à diluer, à dissoudre.
Chacun s’imagine que la politique est une affaire d’experts alors qu’on ne compte plus les décisions absurdes prises par les experts. L’expertise doit être citoyenne, au service de la démocratie, et non la dominer.
La société est vouée au culte de la consommation, au zapping (culturel, télévisuel, téléphonique, informatique, Internet…). Les citoyens apathiques se recroquevillent sur un petit monde privé (la privatisation) abandonnant le pouvoir :

  • aux oligarchies politiques, économiques, culturelles,
  • aux appareils des partis,
  • aux médias.

LES 4 QUATRE PISTES D’ACTION À RETENIR

  1. que les élections cessent d’être « une illusion de choix »,
  2. que le bilan de l’action des représentants élus soit soumis à une certification indépendante,
  3. que l’on réforme le régime oligarchique,
  4. que la dépolitisation soit enrayée.

Quand-est-ce que l’on commence à trouver des solutions et à les mettre en pratique ?

RÉFÉRENCES
1. CASTORIADIS Cornelius, Post-scriptum sur l’insignifiance, L’Aube, 2007 (édition posthume).
2. CASTORIADIS Cornelius, Une société à la dérive, 2005 (édition posthume).

Cornélius Castoriadis (1922-1997). Philosophe, économiste, psychanalyste.

COMMENTAIRE du 6 avril 2014

Accéder au pouvoir et gouverner sont deux choses différentes.
« Rien ne garantit que quelqu’un qui sache gouverner sache pour autant accéder au pouvoir. Dans la monarchie absolue, pour accéder au pouvoir il fallait flatter le roi, être dans les bonnes grâces de Mme de Pompadour. Aujourd’hui dans notre « pseudo- démocratie », accéder au pouvoir signifie être télégénique, flairer l’opinion publique. »

La démocrate représentative n’est pas une vraie démocratie.
« Je dis « pseudo-démocratie » parce que j’ai toujours pensé que la démocratie dite représentative n’est pas une vraie démocratie. Jean-Jacques Rousseau le disait déjà : les Anglais croient qu’ils sont libres parce qu’ils élisent des représentants tous les cinq ans, mais ils sont libres un jour pendant cinq ans, le jour de l’élection, c’est tout.
Non pas que l’élection soit pipée, non pas qu’on triche dans les urnes. Elle est pipée parce que les options sont définies d’avance. Personne n’a demandé au peuple sur quoi il veut voter. On lui dit :
« Votez pour ou contre Maastricht ». Mais qui a fait Maastricht ? Ce n’est pas le peuple qui a élaboré ce traité. »

RÉFÉRENCES
CASTORIADIS Cornelius,
« Contre le conformisme généralisé. Stopper la montée de l’insignifiance, Le monde diplomatique », août 1998, p. 22-23. http://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/CASTORIADIS/10826
Texte établi à partir de l’entretien accordé en novembre 1996 par Cornelius Castoriadis à Daniel Mermet pour l’ émission de la radio France-Inter « Là-bas si j’y suis » à la suite de la publication de La Montée de l’insignifiance (Seuil, Paris, 1996). Voir : Post-scriptum sur l’insignifiance, Entretiens ace Daniel Mermet, 1998, Éditions de l’Aube, 84240 La Tour-d’Aigues.
CASTORIADIS Cornelius, La Montée de l’insignifiance, Seuil, 1996.
CASTORIADIS Cornelius, Post-sciptum sur l’insignifiance, Entretiens avec Daniel Mermet, Éditions de l’aube, La Tour-d’Aigues.

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2011

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