France est, Français sont (Jean Molinet)

Il existe deux France. Il faudrait faire l’histoire de ce jeu d’opposition permanent :  la France à soi, et la France des autres, la France d’apparence et la France réelle. Comme si, en cette matière de généralité qui concerne une identité collective, il ne pouvait exister d’affirmation sans sa contradiction : Il suffit de penser, de dire, ou d’écrire «France est» pour qu’aussitôt parvienne en écho «Non, France est autre».

L’écrivain Ferdinand DUVIARD, Professeur de Lettres, a publié dans une Anthologie des poètes français des XVe et XVIe siècles, un poème inédit de Jean MOLINET (1435-1507). Il nous livre un portrait d’un «chanoine crasseux, borgne, laid, obscène» qui ne manquait «ni d’intelligence ni de tempérament». Il témoigna «avec une âpre sincérité, et sans nul artifice» les souffrances du petit peuple durant la guerre de Cent Ans.

Bernard MÉRIGOT

FRANCE EST, FRANÇAIS SONT

France est gracieuse.
– Non, fière.
Charitable.
– Non, envieuse
France est loyale.
– Non, légère.
Amiable.
– Non, orgueilleuse.
Plante verte.
– Non, sèche branche.
Traitable.
– Non, trop convoiteuse.
Constante.
– Non, muable est France !

Français sont humains.
– Non, divers.
Prudents et sages.
– Non, coquards.
Courtois.
– Non, haineux, couvers.
Gens larges.
– Non, chiches, eschards
Innocents, simples.
– Non, fins, hars.
Faictiz, gorgias.
– Non, estrois.
Gents et preux.
– Non, meschans, couhars.
Hardis.
– Non, venteux sont Français !

Jean MOLINET (1435-1507), Manuscrit inédit

  • Coquars : tuméfaction de l’oeil consécutive à un coup violent. Comprendre : bagarreurs.
  • Couvers : prêts à éclater. Comprendre : dissimulateurs.
  • Eschards : avares.
  • Hars : joncs. Comprendre : souples comme des joncs.
  • Faictiz : élégants.
  • Gorgias : coquets.
  • Estroits : étroits.
  • Preux : courageux.
  • Meschans : méchants.
  • Couhars : peureux.
  • Venteux : vaniteux.

RÉFÉRENCES
DUVIARD Ferdinand, Anthologie des poètes français XVe-XVIe siècles, Larousse, 1947, p.51-52.


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