10 idées pour une nouvelle société (Université de la Terre)

DÉCODAGE

CONTEXTE. « Bâtir une nouvelle société », tel était le sujet de la 4e Université de la Terre, créée par François LEMARCHAND, qui s’est déroulée à Paris, à l’UNESCO, les 2 et 3 avril 2011. Dirigeants d’entreprise, scientifiques, économistes, responsables politiques…  se sont réunis pour une série de conférences et de débats. Elles ont rassemblé 18 000 personnes.
ENJEUX. Comment « transformer nos intentions en action » ? Dix idées ont été proposées. Quelles sont celles appelées à devenir prioritaires ?

Bernard MÉRIGOT

10 IDÉES POUR UNE NOUVELLE SOCIÉTÉ

  • 1. Se transformer soi-même
  • 2. Apprendre l’écologie aux enfants
  • 3. S’engager vraiment
  • 4. Consommer mieux
  • 5. Cultiver la bienveillance au travail
  • 6. Humaniser la ville
  • 7. Échanger ses savoirs
  • 8. Essayer le « coworking »
  • 9. Prendre soin de nos aînés
  • 10. Renouer avec l’intelligence collective

IDÉE N°1
SE TRANSFORMER SOI-MÊME

Dans un monde qui tremble de toutes parts, comment pouvons-nous redonner du sens à nos propres vies sans nous replier sur nous-mêmes ? En modifiant l’orientation de nos priorités. Nous avons tous en nous la capacité de changer !

  • « L’objectif n’est plus le développement des biens matériels, de l’efficacité, de la rentabilité, du calculable, explique le philosophe et sociologue Edgar Morin. Il s’agit désormais d’opérer un retour sur nos besoins intérieurs, de stimuler nos aptitudes à comprendre autrui, notre prochain et notre lointain, de retrouver un temps long et non chronométré. »
  • « La spiritualité nous apprend à vivre pleinement, au sein du monde.» Inventer son propre chemin et ne pas s’engager sur de fausses pistes, c’est ce à quoi nous exhorte Edgar Morin : « L’important est de connaître le problème humain fondamental. Nous avons longtemps cru que c’était le bonheur. Or, le bonheur est fragile, éphémère. Que disparaisse un être aimé et notre bonheur se meurt. Le véritable but est la poésie de la vie. Il ne s’agit pas de lire des poèmes, aussi magnifiques soient-ils, mais de vivre dans l’exaltation de soi, dans l’exaltation de l’amitié, de la fête, de la communauté. La philosophie de « la voie », c’est de se donner les moyens de réaliser la poésie de sa propre vie. Et, chemin faisant, de ressusciter l’espérance pour générer non pas le meilleur des mondes, mais un monde meilleur. »

IDÉE N°2
APPRENDRE L’ÉCOLOGIE AUX ENFANTS

L’état de la planète nous préoccupe notamment pour l’avenir des jeunes générations. Comment les alerter sur les enjeux environnementaux sans les effrayer ? Peut-on leur faire passer le message de manière ludique ?

  • Être soi-même convaincu. « Être clair avec soi-même est la clé d’une éducation qui peut réussir, car elle est psychiquement investie, soutient Luce Janin-Devillars, psychanalyste. Les enfants font très bien la différence entre la parole « vraie » et le « faire comme si ». »
  • Montrer l’exemple.
  • Ne pas culpabiliser
  • Dire la vérité sans dramatiser.
  • Jouer la carte du plaisir.

IDÉE N°3
S’ENGAGER VRAIMENT

Nous sommes désormais largement informés de l’état préoccupant de notre planète. Pourtant, nous avons du mal à modifier nos habitudes pour la préserver. Comment pouvons-nous, concrètement, trouver l’envie et la volonté d’agir ?

  • Ce qui nous conduit à modifier nos habitudes et à adopter des comportements écologiques est moins lié à notre personnalité ou à nos valeurs qu’à un contexte propice à l’action.
  • Réfléchir à ce proverbe indien : « Le monde nous a été prêté par nos petits-enfants »

IDÉE N°4
CONSOMMER MIEUX

Nous savons que la planète souffre de nos excès de consommation et de nos gaspillages. Mais l’idée de la décroissance nous angoisse. Seule la découverte du plaisir de la modération peut nous aider à rétablir l’équilibre entre nos envies et nos besoins.

  • « Il ne s’agit pas de devenir ascètes, avance Anne Chaté, sociologue, mais de pratiquer la modération pour acquérir plus de plaisir, plus de sens et de conscience dans sa vie. »
  • Questionner ses pulsions d’achats. Le bénéfice : hiérarchiser ses désirs et apprendre à faire des choix éclairés.
  • Désencombrer son intérieur. Le bénéfice : apprécier vraiment ce que l’on a et qui exprime qui l’on est.
  • Privilégier le commerce de proximité. Le bénéfice : recréer du lien social.
  • Essayer de réparer, de recycler, de fabriquer ou d’acheter d’occasion. Le bénéfice : découvrir ses ressources intérieures… et celles des autres.
  • Tenter une « semaine sans » : viande, alcool, télévision, cigarettes, téléphone, ménage, etc. Le bénéfice : tester son degré de dépendance.

