Le comportement public du pouvoir (Nicolas Chamfort)

Quel doit être le comportement d’un élu en public ? À une époque où le cinéma, la télévision, internet, les téléphones portables enregistrent, photographient et filment tout… sont imposés – partout et à tous – des modèles d’attitude, de langage et de rapports humains, on peut se demander s’il existe une part d’authenticité, de spontanéité, de vérité. Sinon, elle aussi, imposée !
Les hommes et les femmes politiques ont un tel désir de « communiquer » qu’ils s’emparent de tous les moyens susceptibles, selon leurs conseillers, pour valoriser leur « image de marque », et par là, de leur assurer de futurs succès électoraux.

« TOUT FUT EXPLIQUÉ »

Pour répondre à la question que nous posons, la lecture des Maximes et pensées (1795) de Sébastien Roch Nicolas CHAMFORT (1741-1794) nous est précieuse. Le moraliste rapporte qu’un jour, le Contrôleur général des finances présenta à Louis XV un projet de Cour plénière que le Roi devait présider. « Tout fut réglé entre le roi, madame de POMPADOUR et les ministres » écrit CHAMFORT. « On dicta au Roi les réponses qu’il ferait au Premier président. Tout fut expliqué dans un mémoire dans lequel on disait : ici le Roi prendra un air sévère, ici, le front du Roi s’adoucira ; ici, le Roi fera tel geste ». Chamfort termine en précisant : « Le mémoire existe ». (Pensée n°693)

VALORISER L’EXERCICE DU POUVOIR

Ainsi donc, Louis XV était déjà entouré, avant l’heure, de « conseillers en communication » qui, collaborateurs zélés mettaient en scène paroles et attitudes du Roi. On peut considérer que de tout temps, l’entourage des princes a cherché à valoriser l’exercice du pouvoir auquel ils participaient et que rien, dans ce domaine, n’a été inventé par le monde moderne. En revanche, ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est le problème moral qui se pose : quelqu’un qui exerce un pouvoir a-t-il le droit de prononcer des paroles qu’il ne pense pas ou de feindre des sentiments qu’il ne ressent pas ?

VRAIE DISTANCE ET FAUSSE FAMILIARITÉ

S’il n’est plus concevable aujourd’hui que les élus de la République soient inaccessibles, il n’est pas concevable non plus qu’ils affichent une fausse familiarité à l’égard de leurs électeurs. Que penser d’un homme ou la femme politique qui se mettrait à embrasser toutes ses électrices et leurs enfants, ou encore à tutoyer et à passer la main dans le dos de ses administrés ? La vraie politesse de l’élu est dans la juste mesure entre la distance et la familiarité. Son élection, si elle lui a conféré pour un temps l’exercice de certaines fonctions, ne lui a pas donné de droits particuliers, mais des devoirs : on est plus exigeant, avec raison, à l’égard d’un élu que de toute autre personne.

L’ÊTRE ET LE PARAÎTRE

Les hommes et les femmes politiques déploient de coûteux efforts – coûteux pour les finances publiques – pour se fabriquer ce qu’ils considèrent comme une « bonne » image auprès des électeurs. Cette image fabriquée se révèle, dans les faits, particulièrement fragile lorsqu’elle est confrontée à la réalité des hommes et des évènements : le bon sens gouverne en définitive davantage les esprits qu’on ne le pense. Comme l’écrivait CHAMFORT, « Dans les grandes choses, les hommes se montent comme il leur convient de se montrer ; dans les petites, ils se montrent comme ils sont. »

Bernard MÉRIGOT

RÉFÉRENCES
CHAMFORT Nicolas, Maximes et pensées (1795).

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