L’approche matérielle des textes littéraires (Séminaire d’Henri Meschonnic du 24 juin 1979, Université de Paris 8)

Bernard MÉRIGOT rappelle que « la » matérialité du texte littéraire constitue une prodigieuse métaphore littéraire : elle n’existe que dans la pluralité. Il faut parler « des » matérialités du texte littéraire. Qui dit écriture (au singulier), dit ratures, grattages, corrections, modifications, réécritures… au pluriel. Un texte se substitue à un autre, qui se substitue à un autre, qui se substitue à un autre… C’est le palimpseste sur lequel on écrit un texte, puis que l’on gratte pour y écrire un autre texte.

 

Analyse du texte littéraire
Séminaire d’Henri MESCHONNIC (1)
mercredi 24 juin 1979, p. 1
Scan du texte complet : Seminaire MESCHONNIC 1979

LA THÉORIE DE LA SUPERPOSITION INFINIE DES TEXTES

Thomas de QUINCEY a évoqué « le palimpseste du cerveau humain » dans Suspiria de Profondis (1846) : un même parchemin porte successivement une tragédie grecque, une légende monacale et un roman de chevalerie. C’est la théorie de la superposition infinie de tous les textes littéraires.

On peut distinguer les corrections qui sont faites sur un manuscrit de celles qui sont faites sur une épreuve imprimée. Dans la première catégorie, on peut ranger Blaise PASCAL qui rédige treize fois sa « XVIIIe provinciale » (2), Gustave FLAUBERT qui rature une page de Bouvard et Pécuchet qu’il a mis une semaine à rédiger. Dans la seconde catégorie, Honoré de BALZAC qui ne cesse d’ajouter des mots, des phrases aux épreuves de ses romans.

C’est comme si la fabrication du texte n’arrivait pas à s’arrêter, à se figer. Le temps compose, recompose, décompose un entrelacs d’effets maîtrisés et d’effets non maîtrisés, d’associations d’idées, et de chaînes signifiantes.

SUJET ÉCRIVANT ET SUJET LISANT

Il existe pour tout texte une première logique : celle du sujet écrivant. Et une seconde logique est celle du sujet lisant. La seconde est condamnée à méconnaître furieusement la première, puisque même la relecture, par l’auteur, fait de lui un étranger à son propre texte.

LA FIN DU « SIGNIFIANT LITTÉRAIRE »

Les productions littéraires contemporaines ne sont-elles pas en train d’échapper à l’archive matérielle que nous connaissons, celle de l’archive écrite, du manuscrit, du livre, des bibliothèques… ? Aujourd’hui, le dépôt légal existe, mais une importante production lui échappe. Et puis il y a le phénomène de l’underground et celui des samizdats, auto-édition clandestine produite par des écrivains « dissidents » d’ouvrages interdits par la censure. Ainsi que le phénomène, est encore plus massif, des productions audiovisuelles, qui ne sont que partiellement archivées. Enfin, les supports (papier, bandes magnétiques) ont une faible durée de vie.

UNE » MATÉRIALITÉ IMMATÉRIELLE » ?

Il est permis de s’interroger : ne sommes-nous pas en train d’assister, avec l’apparition de nouvelles techniques informatiques, à l’apparition d’une nouvelle matérialité ? Une revue comme L’ordinateur individuel qui vient d’être créé (1978). Elle doit nous rend attentifs aux dernières innovations qui ont lieu aux Etats-Unis : fondation de la société Microsoft par Bill GATES (1975), création de la société Apple par Steve JOBS (1976), apparition de l’ordinateur Apple II (1977). N’oublions pas que les ordinateurs ne produisent pas que des données abstraites, ils servent à fabriquer des textes. Avec toujours deux niveaux : fabrication individuelle (le un), diffusion collective (le multiple).

RÉFÉRENCES
1. MESCHONNIC Henri,
« Analyse du texte littéraire. Cours théorique de DEA. Université de Paris 8. Année universitaire 1978-1979. Séance du 24 janvier 1979 ». Interventions de Roger LAUFER et de Bernard MÉRIGOT. Tapuscrit, 8 pages. Henri MESCHONNIC (1932-2009), professeur de linguistique à l’université de Paris 8. Texte complet en pdf : Seminaire MESCHONNIC 1979
2. ALBALAT Antoine,
Le travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains, Paris, 1903.

Mention du présent article http ://www.savigny-avenir.info
ISSN 2261-1819
Dépôt légal du numérique, BNF 2014

This entry was posted in Enseignement de la littérature, Texte littéraire, Théorie de la littérature, Université de Paris 8. Bookmark the permalink.

Comments are closed.