IDÉE N°5
CULTIVER LA BIENVEILLANCE AU TRAVAIL

Dans une économie de plus en plus concurrentielle, le stress des salariés est-il inéluctable ? Non, si les entreprises favorisent l’émergence de nouvelles formes de management, de dialogue et de convivialité entre leurs employés.

  • « Le travail est le principal lieu d’identité, de valorisation, d’épanouissement et de lien social, note Muriel Pénicaud, directrice des ressources humaines d’une grande société. Du coup, avec un tel investissement affectif et de telles attentes, la déception est parfois terrible. D’autant que les autres pourvoyeurs de sociabilité – la famille, la cité ou l’Eglise – se sont effilochés. »
  • On a confondu la saine concurrence à l’externe et la compétition entre salariés, déplore Muriel Pénicaud. On a trop individualisé le travail et cassé les collectifs. »
    « On a l’idée que le temps de travail doit être productif, ce qui exclut les moments de socialisation, de « gentillesse » où l’on s’intéresse à l’autre, avance Eric Albert. Or, pour établir une vraie relation, il faut partager des émotions, de l’informel, se parler d’individu à individu. »
  • « Les conflits ne peuvent se régler qu’avec un contact humain. Il n’y a rien de pire que de vouloir les résoudre par écrit avec dix personnes en copie ! »
  • « L’idée implicite selon laquelle on est joignable en permanence est très violente, souligne Eric Albert. L’utilisation abusive des messages électroniques brouille la frontière entre privé et professionnel, et accélère le rapport au temps de travail, puisque tout est urgent. »

IDÉE N°6
HUMANISER LA VILLE

Alors que la moitié de la population mondiale vit dans des métropoles de plus en plus fonctionnelles et anonymes, seules des initiatives locales peuvent recréer du lien social, préserver la biodiversité urbaine… et réenchanter nos rues.

  • La ville durable n’est pas une formule que l’on peut imposer d’en haut. Ce sont aux acteurs locaux, élus, habitants, entrepreneurs que revient l’initiative de préserver la biodiversité urbaine et le mieux-vivre ensemble. La création de potagers collectifs dans des terrains en friche, de cafés ouverts aux familles, de maisons de retraite autogérés ou d’unités de recyclage des objets ménagers participent, dans les quartiers, à la même réinvention de l’urbanité que la déjà très suivie Fête des voisins : il s’agit toujours de prendre soin de son environnement immédiat, matériel et humain, en privilégiant la gratuité, le recyclage et le partage.
  • « Les villes sont comme un corps humain que l’on soignerait par l’acuponcture, explique Esther Dubois, urbaniste et présidente de l’association Complex’cité. Une toute petite piqûre d’aiguille en un point localisé peut avoir des effets bénéfiques sur l’organisme entier. C’est ainsi qu’agissent ces initiatives ponctuelles qui, en se multipliant, contribuent à métamorphoser la ville. »

IDÉE N°7
ECHANGER SES SAVOIRS

Partager ses connaissances et offrir gratuitement ses talents, c’est s’ouvrir aux autres. Mais c’est aussi se valoriser, s’enrichir de nouvelles expériences et créer des réseaux. Hors de toute hiérarchie et de tout système mercantile.

  • Depuis leur lancement dans les années 1970, les réseaux d’échanges réciproques de savoirs (RERS) développement une idée simple : la transmission des connaissances. […] Aujourd’hui, cette logique de troc immatériel s’adresse à tous. A la différence de ce qui se passe à l’école, l’échange de savoirs est fondé sur un rapport d’égalité. Il n’y a pas, d’un côté, le maître qui évalue et, de l’autre, l’élève qui absorbe. Ici, l’interactivité prime. Celui qui offre continue d’apprendre quand il prépare son cours ou répond aux questions du demandeur.
  • « Apprendre aux autres « renarcissise », observe Claire Héber-Suffrin. Pour ceux qui n’ont pas eu leur compte d’attention, c’est très fort. J’ai vu des gens se redresser physiquement, car le regard porté sur eux avait changé. Face à l’individualisme, les gens ont besoin de se relier, et le savoir est une bonne occasion de rencontrer l’autre. »
  • A l’heure où la loi de la rentabilité financière tue dans l’œuf bien des initiatives, le partage gratuit des savoirs et des talents n’est pas une utopie de plus. Pour beaucoup, c’est désormais une nécessité.

IDÉE N°8
ESSAYER LE « COWORKING »

Pour échapper à la pression de l’entreprise et rompre avec la solitude, de plus en plus de travailleurs indépendants se regroupent dans des structures de « coworking ». Une nouvelle manière de conjuguer liberté, solidarité et efficacité.

  • Coworking ? Une réunion de free-lances dans un même espace qui leur permet de partager leurs expériences et leurs ressources. Cette nouvelle façon de travailler, née il y a quelques années en Californie, part d’un constat : ensemble, les travailleurs nomades sont plus créatifs, plus productifs et… plus heureux. Une idée simple particulièrement adaptée aux métiers de production de « matière grise » qui ne réclament pour outils qu’un ordinateur et une connexion Internet.
  • Pourquoi les adeptes du coworking sont-ils prêts à payer pour brancher leur ordinateur dans une salle pleine de gens, alors qu’ils fuient l’open space de l’entreprise ? La psychologue et psychanalyste Marie Pezé pointe la différence : « En entreprise, même dans les espaces communs, c’est souvent chacun pour soi, dans un contexte de mise en concurrence et sous la surveillance des voisins. Rien à voir avec un open space partagé volontairement, permettant la solidarité. »

IDÉE N°9
PRENDRE SOIN DE NOS AÎNÉS

Alors que la durée de vie s’allonge et que les structures d’accueil des personnes âgées restent coûteuses, de plus en plus d’enfants doivent prendre en charge leurs parents vieillissants. Un renversement des rôles qu’il faut savoir assumer.

  • Tendresse, impatience, compassion, rejet : l’adulte qui s’occupe de son parent dépendant éprouve des sentiments contradictoires. « Il faut accepter cette ambivalence, rassure le psychogériatre Pierre Charazac. L’enfant idéal n’existe pas. Celui qui en fait trop finit tôt ou tard par « craquer » et cela peut même aboutir à des maltraitances. »
  • « Ce renversement des rôles donne le vertige, commente Catherine Bergeret-Amselek, psychanalyste. D’autant qu’il se produit souvent autour de la cinquantaine, à un moment où l’enfant dresse le bilan de sa vie et de ce qui lui reste à accomplir. Le parent apparaît alors comme un frein qui l’empêche de se réaliser. »
  • « La dépendance physique n’empêche pas une certaine autonomie ! C’est important d’impliquer la personne âgée dans des choix qui la concernent, et d’encourager sa vie sociale en la maintenant le plus longtemps possible chez elle. »

IDÉE N°10
RENOUER AVEC L’INTELLIGENCE COLLECTIVE

Climat, travail, santé, éducation, guerres… Face aux enjeux du siècle, Jean-François Noubel, chercheur et formateur en intelligence collective globale, explore les moyens de décloisonner nos modes de pensée individuels pour réinventer l’action commune.

  • « L’intelligence collective ? C’est la capacité qu’ont certaines espèces, animales ou végétales, à collaborer pour réussir ensemble ce que les individus ne parviendraient pas à réaliser seuls, explique Jean-François Noubel, chercheur et formateur en intelligence collective globale. Comme les sociétés humaines, elle a évolué dans le temps. »
  • « Comment expliquer que tant d’organisations – entreprises, gouvernements, administrations -, composées de personnes intelligentes, peuvent agir de manière insensée, voire destructrice ? questionne le chercheur (Jean-François Noubel). Qu’est-ce qui empêche l’intelligence de s’y exprimer ? Sa réponse : notre culture pyramidale. Sa proposition : quitter nos vieux modes de pensées pour entrer dans une intelligence collective globale.
  • « Longtemps considéré comme un espace virtuel, le web est en effet en train de bouleverser notre accès au savoir et nos manières de collaborer, assure Jean-François Noubel. L’apparition des réseaux sociaux – Facebook en tête -, des blogs, des encyclopédies participatives en ligne – comme Wikipédia – ou des gadgets mobiles- iPhone ou ordinateurs portables – nous offre une possibilité inédite de réinventer le monde, sur un monde plus égalitaire et participatif. Nos relations sociales s’en ressentent déjà. »
  • « Si les structures pyramidales restent le modèle majoritaire, c’est aujourd’hui de la base de la société que naît l’intelligence collective globale, affirme-t-il (Jean-François Noubel). A l’inverse des logiques de compétition ou d’appropriation, celle-ci se propage dans le décloisonnement, le partage des savoirs et la gratuité. A nous de décider si nous avons envie d’y participer. En misant avant tout sur le développement personnel pour élargir nos consciences, éveiller notre créativité et cultiver notre liberté intérieure. »

SOURCES
LEMARCHAND, François, « Université de la Terre : 10 idées pour une nouvelle société », Psychologies magazine , 2011.
LEMARCHAND François / Nature et découverte, Université de la Terre, UNESCO, Paris, 2-3 avril 2011.

This entry was posted in Actualités. Bookmark the permalink.

Comments are closed.